Le purgatoire

Récits des âmes

 

Des scribes d’orient et d’occident
du 1er siècle à ce jour

3e édition | 2020

 

 

 

Table des matières

Du livre de vie................................................................................................................................ 1

Des morts...................................................................................................................................... 20

Des mal-aimés ............................................................................................................................... 43

Des damnés................................................................................................................................... 48

Du tribunal..................................................................................................................................... 51

Du purgatoire................................................................................................................................ 61

Des conversations..................................................................................................................... 105


 

PRÉFACE

Ces chroniques de paroisses, principalement de France et d’Allemagne, ne sont pas accessibles au grand public en général, il faut un peu fouiller pour les trouver, puis elles n’intéressent pas ceux qui se limitent à ce monde. À l’exemple de Bouddha, pour échapper aux cycles sans fin du naraka ou purgatoire pour nous, le détachement aux choses matérielles (autant qu’aux êtres) trouve un écho libérateur et bénéfique dans l’autre monde.

Par ces chroniques de dialogues avec des âmes, la connaissance du purgatoire s’ouvre à nous quant au maintien de l’existance après la mort et des conditions d’un chacun.

Ces textes centenaires sont le fruit d’un travail de scribes consciencieux envers qui nous pouvons accorder entière crédibilité. À noter, ces textes n’ont pas été recensés à des fins scientifique, ni analytique ni sensationnel - la dernière chose dont les âmes auraient besoin c’est d’être regardées comme des curiosités, mais plutôt pour aborder la vie sous l’angle universel de Dieu.

Feu mon père disait qu’un train en cache un autre, je vous souhaite très sincèrement une bonne destination. À Dieu gloire et honneur.

 J. Legrand

  

 

 

Laissez venir à moi

les petits-enfants,

ne les empêchez pas.

Jésus




 

Du livre de vie

Louange infinie au Dieu de toute pureté qui a donné foi à une poignée de terre.

 

JEAN | Averoult 1606, Fleurs des exemples vol. 1, p.110

Un prêtre nommé Jean, homme de bien, natif de la ville de Lyon France, ayant entendu le bon rapport des religieux-ermites proposa de soi-même de se faire religieux de l’ordre de Citeaux. Mais il changea de propos peu après. En satisfaction dequoy il entreprit le pèlerinage de Saint-Jacques en GaliceEspagne : lequel ayant été achevé avec grande dévotion, il retourna en ladicte ville où il fut recueilli avec grande joie par ses parents. Or, comme il se trouvait travaillé du voyage, il s’en alla prendre du repos. Il advint qu’en dormant, incontinent notre-seigneur Jésus Christ se présenta à lui avec deux de ses apôtres, à savoir Pierre Céphas et Jacques Jacob. Pierre tenait dans sa main un livre où les noms étaient inscrits en lettre d’or. Notre-seigneur lui ayant commandé d’ouvrir le livre, il commença à lire, et lut là aussi le nom dudit Jean. Notre-seigneur dit :

— Ôtez-le, ôtez-le de là, effacez son nom. Il avait promis d’être mon servant et il a manqué à sa promesse.

— Mon-seigneur je vous prie, n’effacez pas son nom, lui qui a été mon pèlerin, dit Jacques pour s’interposer.

— Il devait être mon citoyen, non pas ton pèlerin. N’est-ce pas mieux d’être mon citoyen que ton pèlerin ?

— Seigneur très-pitoyable je vous supplie, ne l’effacez pas, ne l’effacez pas. Je réponds de lui qu’il fera ce qu’il a promis, dit l’apôtre Jacques en persistant avec supplication.

— Quand le fera-t-il ? dit notre-seigneur

— En dedans de quinze jours, répondit l’apôtre.

Jean se réveilla à ces mots et se prosterna jusqu’à terre pour remercier Jacques de son pleige, et dit avec larmes :

— Je ferais sans doute ce que si miséricordieusement avez promis pour moi.

Peu de temps après il s’endormit. Derechef notre-seigneur lui apparut avec ses mêmes apôtres et commanda d’ouvrir le livre. Jean entendit Pierre lire :

— Nous te ferons ornements et chaînes d’or diversifiées d’argent.

Jean se leva aussitôt pour accomplir son voeu au jour qui était dit. Il fut le premier abbé de ce nom du couvent de Bonneval ; puis évêque de Valence, renommé pour beaucoup de miracles.

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JOSEPH | Brunet 1848, Les Évangiles apocryphes, p.20 | De Plancy 1860, Légendes du Nouveau Testament, p.131 (St Joseph) | Migne 1856, Dictionnaire des apocryphes, tome 1, p.1029 (ms arabe no 255 Bibl. du roi, trad. latin) | Wallin 1722, Histoire de Joseph le charpentier (mss arabes)

Dans le nom de Dieu. Histoire de la mort du pieux vieillard Joseph dont la vie fut de cent-onze ans, ce qui arriva le 20e du mois d’ab. C’est notre-seigneur Jésus Christ lui-même qui a rapporté cette histoire à ses disciples sur le Mont des oliviers, sur les travaux de Joseph et la consommation de ses jours. Les apôtres conservèrent ce discours et le firent consigner par écrit dans la bibliothèque à Jérusalem.Que leur prière nous protège. Il arriva, un jour que le sauveur, notre-seigneur et maître Jésus Christ, était assis avec ses disciples sur le mont des oliviers, et que tous étaient réunis ensemble, il leur dit :

— Mes frères et mes amis, enfants du Père qui vous a choisis parmi tous les hommes. Vous savez que je vous ai souvent annoncé qu'il fallait que je sois crucifié, et que je meure, pour le salut d'Adam et sa postérité, et que je ressuscite d'entre les morts. J'ai à vous confier la doctrine du saint évangile, qui vous a déjà été annoncée, afin que vous la prêchiez dans le monde entier. Je vous couvrirai de la vertu d'en haut, je vous remplirai du saint Esprit, quand vous annoncerez à toutes les nations la pénitence et la rémission des péchés. Car un seul verre d'eau qu’un homme retrouve dans le siècle futur est plus précieux et plus grand que toutes les richesses de ce monde entier. L'espace que peut occuper un seul pied dans la maison de mon Père l'emporte en excellence et en valeur sur tous les trésors de la terre. Et une seule heure dans l'heureuse habitation des justes donne plus de joie et a plus de prix que mille années parmi les pécheurs. Quant à eux, leurs gémissements et leurs plaintes ne cesseront pas et leurs larmes n'auront pas de fin ; ils ne trouveront à aucun moment ni consolation ni repos. Et maintenant, vous qui êtes mes membres honorables, allez prêcher à toutes les nations, portez-leur la nouvelle loi en leur disant : Le Seigneur informe chacun diligemment de l'héritage auquel il a droit. Il est l'administrateur de la justice, et des anges qui châtieront ses ennemis, et combattront au jour de la bataille ; car Dieu examinera chaque parole oiseuse et insensée qu'auront dite les hommes, et ils en rendront compte. Personne ne sera exempté de la loi de la mort, et les oeuvres de chacun seront mises au grand jour au moment du jugement divin, qu'elles furent bonnes, qu'elles furent mauvaises. Annoncez cette parole que je vous ai dite aujourd'hui, que le fort ne tire pas vanité de sa force, ni le riche de ses richesses, mais que celui qui veut être glorifié se glorifie dans le Seigneur.

Il fut un homme instruit nommé Joseph יוֹסֵף, né à Bethléem, la cité du roi David, de la tribu de Judah יְהוּדָה, savant dans la doctrine de la loi, qui fut fait docteur dans le Temple du Seigneur. Il exerça aussi la profession de charpentier en bois. Il prit une épouse selon l'usage des hommes et engendra d'elle des fils et des filles, à savoir quatre fils et deux filles. Et les noms des fils sont, Jude, Juste, Jacob et Simon. Les noms des deux filles, Assia et Lidia. À la fin, l'épouse du juste Joseph mourut, après avoir eu pour but la gloire de Dieu dans chacune de ses actions. Joseph cet homme juste, mon père suivant le monde, et le fiancé de ma mère Marie, travaillait à son métier de charpentier avec ses fils. Quand le juste Joseph devint veuf, Marie ma mère bénie avait achevé sa douzième année : ses parents l'avaient offerte dans le Temple lorsqu'elle n'avait que trois ans, et elle passa neuf ans dans le Temple du Seigneur. Quand les sacrificateurs virent que cette vierge craignant Dieu entrait dans l'adolescence, ils parlèrent entre eux, disant :

— Cherchons un juste et pieux à qui confier Marie jusqu'au temps de ses noces, de crainte qu’il arrive dans le Temple ce à quoi les femmes sont sujettes : ne péchons pas son nom pour que Dieu ne s'irrite.

Envoyant immédiatement des messagers, ils convoquèrent douze vieillards de la tribu de Judah, ils écrivirent les noms (des douze tribus d'Israel) et le sort tomba sur le juste Joseph, un pieux vieillard. Et les sacrificateurs dirent à ma mère :

— Va avec Joseph, et demeure avec lui jusqu'au temps des noces.

Le juste Joseph reçut ma mère et il la conduit dans sa maison. Marie trouva Jacques le-mineur abattu et désolé dans la maison de son père, à cause de la perte de sa mère, et elle en prit soin. De là vient que Marie a été appelée la mère de Jacob. Ensuite Joseph la laissa dans sa maison et alla dans l'atelier où il exerçait la profession d'ouvrier charpentier. La vierge resta dans sa maison deux ans, jusqu’à sa 14e année achevée.

Je l'ai chérie d'un mouvement particulier de la volonté avec le bon plaisir de mon Père et le conseil du saint Esprit : je fus incarné en elle par un mystère qui surpasse l'intelligence de toute créature.

Trois mois s'étaient écoulés après la conception, quand Joseph l'homme juste revint de l'endroit où il exerçait son métier et reconnut que la vierge ma mère était enceinte. Il fut troublé dans son esprit et songeait à la renvoyer en secret ; dans sa peur, sa tristesse, et l'angoisse de son coeur, il ne put ni boire, ni manger de ce jour. Vers le milieu du jour, Gabriel le prince des anges lui apparut en songe, exécutant l'ordre qu'il avait reçu de mon Père en lui disant :

— Joseph, saint fils de David, n’aie crainte de recevoir Marie pour fiancée. Elle enfantera un fils conçu du saint Esprit, que tu nommeras Jésus, c'est lui qui gouvernera toutes les nations avec un sceptre de fer.

L'ange s'éloigna, ayant ainsi parlé. Joseph sortit de son sommeil et obéit à ce que l'ange du Seigneur lui prescrit et Marie resta avec lui. Quelque temps s'étant écoulé, il parut un édit de l'empereur Auguste César que chacun sur terre habitable se fit inscrire dans sa ville natale. Et le-juste vieillard, Joseph sortit et prit avec lui Marie. Quand ils vinrent à Bethléem, Joseph inscrit son nom sur le registre, car Joseph fils de David, fiancé à Marie, était de la tribu de Judah. Le moment de sa délivrance approchait, Marie m'enfanta dans une caverne près du sépulcre de Rachel, femme du patriarche Jacob et mère de Joseph et de Benjamin.

Mais satan alla annoncer ces choses à Hérode, le grand-père d'Archelaus ; cet Hérode était celui qui ordonna de décapiter Jean le-baptiste, mon ami et parent. Pensant que mon royaume était de ce monde, il me fit chercher avec soin. Mais le pieux vieillard en fut averti en songe, et en se levant il prit ma mère qui m'emporta dans ses bras, et Salomé se joignit à eux pour les accompagner dans leur voyage. Parti de sa maison, il se retira en Égypte et y demeura une année entière jusqu'à ce que le courroux d'Hérode se fût dissipé.

Hérode mourut d'une manière horrible : il portait le poids du sang innocent qu'il avait versé en faisant injustement périr des enfants en lesquels il n'y avait pas de péché. Ce tyran impie Hérode étant mort, mes parents revinrent dans la terre d'Israel et ils habitèrent dans une ville de Galilée que l'on nomme Nazareth. Joseph reprit son métier de charpentier et gagnait sa vie par le travail de ses mains ; jamais il ne devait sa nourriture au travail d'autrui ainsi que le prescrit la loi de Moshé. (Genèse 3:19)

Les années s'écoulaient, le vieillard s'avança grandement en âge, il n'éprouva cependant aucune infirmité corporelle, la vue ne le quitta pas et aucune dent de sa bouche ne tomba, et son esprit ne connut jamais un moment de délire. Mais semblable à un enfant, il portait dans toutes ses occupations la vigueur de la jeunesse et il conserva ses membres entiers et exempts de toute douleur. Sa vieillesse était fort avancée, car il avait atteint l'âge de cent onze ans. Juste et Simon, fils aînés de Joseph, ayant pris des épouses, allèrent dans leurs familles, et ses deux filles se marièrent aussi et elles se retirèrent dans leurs maisons. Dans la maison de Joseph il resta Jude, Jacques le-mineur, et ma mère, et je demeurais avec eux comme si j'avais été un de ses fils, et avais passé toute ma vie sans avoir commis aucune faute : j'appelai Marie, ma mère, et Joseph, mon père, et je leur étais soumis en tout ce qu'ils prescrivaient. Je ne leur ai jamais désobéi, je me conformai à leurs volontés comme le font les autres hommes qui naissent sur la terre. Je n'ai jamais provoqué leur colère, ni leur ai opposé une parole dure ou une réponse qui montrait de l'irritation ; au contraire je leur ai témoigné un grand attachement, les chérissant comme la prunelle de l'oeil. Il arriva ensuite que l'instant de la mort du pieux Joseph approcha et le moment vint où il devait quitter ce monde comme les autres hommes assujettis à retourner à la terre. Son corps étant près de sa destruction, l'ange du Seigneur lui annonça que l'heure de sa mort était proche : alors la crainte s'empara de lui et son esprit tomba dans un trouble extrême. Se levant, il alla à Jérusalem et entré dans le Temple du Seigneur, il répandit des prières devant le Sanctuaire, il dit :

— O Dieu, auteur de toute consolation ! Dieu de toute miséricorde. Seigneur du genre humain entier. Dieu de mon âme, de mon esprit et de mon corps. Je t'adore en suppliant, mon Dieu et Seigneur, si mes jours sont déjà consommés et si le temps arrive où je dois sortir de ce monde, envoie, je te le demande, le grand Michel, le prince de tes anges, et qu'il demeure avec moi afin que mon âme misérable sorte de ce corps débile sans souffrance, sans crainte et sans impatience. Car une grande épouvante et une violente tristesse s'emparent de tous les corps au jour de leur mort, qu'ils soient hommes ou femmes, bêtes des champs ou des bois, qu'ils rampent sur la terre ou qu'ils volent dans l'air : toutes les créatures sous le ciel dans lesquelles est l'Esprit de vie sont frappées d'horreur, de grande crainte et de répugnance extrême lorsque leurs âmes sortent de leurs corps. Maintenant mon Dieu et Seigneur, que ton saint ange prête assistance à mon âme et à mon corps jusqu'à ce que leur séparation se soit opérée. Et que la face de l'ange désigné pour me garder depuis le jour où j'ai été formé, ne se détourne pas de moi mais qu'il soit mon compagnon jusqu'à ce qu'il me conduise à toi. Que son visage soit pour moi plein d'allégresse bienveillante et qu'il m'accompagne en paix. Ne permet pas que les démons à l'esprit effrayant s'approchent de moi sur le chemin par lequel je dois aller, jusqu'à ce que je parvienne heureusement à toi. Ne permets pas que les gardiens du paradis m'interdisent l'entrée. En dévoilant mes fautes, ne m'expose pas à la honte en face de ton tribunal terrible. Que les lions ne se précipitent pas sur moi, et que les flots de la mer de feu que toute âme doit traverser ne submergent pas mon âme avant d’avoir contemplé la gloire de ta divinité. Dieu juge très-équitable, qui juge les mortels dans la justice et qui traite chacun selon ses oeuvres : assiste-moi dans ta miséricorde et éclaire ma voie pour que je parvienne à toi, source abondante de tous biens et glorieux pour l'éternité, ainsi soit-il.

Revenu chez lui dans la ville de Nazareth, il arriva ensuite que Joseph fût retenu au lit, saisi par la maladie. Le temps venu où il devait mourir (ainsi qu'est le destin de tous les hommes), il éprouva une vive souffrance de maladie ; c'était la première qu’il en fut atteint depuis le jour de sa naissance, ainsi qu'il avait plu au messie d'ordonner les choses relatives à Joseph. Il vécut quarante ans avant de contracter mariage et sa femme passa avec lui quarante-neuf ans ; quand ils furent écoulés elle mourut ; un an après sa mort, les sacrificateurs confièrent à Joseph la garde de ma bénie mère Marie jusqu'au temps des noces ; elle resta deux ans dans sa maison, et la troisième année de son séjour chez Joseph, alors âgée de quinze ans. Elle m'enfanta sur terre par un mystère qu'aucune créature ne peut pénétrer ni comprendre, si ce n'est moi, mon Père et l'Esprit saint, constituant avec moi une essence unique. L'âge de mon père ce juste vieillard arriva ainsi à cent onze ans, mon Père céleste l'ayant voulu. Le jour où son âme se sépara de son corps était le 26e jour du mois d'ab. Il commença à perdre un or d'éclatante splendeur, c'est-à- dire son intelligence à la science. Il prit du dégoût pour les aliments et la boisson, et il perdit toute son habileté dans l'art de charpentier. Le 26e jour du mois d'ab, il arriva que l'âme du vieillard Joseph le-juste s’inquiéta pendant qu'il était en son lit, car il ouvrit sa bouche en poussant des soupirs et il frappa ses mains l'une contre l'autre et il cria d'une voix élevée de cette manière :

— Malheur au jour que je suis né dans ce monde, au ventre qui m'a porté, aux entrailles qui m'ont reçu, aux mamelles qui m'ont allaité, aux mains qui m'ont porté, qui m'ont élevé jusqu'à ce que j'eusse grandi : j'ai été conçu dans l'iniquité, ma mère m'a engendré dans le péché. (Psaumes 51:5)
Malheur à mes pieds qui m’ont soutenu. (Jérémie 20:17)
Malheur à ma langue et mes lèvres qui ont parlé, qui proféré des paroles de vanité, de reproche, de mensonge, d'ignorance, de dérision, d'instabilité et d'hypocrisie. Malheur à mes yeux qui ont contemplé le scandale.
Malheur à mes oreilles qui se sont complus aux discours calomniateurs.
Malheur à mes mains qui ont pris ce qui n'était pas leur propriété.
Malheur à mon ventre et à mes intestins qui ont voulu une nourriture dont l'usage leur est interdit.
Malheur à mon gosier qui consumait comme du feu tout ce qu'il trouvait.
Malheur à mes pieds qui ont cheminé dans des voies désagréables à Dieu.
Malheur à mon corps, malheur à mon âme rebelle à son créateur Dieu.
Que ferai-je lorsque j'arriverais à l'endroit où je dois paraître devant le juge de toute intégrité lorsqu'il me reprochera les oeuvres que j'ai accumulées dans ma jeunesse ? Malheur à l’homme qui meurt dans ses péchés.
Cette heure terrible, qui a déjà frappé mon père Jacob lorsque son âme s'envola de son corps, la voici, elle est proche. Oh que je sois le misérable digne de compassion aujourd'hui. Mon Dieu, seul directeur de mon âme et de mon corps, agissez envers eux selon son bon vouloir.

Telles furent les paroles que prononça ce juste vieillard Joseph. Et moi, entré pour m'approcher de lui, je trouvai son âme violemment troublée, il était livré à une grande angoisse, et je lui dis :

— Salut mon père Joseph, homme juste, comment est ta santé ?

— Je te salue maintes fois mon fils chéri, me répondit-il. La douleur et la crainte de la mort m'ont entouré, mais dès que j'ai entendu ta voix, mon âme a connu le repos. O Jésus de Nazareth, Jésus mon consolateur, Jésus le libérateur de mon âme, Jésus mon protecteur ! Jésus, nom très-doux dans ma bouche et pour ceux qui l'aiment ! Oeil qui voit et oreille qui entend, exauce-moi moi ton serviteur. Je t’honore aujourd'hui en toute humilité, je répands mes larmes devant toi. Tu es mon-seigneur, ainsi que l'ange me l'a annoncé bien souvent, surtout en ce jour où mon âme s’agitait de mauvaises pensées à cause de Marie la pure qui avait conçu, et que je songeais à renvoyer en secret. Car tandis que je méditais ce projet, voici que par un mystère admirable, les anges du Seigneur m'apparurent dans mon sommeil en me disant : O Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre Marie pour fiancée, ne t'afflige pas de ce qu'elle a conçu, ne profère pas à cet égard des paroles répréhensibles ; car elle est fécondée par l'opération du saint Esprit, et enfantera un fils qui portera le nom de Jésus ; c'est lui qui rachètera les péchés de son peuple. Ne reprends pas ma faute, seigneur, j'ignorais les mystères de ta nativité. Je me souviens du jour qu'un enfant périt par la morsure d'un serpent et que ses parents voulaient te livrer à Hérode en disant que tu l'avais fait mourir, mais tu le ressuscitas des morts et tu leur rendis. Quand je m'approchai de toi et te pris la main, te disant : Prends garde à toi mon fils. Mais tu m’as répondu : N'es-tu pas mon père suivant la chair… je t'enseignerai qui je suis. Et maintenant mon-seigneur, ne t'irrite pas contre moi, ne me condamne pas à cause de cette heure, je suis ton esclave, le fils de ta servante. Toi tu es mon-seigneur et mon sauveur, le fils de Dieu.

Après que Joseph eut parlé ainsi, il ne pouvait pleurer davantage et je vis que la mort le dominait déjà. Ma mère se leva et dit en s'approchant de moi :

— Mon fils. Joseph va trépasser.

— Mère, cette nécessité même de mourir fut imposée à toutes les créatures qui naissent en ce monde, la mort l’a obtenu comme son droit assuré sur toute la race humaine ; et toi ma mère, et tout le reste des êtres humains, vous devez vous attendre à voir se terminer votre vie. Et je vous dis que tous les saints, et encore plus tous les hommes qui naîtront dans ce monde, qu'ils soient justes ou pervers, doivent nécessairement goûter à la mort. Pourtant ta mort et la mort de ce pieux vieillard n'est pas une mort mais une entrée dans la vie éternelle qui ne connaît pas de fin. Le corps que j'ai reçu de toi est également sujet à la mort. Mais lève-toi, approche-toi de Joseph afin que tu voies ce qui arrivera au moment où son âme se séparera de son corps.

Marie alla et entra dans le lieu où était Joseph, J'étais assis à ses pieds et le regardait, les signes de la mort apparaissaient déjà sur son visage. Il leva la tête et me regarda en fixant les yeux sur moi, mais n'avait aucune force de parler à cause de la douleur de mort qui le tenait enfermé (il poussait de grands soupirs). Je tins ses mains durant l'espace d'une heure entière, car il avait tourné son visage vers moi et me faisait signe de ne pas l'abandonner ; puis j’ai posé ma main sur sa poitrine et je pris son âme déjà près de sa gorge au moment de sortir de sa retraite. Quand ma mère vit que je touchais le corps de Joseph, elle toucha ses pieds et les trouva déjà froids et privés de vie. Elle me dit :

— Ses pieds ont commencé à froidir, ils sont froids comme la neige.

Elle réunit ses fils et ses filles puis elle leur dit :

— Venez tous tant que vous êtes, approchez de votre père, car certainement son dernier moment est arrivé.

Assia, la fille de Joseph, dit :

— Malheur à moi, mes frères, car c'est la même maladie dont notre mère est morte.

Elle pleura et poussait des cris de douleur, et tous les autres enfants de Joseph répandirent aussi des larmes. Moi et ma mère Marie pleurions avec eux.

En me tournant je vis la mort s'approcher, et avec elle toutes les puissances de l'abîme - leurs armées et leurs satellites ; leurs vêtements, leurs bouches, leurs visages jetaient du feu. Quand mon père Joseph les vit venir à lui, ses yeux furent inondés de larmes, en même temps il gémit d'une manière non ordinaire. Voyant alors la violence de ses soupirs, je repoussai la mort et toute la foule de ses ministres dont elle était accompagnée, et j'invoquai mon Père miséricordieux :

— O Père de toute clémence, oeil qui voit, oreille qui entend, écoute mes supplications et prières pour le vieillard Joseph : envoie Michel le prince de tes anges et Gabriel le héraut de la lumière, et toute la lumière de tes anges, que tout leur ordre chemine avec l'âme de mon père Joseph jusqu'à ce qu'ils te l'aient amenée. Voici l'heure où mon père a besoin de miséricorde.

Michel et Gabriel vinrent vers l'âme de Joseph et la prirent dans un linceul éclatant, et il rendit l'esprit dans les mains de mon Père le-miséricordieux et la paix lui fut accordée (aucun de ses enfants ne sut qu'il s'était endormi). Les anges préservèrent son âme des démons des ténèbres qui étaient placés sur la route, et louèrent Dieu jusqu'à ce qu'ils l’aient conduit au lieu où habitent les justes. Son corps resta étendu, sans couleur, et j’approchai mes mains de ses yeux et les fermai ainsi que j'avais fermé sa bouche ; et je dis :

— Ma mère, où est l'art auquel il s'est consacré tout le temps qu'il a vécu en ce monde… car il a péri avec lui, il est comme s'il n'avait jamais existé. (Ecclésiaste 9:10)

Quand les enfants de Joseph entendirent que je parlais avec ma mère, ils connurent qu'il avait expiré ; ils versèrent des larmes et crièrent de douleur. Je leur dis :

— La mort de votre père n'est pas la mort mais la vie éternelle. Délivré des épreuves de ce siècle, il est entré dans le Repos éternel qui ne connaît pas de fin.

Quand ils entendirent ces paroles ils déchirèrent leurs vêtements en pleurant. Apprenant leur désolation, des gens de toute la Galilée et quelques habitants de Nazareth vinrent et pleurèrent depuis la 3e jusqu'à la 9e heure. Et à la 9e heure ils allèrent tous à la chambre de Joseph et emportèrent son corps, après l'avoir frotté de parfums précieux. Je m'adressais en prière à mon Père céleste, cette même prière que j'écrivis de ma main avant que je fusse dans le sein de la vierge Marie. Dès que je l'eus finie et que j'eus dit amen, une grande multitude d'anges apparut et j’ordonnai à deux d'entre eux d'étendre une étoffe éclatante et d'envelopper le corps de Joseph. Je m'approchai de Joseph et dis :

— Que l'odeur de mort et la puanteur ne dominent pas en toi, que nul ver ne sorte de ton corps. Qu’aucun de tes membres ne soit brisé, ni un cheveu arraché de ta tête, qu’aucune partie de ton corps ne périsse mais reste sans corruption jusqu'au festin de mille ans. Que tout mortel qui aura eu soin de faire ses offrandes au jour de ta commémoration soit béni : je le récompenserai dans la congrégation des fidèles. Qui aura donné de la nourriture aux indigents, aux pauvres, aux veuves et aux orphelins, leur distribuant le fruit du travail de ses mains le jour que l'on célèbre ta mémoire, en ton nom, ne sera pas dénué de biens durant tous les jours de sa vie. Qui en ton nom aura donné à une veuve ou un orphelin un verre d'eau pour se désaltérer, je lui accorderai que tu partages avec lui le banquet des mille ans. Je bénirai tout homme qui aura soin de faire ses offrandes le jour de ton souvenir, et je le lui rendrai dans la congrégation des fidèles, je le lui rendrai jusqu’à trente, soixante, cent pour un. Qui retracera l'histoire de ta vie, tes épreuves, et séparation du monde, et ce discours sorti de ma bouche, je le confierai à ta garde tant qu'il demeurera en cette vie : quand son âme désertera son corps, qu'il lui faudra quitter ce monde, je brûlerai le livre de ses péchés, je ne le tourmenterai d'aucun supplice au jour du jugement, et il traversera la mer de feu et la franchira sans douleur ni obstacle. Celui auquel il naîtra un fils et qui lui donnera le nom de Joseph n'aura pas de part à l'indigence et à la mort qui ne finit pas. Tel ne sera pas le sort de tout homme avide et dur qui n'accomplira pas ce que j'ai prescrit.

Les principaux habitants de la ville se réunirent ensuite dans le lieu où était placé le saint corps du vieillard Joseph. Ils apportaient avec eux des bandes d'étoffes dont ils voulurent l'envelopper selon l'usage répandu parmi les juifs ; mais ils trouvèrent que son linceul tenait si fortement à son corps que lorsqu'ils cherchèrent à l'enlever, il ne pouvait être déplacé et avait la dureté du fer, et ne purent trouver aucune couture qui en indiquait les extrémités, ce qui les remplit d'un grand étonnement. Quand enfin ils le portèrent auprès de la caverne et qu’ils ouvrirent la porte pour placer son corps avec ceux de ses pères, alors il me revint à l'esprit le jour où il cheminait avec moi vers l'Égypte et je me remémorai toutes les peines qu'il avait supportées à cause de moi, et je pleurai sa mort beaucoup de temps. Et me penchant sur son corps, je dis :

— O mort qui fais évanouir toute science et qui excites tant de larmes et tant de cris de douleur, certes c'est Dieu mon père qui t'a accordé ce pouvoir ; les hommes meurent suite à la désobéissance d'Adam et de sa femme Ève. La mort n'épargne aucun d'entre eux, mais nul ne peut être retiré de ce monde sans permission de mon père. Il y a eu des hommes dont la vie s'est prolongée jusqu'à neuf cents ans, mais ils ne sont plus, tous ont succombé et aucun d'eux n'a jamais dit, Je n'ai pas goûté la mort, quoique longue ait été la carrière de certains d'entre eux. Il a plu à mon Père d'infliger cette peine à l'humain. Aussitôt que la mort vit quel commandement lui venait du ciel, elle a dit : J'irai contre l'homme, je ferai autour de lui un grand ébranlement. Adam ne s'était pas soumis à la volonté de mon Père et avait transgressé ses ordres, mon Père se mit en colère contre lui et l'a livré à la mort : c'est ainsi que la mort est entrée en ce monde. Si Adam avait observé les ordres de mon Père, la mort n'aurait jamais eu d'empire sur lui. Pensez-vous que je ne pourrai pas demander à mon Père de m'envoyer un char de feu pour recevoir le corps de mon père Joseph, pour le transporter au Séjour de repos où habiter avec les saints ? Mais cette angoisse, cette punition de mort, est descendue sur toute la race humaine à cause du détournement d'Adam. C'est pour ce motif que je dois mourir dans la chair, non à cause de mes oeuvres, mais pour que les hommes que j'ai créés obtiennent grâce.

Ayant dit ces paroles, j'embrassai le corps de mon père Joseph et pleurai sur lui. Les autres ouvrirent la porte du sépulcre et ils déposèrent son corps à côté du corps de son père Jacob. Lorsqu'il s'endormit, il avait accompli cent onze ans. Aucune dent ne lui occasionna jamais de douleur, ses yeux conservèrent toute leur pénétration, sa taille ne se courba pas, ses forces ne diminuèrent pas, il s'occupait de sa profession d'ouvrier en bois jusqu'au dernier jour de sa vie. Et ce jour fut le 26e du mois d'ab. Après que nous, les apôtres, l’avons entendu, nous nous sommes levés et lui avons rendu hommage en nous inclinant profondément. Nous avons dit :

— Tu nous as fait grande grâce d’entendre les paroles de vie. Nous sommes surpris quant au sort d’Henoc et d’Élyahou qui n'ont pas été sujets à la mort et habitent la demeure des justes jusqu'au jour présent, car leurs corps n'ont pas vu la corruption. Et Joseph, ton père suivant la chair, tu nous as ordonné d'aller dans le monde entier prêcher le saint évangile, et tu as dit : Annoncez-leur la mort de Joseph, célébrez le jour consacré à sa fête par une sainte solennité. Qui retranchera ou ajoutera quelque chose de ce discours commettra un péché. Aussi nous sommes surpris que depuis le jour que tu es né à Bethléem, Joseph t'a appelé son fils suivant la chair. Pourquoi ne l'as-tu pas rendu immortel ainsi que le sont Henoc et Élyahou ? Car tu dis qu'il fut juste et élu.

— La prophétie de mon Père s'est accomplie sur Adam à cause de sa désobéissance, car toutes choses s'accom-plissent suivant la volonté de mon Père, répondit le seigneur. Si l'homme transgresse les préceptes de Dieu, s'il accomplit les oeuvres du diable en commettant le péché, son âge s'accomplit : il se conserve en vie pour pouvoir faire pénitence et éviter d'être remis aux mains de la mort. S'il s'est appliqué aux bonnes oeuvres, la durée de sa vie est prolongée pour que la réputation s'accroisse par sa vieillesse et que les justes imitent son exemple. Un homme que vous voyez l'esprit se mettre en colère promptement, ses jours seront abrégés ; ce sont ceux qui sont enlevés à la fleur de leur âge. Chaque prophétie que mon Père a prononcée concernant les fils des hommes doit s'accomplir en toute chose. Et pour ce qui concerne Henoc et Élyahou, ils sont encore en vie aujourd'hui, conservant les mêmes corps quand ils sont nés. Quant à mon père Joseph, il ne lui a pas été donné de rester dans son corps comme à eux. Même si un homme aurait vécu des myriades d'années sur cette terre, il serait malgré tout forcé de changer la vie contre la mort.

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HENOC | Dubeux 1836, Chronique de Tabari, vol. 1, p.88

Henoc חֲנוֹךְlitt. Édris - que la paix soit sur lui - était prophète, revêtu du caractère d’apôtre. Or de son temps, tous les hommes étaient adorateurs du feu, car Éblis satan - que Dieu le maudisse - avait trompé Caïn : et lorsque le Dieu béni et très-haut envoya Henoc vers ses frères, ils ne lui obéirent pas. Or Henoc - que la paix soit sur lui - leur lisait des livres, et ces livres étaient les livres d’Abraham - que la paix soit sur lui. Avec ces livres il appela les hommes à Dieu. On dit que pendant dix ans environ, il ne se coucha jamais la nuit, et qu’au lieu de dormir il priait et lisait les livres d’Abraham. Or le premier homme qui, après Adam, plaça le roseau sur le papier pour écrire fut Henoc. Il savait coudre et faire le métier de tailleur. Il fut le premier qui introduisit l’usage de tailler et de coudre les vêtements, et il était très habile dans tous les ouvrages. De son temps les hommes n’avaient pas de vêtements cousus, ils portaient tous des peaux et de la laine. Ils jetaient les peaux sur leur corps, quant à la laine, ils en faisaient une espèce de feutre et s’en couvraient. Ils ne savaient même pas ce que sont les chemises et les caleçons. Or Henoc - que la paix soit sur lui - commença à couper les peaux et à en faire des chemises et des caleçons cousus. Ce fut lui qui introduisit dans le monde l’usage de tailler et de coudre les habits. Avec tout cela Henoc était nuit et jour constamment occupé à adorer et à servir le Dieu très-haut. Or après qu’Henoc eut passé tout ce temps-là en adoration, l’ange de la mort désira se lier d’amitié avec lui. Il alla donc sous une forme humaine vers Henoc, se montra à lui et lui dit :

— Je suis l’ange de la mort, je désire me lier d’amitié avec toi. À cause de la grandeur du culte que tu as rendu à Dieu, il te faut me faire une demande à laquelle il me soit possible de satisfaire.

— La demande que j’ai à te faire est que tu m’enlèves mon âme, dit Henoc à l’ange de la mort

— Je ne suis pas venu pour cela, lui répondit l’ange de la mort, ta vie n’a pas encore atteint son terme.

— C’est bien, mais enlève-moi mon âme pour quelques moments, et ensuite s’il me reste du temps à vivre encore, le Dieu incomparable et élevé me la rendra.

— Je ne puis faire ce que tu me demandes sans ordre du Dieu puissant et incomparable.

Ensuite l’ange de la mort présenta à Dieu la demande d’Henoc. Le Dieu puissant et incomparable connaissait parfaitement le but qu’avait Henoc en faisant cette demande. Il exauça sa prière et dit à l’ange de la mort :

—Accorde à mon servant la demande qu’il t’a faite.

Cela est un des miracles que le miséricordieux fit en faveur d’Henoc. Izrail l’ange de la mort enleva l’âme d’He-noc et au même instant le Dieu puissant et incomparable la rendit à ce dernier. Il le laissa jouir ensuite du temps qui lui restait à vivre. Après cela, Henoc se remit à servir et à adorer le Dieu très-haut, et l’ange de la mort devint son ami et alla souvent le visiter. Des années se passèrent, ensuite Henoc dit un jour à l’ange de la mort :

— O mon ami, j’ai encore une demande à te faire.

— Si je puis te l’accorder, je le ferai volontiers.

— Il faut que tu me montres l’enfer, car j’ai subi la mort et l’âme que j’ai doit rester avec moi ; maintenant je puis voir l’enfer.

— Je ne puis pas faire ce que tu me demandes sans ordre du Dieu puissant et incomparable.

Ensuite il exposa au Dieu puissant et incomparable la demande d’Henoc. Le Dieu très-haut répondit :

—Accorde à mon servant la demande qu’il t’a faite.

Cela est encore un des miracles que le miséricordieux fit en faveur d’Henoc. L’ange de la mort enleva Henoc. Il lui montra les sept étages de l’enfer, un à un. Il lui fit voir dans chaque étage les châtiments infligés à chaque classe de pécheurs. Il le remit ensuite à l’endroit où il l’avait pris. Henoc dit à l’ange de la mort :

— J’ai une autre demande à te faire. Pourrais-tu encore me l’accorder ?

— Quelle est cette demande ?

— Il faut que tu me montres le paradis de Dieu comme tu m’as montré l’enfer.

— Je ne puis pas faire ce que tu me demandes sans ordre du Dieu puissant et incomparable.

Il s’adresse ensuite à Dieu comme il l’avait déjà fait les autres fois. Le Dieu très-haut lui dit :

—Accorde à mon servant la demande qu’il t’a faite.

L’ange porta Henoc dans le paradis. Lorsqu’ils furent arrivés à la porte du paradis, Ridhwan le chérub ne les laissa pas entrer et pénétrer jusqu’aux habitants du paradis, et il dit à Henoc :

— Tu es homme et quelconque homme ne peut pas entrer dans le paradis avant d’avoir subi la mort.

— On m’a fait subir la mort, mon âme périssablem’a quittée. L’âme que j’ai maintenant doit rester éternellement avec moi, car Dieu - que son nom soit glorifié - m’a ressuscité.

L’ange de la mort rendit témoignage à la vérité des paroles d’Henoc. Ridhwan se laissa toucher et dit :

— Je ne puis rien faire sans ordre du Dieu puissant et incomparable.

L’ordre arriva à Ridhwan de la part de Dieu dont la gloire est infinie, d’ouvrir la porte du paradis et d’y laisser entrer Henoc. Toutes ces choses sont du nombre des miracles de Dieu en faveur d’Henoc. Et avant que l’ange de la mort et Henoc entrent dans le paradis, Ridhwan dit à ce prophète :

— Le temps maintenant n’est pas encore venu d’entrer dans le paradis : tant que les créatures n’auront pas été réunies dans le lieu du dernier jugement, il ne sera pas possible d’entrer dans le paradis. Entre cependant, vois le paradis, tu en sortiras ensuite.

— Oui je ferai comme tu me l’ordonnes.

La première fois qu’Henoc entra dans le paradis, il y demeura quelques temps, il sortit à cause de la condition qu’il avait faite avec Ridhwan. Cette seconde fois, il dit à Ridhwan :

— O Ridhwan, j’ai laissé quelque chose dans le paradis.

Il revint sur ses pas et voulut entrer de nouveau dans le paradis. Ridhwan lui dit :

— Je ne permettrai pas l’entrée dans le paradis.

Une dispute s’éleva entre Ridhwan et Henoc - que la paix soit sur lui.

— Je suis un prophète, et le Dieu très-haut m’a envoyé trente livres, dit Henoc, et je les ai tous écrits ; jusqu’à présent je ne me suis pas révolté contre le Dieu puissant et incomparable. Dans ces livres que le Dieu très-haut m’a envoyés, il m’a promis le paradis. S’il faut avoir éprouvé la mort, je l’ai éprouvée, et le Dieu dont la gloire est infinie m’a ressuscité. S’il faut avoir vu l’enfer, je l’ai vu ; maintenant je suis venu dans le paradis, il est ma demeure ; Dieu loué très-haut me l’a promis. Et maintenant que je suis entré, je ne sortirai pas.

Henoc eut avec Ridhwan plusieurs paroles à ce sujet jusqu’à ce que l’ordre du Dieu puissant et incomparable arrive, et Ridhwan ne s’opposa plus à l’entrée d’Henoc - que la paix soit sur lui - et ce prophète resta dans le paradis où il est maintenant. Henoc eut un fils nommé Mathusalem ; lorsque ce fils sut que son père était pour toujours dans le paradis, il se mit à la souveraineté de la face de la terre, il appela les hommes à Dieu et il fit renoncer un grand nombre de personnes à l’adoration du feu. Il pratiqua la royauté pendant neuf cents ans, et il eut un fils qu’il nomma Lamech. La vie de Lamech fut de sept cent deux ans, et il mourut après ce temps. Lamech laissa un fils appelé Noah et le très-haut Dieu accorda à Noah le don de prophétie. Du temps de Noah, chaque homme suivait une religion différente ; les uns adoraient le feu, les autres adoraient les idoles. Entre Noah et Henoc - que la paix soit sur lui - il s’écoula mille sept cents ans.

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ROMAIN | De Plancy 1862, Légendes de l’autre monde pour servir à l’histoire, p.14

Thomas d’Aquin était à Naples Italie, priant dans l’Église des Frères-prêcheurs San Domenico Maggiore lorsque Romain, un frère laissé à Paris qui le remplaçait dans la chaire de théologie, apparut à Thomas, il lui dit :

— Je suis bien aise de votre arrivée. Depuis quand êtes-vous ici ?

— Je suis hors de ce monde. Il m’a été permis de venir à vous par votre mérite, dit Romain.

— Je vous prie de me dire si mes oeuvres sont agréables à notre-seigneur et dans quel état vous êtes ?

— Croyez que ce que vous faites est agréable à Dieu et persévérez dans la voie où vous êtes…

Je jouis de la vie éternelle. Néanmoins, j’ai subi quinze jours de peines pour avoir négligemment exécuté une clause d’un testament que l’évêque de Paris m’avait donnée en charge, dit Romain.

— Vous rappelez-vous combien nous avons débattu pour savoir si les sciences acquises en cette vie demeurent après la mort… je vous prie de m’en donner solution, lui dit Thomas.

— Ne me demandez pas cela : je me contente de voir mon Dieu, dit Romain.

— Le voyez-vous face à face ? reprit Thomas.

— Comme je vous vois, comme on nous l’a enseigné.

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DAGOBERT | Lenoir (de Nangis) 1811, Histoire des arts en France prouvée par les monumens, p.223 gLouvet 1893, Le purgatoire d'après les saints, p.17

Dagobert 1er Dagoberti [603‒638] avait tant de dévotion que durant son règne nos pères l’appelaient le grand Dagobert. Fils de Chlothar II [575–604] le fils de Fredegund, il devint roi d’Austrasie 623‒634, roi des francs 629‒634, roi de Neustrie et de Bourgogne 629‒639, dernier roimérovingien, de la dynastie franque qui couvre la Gaule et l’Allemagne. Quand le roi mourut, un ermite nommé Jean, qui vivait sur un îlot des côtes de Sicile, vit passer une barque dans laquelle Dagobert se faisait malmener par quatre démons, qui l’emmenaient pour précipiter son âme en enfer en l’Etna, volcan de Stromboli petite île des côtes de Sicile où des flammes de lave s’élancent continuellement. Sachant avoir expié une part de ses fautes sur terre et que la Justice de Dieu se satisferait du reste à purger au purgatoire, l’âme de Dagobert invoqua ses protecteurs st Denys, st Maurice et st Martin qu’il honora de son vivant. Il supplia ces saints patrons de la France de se souvenir des magnifiques églises qu’il leur avait bâties durant sa vie, de le secourir en cette extrémité. Les trois saints vêtus de lumière descendirent aussitôt sur une nuée.

— Qui êtes-vous… venez-vous à mon secours ?

— Nous sommes les martyrs Denys et Maurice, et celui-ci est l’évêque Martin de Tours. Parce que tu nous as invoqués et que de ton vivant tu t’es montré fidèle serviteur, nous venons à ton appel pour te retirer des mains des démons et te conduire à l’Éternité bienheureuse.

Ils prirent des esprits infernaux leur tremblante victime, malgré leurs cris de rage, placèrent le prince au milieu d’eux et l’emportèrent au ciel en chantant : Heureux qui tu choisis et admets d’habiter dans tes parvis comblé du bien de ta maison.(Ps 65:4).Beatrus quem elegisti et assumpsisti, inhabitabis in atriis tuis, replebitur in bonis domus tuae.

Voilà ce que l’ermite fit savoir à l’évêque quand il revint dans son diocèse. On remarqua qu’elle correspondait à la mort de Dagobert, c’est pourquoi, on inscrit ce récit sur le marbre de son tombeau où je l’ai vue gravé.

Monseigneur saint Denis qui n'oblia mie son bon amy le roy Dagobert, requist à Nostre-seigneur Jesus Crist qui luy donast congié d'aler secourre la dicte ame; laquelle chose comme Nostre-seigneur luy eust ottroié, sainct Denis s'en ala et mena avecques luy Sainct Morise et aultres amys que le roy Dagobert avoit moult honorés en sa vie, et avecques eulx orent des anges qui les conduirent jusques en la mer, et quant ils vindrent là où les deables tenoient et ammenoient à grant feste l'ame du roy Dagobert, si le misrent entre eulx et se combattirent encontre les deable.

···

Montfaucon dit qu’un nommé Ansoald qui revenait de son ambassade de Sicile, aborda une petite île où se trouvait un vieil anachorète ermite religieux nommé Jean, dont la sainteté attirait bien des gens venus se recommander à ses prières. Ansoald entra en conversation avec ce saintermite, et parlant des gaules et du roi Dagobert, Jean dit avoir été averti de prier Dieu pour l’âme du prince, car il l’avait vu en mer lié à un esquif petit bateau, que les démons maintenaient en le battant, et l’amenaient aux lieux de Vulcain. Dagobert cria au secours en appelant stDenis, st Maurice, et st Martin, les priant de le délivrer et le conduire dans le sein d’Abraham. Ces saints vinrent rapidement vers les démons ; ils leur reprirent son âme et l’emmenèrent au ciel en chantant des versets et des psaumes.

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CES ÂMES AUX BONNES OEUVRES | De Plancy 1862, Légendes de l’autre monde pour servir à l’histoire f Lehugeur 1870, La chanson de Roland, chant second f Du Fresnoy, Manuscrit de la bibliothèque royale, tome 1

Charle Magne Caroli Magnus,Charle 1er [742‒814, Allemagne],roi des francs, fils de Pépin le-bref, fils de Charles Martel fondateur de la dynastie descarolingiens. Turpin l’archevêque de Reims, étant à Vienne en Dauphiné France, après avoir célébré la messe dans ma chapelle, j’étais à dire mes heures et avais commencé Deus in adjutorium meum, Dieu viens à mon aide :

Iehvah Dieu, hâte-toi de me délivrer, hâte-toi de me secourir… Qu'ils soient honteux et confus ceux qui en veulent à ma vie, qu'ils reculent et rougissent ceux qui désirent ma perte, qu'ils retournent en arrière par l'effet de leur honte ceux qui disent, Ah que tous ceux qui te cherchent soient dans l'allégresse et se réjouissent en toi, que ceux qui aiment ton salut disent sans cesse, Exalté soit Dieu ! Moi je suis pauvre et indigent. O Dieu, hâte-toi en ma faveur… Tu es mon aide et mon libérateur : Iehvah, ne tarde pas. Psaumes 70

Mon attention fut attirée vers mes fenêtres lorsque j’entendis de grands bruits, des clameurs du passage, d’une troupe en marche ; j’ouvris la verrière pour voir qui faisait ce tumulte et je vis une légion de démons, si nombreux qu’il fut impossible de compter. Bien qu’allant à grands pas, je remarquai un petit démon d’aspect effrayant qu’une première bande précédait ; il marchait en tête de la seconde qui s’élançait à quelques pas de distance à sa suite. Au nom du Créateur, je le conjurai par la foi chrétienne en Jésus Christ de me dire sur-le-champ où il allait avec ces troupes :

— Nous allons nous saisir de l’âme de Charle Magne qui sort de ce monde en ce moment même.

— Allez ! Et par le même ordre que je vous ai déjà donné, je vous adjure de repasser ici me rapporter ce que vous aurez fait, lui dis-je.

Dès qu’il disparut avec les siens, je me mis à réciter le premier psaume de tierce:

I– Rendez grâce à Iehvah, car il est bon : éternel est son amour. Oui qu’Israel le dise : éternel est son amour. Que le dise la maison d'Aaron : éternel est son amour. Qu'ils le disent ceux qui craignent Iehvah :éternel est son amour.
II– Dans mon angoisse j'ai crié vers Iehvah et il m'a exaucé, il m’a mis au large. Iehvah est pour moi, je ne crains pas : que pourrait un homme contre moi. Iehvah est avec moi pour me défendre et moi je braverai mes ennemis. Mieux vaut s'appuyer sur le Seigneur que de compter sur les hommes, mieux vaut s'appuyer sur Iehvah que de compter sur les puissants ! Toutes les nations m'ont encerclé : au nom de Iehvah je les détruis ! Elles m'ont cerné, encerclé : au nom de Iehvah je les détruis. Elles m'ont cerné comme des guêpes, ce n'était qu'un feu de ronces : au nom de Iehvah je les détruis ! On m'a poussé, bousculé pour m'abattre, mais Iehvah m'a défendu. Ma force et mon chant, c'est Iehvah, il est pour moi le salut.

III– Donne Seigneur, donne le salut. Donne Seigneur, donne la victoire. Béni soit celui qui vient au nom de Iehvah! Nous vous bénissons de la maison de Iehvah! Le Seigneur Dieu nous illumine. Formez vos cortèges, rameaux en main jusqu'auprès de l'Autel. Tu es mon Dieu, je te rends grâce mon Dieu, je t'exalte ! Rendez grâce à Iehvah, car il est bon: éternel est son amour. Psaumes 117-118

À peine terminé, j’entendis revenir le vacarme de ces démons, et de la même fenêtre, je les vis tristes et abattus, et demandai au même quel avait été le résultat de leur course ? Il répondit :

— Mauvais. À peine sommes-nous arrivés au rendez-vous assigné que l’archange Michel vint vers nous avec ses phalanges bataillon en rangs serrés. Nous allions saisir l’âme de Charle, mais deux hommes sans-tête, st Jacques de Galice Espagne et st Denys de France, patrons de l’empire des francs, se sont présentés à l’heure de la mort de Charle Magne. Ils mirent dans un des plateaux de la balance toutes les bonnes oeuvres du Prince qui venait de trépasser, en y joignant tout ce qu’il avait bâti ; les églises, les abbayes, et autres pieux monuments, et ce dont il les avait dotés, les ornements et divers accessoires du culte. Et nous n’avons pu rassembler assez de péchés pour lever l’autre plateau. Les phalanges de Michel aggravèrent notre déboire : ils nous ont vivement flagellés dans la joie de nous enlever l’âme du monarque, ravis de notre confusion.

Par le poids de ses bonnes oeuvres, par la protection des saints qu’il a révérés et servis dans sa vie, moi Turpin fus assuré que l’âme de mon maître le prince fut enlevée au ciel entre les mains des anges bénis. Je fis aussitôt venir mes clercs et ordonnai de faire sonner toutes les cloches de la ville ; je fis dire des messes, distribuai des aumônes aux pauvres, en fin, je fis prier pour l’âme de Charle Magne dans l’espérance fondée d’alléger son purgatoire. Et je témoignai à ceux que je vis, d’être assuré de la mort de l’empereur. Dix jours après, un courrier reçu m’en apportait tous les détails, et j’appris que le monarque fut enseveli dans l’Église qu’il fonda à Aachen Allemagne (transféré à la basilique Saint-Denys, France).

···

Parti à Rome pour honorer les apôtres et se recueillir sur leurs tombeaux, un chevalier de la Normandie vint d’abord à Reims pour obtenir la bénédiction de Gervais de Château-du-Loir [1007‒1067]évêque du Mans puis archevêque de Reims, qui le connaissait. Le chevalier reprit ensuite son chemin et arriva à Rome pour faire ses oraisons. Il se dirigea ensuite au mont Saint-Ange Monte Sant’Angelo, Italie. Sur son chemin il fit la rencontre d’un ermite qui lui demanda s’il connaissait l’archevêque de Reims, puis l’ermite lui dit :

— Gervais est mort.

Surpris, le pèlerin demanda à l’ermite comment il eut cette nouvelle ? L’ermite répondit qu’après avoir passé la nuit en prière, il avait entendu une foule marcher le long de sa cellule en faisant beaucoup de bruit. Il avait ouvert sa fenêtre et demandé où ils allaient, et l’un d’eux avait répondu :

— Nous sommes les anges de satan. Nous revenons de Reims où nous avons emporté l’âme de Gervais, mais on vient de nous l’enlever à cause de ses bonnes oeuvres. Ce qui nous fâche cruellement.

Le pèlerin remarqua le moment où il apprit tout cela, et de retour à Reims il se trouva que l’archevesque Gervais avait expiré au même moment.

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VITALINE | Rivière 1862, Miracles de st Martin, grand thaumaturge des Gaules, p. 38 (Vitaline) g Nadeau 1862, Voyage en Auvergne, p.22

Martin [316‒397, Roumanie] fut enrôlé à quinze ans chez les ecclésiastiques. Par ses entretiens avec les anges, il fut doté d’une grande perspicacité à discerner la nature des esprits. Sulpice sévère [363‒425, France] moine chroniqueur disait que les envieux lui reprochaient de porter des vêtements abjects et d’être mal peigné, (mais sitôt après sa mort, toute trace de crasse disparut de son corps). Au 4è siècle, quand Martin apprend qu’une jeune martyre nommée Vitaline était décédée, il se rend prier sur sa tombe au bourg d’Artonne. Quand Vitaline lui apparut, il lui demanda si elle avait ce bonheur de la contemplation de Dieu.

— Non pas encore, je dois être purifiée d'un péché qui me retient, dit-elle, pour m’être laver le visage par trop d’attention chaque vendredi saint de Pâques, jour où nous célébrons la Passion du rédempteur du monde, jour où notre-seigneur a si durement souffert la mort pour nous.

Cet avantage fut différé à cause d’une chose qui lui avait alors paru de peu de conséquence. Suite à cette apparition, Martin se retira. Peu de temps après, il dit en larmes ses disciples :

— Malheur à nous, malheur à nous qui vivons encore dans ce monde !
Si la complaisance de se laver le visage a été trouvée assez criminelle pour empêcher une vierge consacrée à Jésus d’être admise en Présence de Dieu : que ferons-nous nous autres que l’esprit trompeur du siècle séduit et pousse continuellement au péché.

Martin revint sur la tombe de Vitaline ; par ses prières il lui donna l’absolution de s’être lavée le visage avec trop de soin. Il lui dit :

— Réjouissez-vous Vitaline, soeur bénie, dans trois jours, vous serez présentée complètement pure devant sa Majesté divine.

Trois jours après, Vitaline apparut à plusieurs personnes qui reçurent les grâces demandées. Et lorsqu’Eulalie l’archiprêtre d’Artonne voulut célébrer des vigilespour honorer la sainte et inviter les pauvres de sa paroisse à un repas, comme il ne pouvait se procurer du poisson Vitaline avertit un pêcheur d’aller promptement pêcher pour ce repas. Dès que le pêcheur jeta son filet dans l’eau, il tira un énorme poisson, (c’est avec dévotion qu’il fut mangé par les convives).

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CETTE PIERRE PRÈS DE MOI | Le Loyer 1608, Discours des spectres ou visions et apparitions d’esprits, en 8 livres, livre sixième, p. 649 h Flodoard 948~952, Histoire de l’Église de Rheims, c.18 g Visio Bernoldi

Bernold, chrétien de bonne moeurs et bourgeois estimé du public de Reims France, était sujet aux extases ravissements parfois assez longs, par lesquels il a fait plusieurs voyages au purgatoire. Atteint de grave maladie, à un âge avancé, Bernold reçut les saints-sacrements qui allègent la conscience du chrétien et demeura quatre jours entiers en extase, immobile, sans manger, sans pouls, sans sentiment, sinon que sa face lui demeurait toujours vermeille, on le sentait quelque peu respirer par longues intervalle. Le 4e jour vers minuit, il pria sa femme d’envoyer chercher son confesseur, et un quart d’heure après il dit à sa femme :

— Mettez ici un siège, car le prêtre arrive.

En effet le prêtre entra, il prononça les belles prières de recommandation pour son âme, auxquelles Bernold répondit fidèlement. Puis Bernold lui rapporta combien d’âmes souffrantes en purgatoire l’avaient chargé de commissions alors qu’il avait été ravi en extase. Un esprit l’avait conduit vers ceux qu’on purifiait dans les glaces, où se trouvait un grand nombre d’évesques, parmi lesquels il reconnut Ebbon l’archevêque de Reims, Pardule l’évêque de Laon, et Énée l’évêque de Paris, ainsi que quelques autres prélats défigurés et sales, les robes déchirées en lambeaux, le visage ridé, la peau basanée comme s’ils fussent sortis du milieu de la flamme ou d’un bain très chaud. Ebbon le supplia de demander des prières au clergé et au peuple de Reims, pour lui, ainsi qu’à ses compagnons (qui faisaient les mêmes instances). Ce dont Berthold se chargea de ces commissions. Il trouva plus loin l’âme du roi Charle II le-chauve très-épuisé, étendu dans un bourbier plein de vers ; l’ex-roi lui confessa qu’il était puni pour avoir donné les bénéfices ecclésiastiques à des courtisans et laïcs mondains, comme le fit son aïeul Charle Martel. Il demanda à Berthold de le recommander à l’archevêque Hincmar et aux princes de sa famille. Ce dont Berthold promit des démarches.

···

La version suivante fut écrite par Hincmar,telle qu’elle lui fut racontée. Il en fit le récit partout où nécessaire, il communiqua avec plusieurs, autant de lui-même que par d’autres fidèles du roi, et travailla dévotement à la délivrance et au repos de l’âme du roi Charle. Appelant Bernold par son nom, Ebbon le chargea d’avertir ceux du clergé, et ceux du peuple de Rheims à qui il avait fait du bien dans sa vie, pour faire des prières et des aumônes, et faire dire des messes pour son âme, et pour celles de ses compagnons évesques : Ebbon avait donné à Bernold, comme lui sembla, un conducteur pour le guider vers ceux qu’il entendait devoir prier Dieu pour lui et les autres évesques. Tout en extase qu’il était, Bernold avait accompli la charge sous sa guide, et était retourné vers Ebbon et sa compagnie : il les trouva beaux et frais, habillés de blanc, et montrant un visage fort joyeux. Ebbon avait pris la parole pour tous pour remercier Bernold de ce qu’il avait eu souvenance d’eux, et que par son moyen ils étaient mieux que de coutume, car ils avaient changé de garde.

Une autre fois ravi en extase, Bernold eut encore cette vision : dans un lieu noir obscur, percé d’un rayon de lumière d’un lieu voisin bellement fleuri, odoriférant et brillant, il aperçut le roi Charle le-chauve étendu dans la fange vase de sa putréfaction décomposition, rongé de vers ayant presque consumé toutes ses chairs ; de son corps, on ne voyait plus que les nerfs et les os. Le roi appela Bernold par son nom et dit :

— Pourquoi ne me secours-tu pas ?

— En quoi puis-je vous secourir ? dit Bernold.

— Prends cette pierre près de moi, mets-la sous ma tête. Va trouver l’évesque Hincmar, lui dit le roi Charles, et dis-lui que pour n’avoir pas voulu suivre ses bons conseils et ceux de quelques autres fidèles, je souffre les maux que tu vois en punition de mes fautes. Dis-lui bien que j’aie toujours eu confiance en lui : qu’il m’aide de son secours afin que je sois délivré de mes peines. Et à tous ceux qui m’ont été fidèles, demande aide et secours de ma part, car s’ils veulent s’y employer avec zèle, je serais bientôt délivré de cette peine.

Beaucoup de choses qui se désirent en un bon prince défaillaient en Charle. Il donnait les bénéfices ecclésiastiques à des courtisans (l’abbé de Ferrières se plaint de lui). Davantage, Charle le-chauve avait des gouverneurs qu’il appelait baillés, mais encore plus pilleurs du peuple qui par leur conseil et entremise se maniaient les finances et tout l’État chancelait sous eux. Il avait aussi envahi l’héritage de ses neveux et fils de ses frères, et pour se fortifier contre eux il nomma les bretons et les normands de déborder sur la France. Il ennoblit des gouverneurs (la plupart de vile race) qui se rebellèrent contre ses successeurs et se firent seigneurs absolus des gouvernements à eux baillés.

Bernold lui demanda quel était ce lieu d’où venait la lumière, et il apprit que c’était le Repos des saints. Il en approcha plus près et vit une belle clarté, il sentit un parfum si doux qu’il n’y a de mot qui peut l’exprimer ; il vit une multitude d’hommes de toutes conditions, vêtus de robes blanches, qui se réjouissaient, et quelques bancs lumineux où aucun de ceux pour quoi ils étaient préparés n’était encore assis. Continuant sa route, toujours en vision, il entra dans une église où il trouva l’évesque Hincmar avec ses clercs, habillés pour célébrer la messe ; il lui dit ce que Charle avait recommandé. De là soudain, retournant au lieu où il avait vu le roi si misérablement étendu, il trouva le lieu entièrement brillant, et le roi sain et revêtu de ses habits royaux qui lui dit :

— Vois comme ton message m’a profité.

Plus loin encore, Bernold vit Jessé évêque d’Orléansdans les mains de quatre esprits noirs, le plongeant dans un puits de poix brûlant, et alternativement, dans un puits d’eau glacée. Non loin de lui, le comte Othaireétait dans d’autres tourments : ils se recommandèrent tous deux aux diligences de Bernold. Bernold exécuta fidèlement les commissions des âmes en peine. Pour les évêques, il s’adressa à leurs clergés et leurs peuples. Pour le roi Charle le-chauve, à l’archevêque Hincmar qui écrivit à la parenté du défunt monarque, leur faisant connaître l’état où il l’était vu. Pour le comte, il alla presser sa femme, ses vassaux et amis, de faire pour lui des prières et des aumônes. Dans ce dernier voyage que la grâce lui accorda, il apprit que le comte et l’évêque Jessé seraient délivrés, il avait vu les évêques Ebbon, Énée, et Pardule sortir des purgatoires, frais vêtus de robes blanches, qui le remercièrent. Après cet exposé, Bernold ajouta que son guide lui promit encore quelques années de vie. Il demanda la sainte-communion et se sentit guéri. Le lendemain il quitta le lit, sa vie se prolongea de quatorze ans.

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SACRIFICE DE MESSE | Laboureur 1887, Les masures de l’Île-Barbe par Guige, vol.2, p.428
œ Duparay 1862, Pierre le-vénérable abbé de Cluny au XIIe siècle, p.147
œ Pierre le-vénérable abbé de Cluny, Le livre des miracles, (De Miraculis Libri Duo, publié par Migne 1834, Patrologie latine, tome 189)

Dans la première moitié du 12è siècle, Pierre Petrus [1092‒1156, France] le-vénérable abbé de Cluny Venerabilis Cluniacensis Abbas nous parle d’Humbert le comte de Beaujeu, fils de Guichard dans le Mâcon France, tandis qu’il faisait la guerre aux seigneurs de son voisinage ; dans la mêlée le chevalier Geoffroi d’Iden reçut une blessure qui le tua sur-le-champ. Deux mois après sa mort, le chevalier apparut à Milon d’Ansa Anse qui le connaissait bien, le priant de dire à Humbert de Beaujeu qu’il était au purgatoire pour l’avoir aidé dans une guerre injuste, où il avait perdu vie, et qu’il n’avait pas expié ses péchés avant sa mort imprévue. Il le supplia instamment d’avoir compassion de lui et de son père Guichard, qui n’a pas suffisamment satisfait à la Justice de Dieu pour ses péchés, bien qu’il ait mené à Cluny une vie religieuse dans les derniers temps de sa vie, mais à cause d’une part de ses biens mal acquise comme ses enfants savaient. Par conséquent, il le conjurait d’offrir, pour son père et lui, le saint-sacrifice de la messe, aussi de distribuer des aumônes aux pauvres, et de les recommander, l’un et l’autre, aux prières des gens de bien afin d’abréger leur pénitence.

— Dites-lui que s’il n’écoute pas, je devrais moi-même aller lui annoncer ce que vous venez d’entendre, ajouta le revenant.

Le seigneur d’Ansa s’acquitta fidèlement de la commission. Humbert en fut effrayé, mais ne fit ni prière, ni réparation, ni distribution d’aumônes. Toutefois, craignant que le chevalier Geoffroi d’Iden ou son père Guichard ne viennent l’inquiéter, il n’osa plus demeurer seul, surtout la nuit, et avait toujours autour quelques-uns de ses gens qu’il faisait coucher dans sa chambre. Un matin, encore au lit, il vit Geoffroi d’Iden apparaître devant lui armé comme un jour de la bataille, qui lui montrait la blessure mortelle qu’il avait reçue, qui paraissait encore fraîche, et lui reprocha son peu de miséricorde pour lui et son père, tandis qu’ils peinaient dans les tourments.

— Prends garde que Dieu ne te traite avec rigueur, ajouta-t-il, et qu’il te refuse la miséricorde que tu ne nous accordes pas… Quant à toi, abandonne la résolution que tu as prise d’aller à la guerre avec AmédéeAmée, comte de Savoye, car tu perdrais ta vie et tes biens si tu y vas.

Et le mort disparut au même moment que l’écuyer du comte, Richard de Marsay, entra en revenant de la messe. Dès lors Humbert de Beaujeu travailla assidûment à soulager le chevalier et son père. Il fit par la suite le voyage de Jérusalem pèlerinage pour expier ses propres péchés. Il obéit avec tant de ferveur, qu’en terre-sainte il s’enrôla dans l’ordre du Temple sans le consentement de sa femme (ce qui fut cause d’un procès).

···

Écrit de Pierre le-vénérable au pape Eugène : Noble personnage que le seigneur Humbert de Beaujeu, récemment revenu d’outre-mer : notre contrée entière s’est excitée dans une ivresse universelle, le plaisir de la joie règne chez les clercs et les moines, l’allégresse chez les bourgeois, et mêmes chez ceux d’ordinaire la proie des ravisseurs, que dis-je, la pâture des loups ; paysans, laboureurs, pauvres, veuves, orphelins. Toutes les classes du peuple enfin ne peuvent contenir l’expression de leur bonheur ! Au contraire, les spoliateurs voleurs de pauvres, destructeurs des églises, oppresseurs des clercs et moines, gémissent et souffrent plus que je ne saurais dire de voir ce ferme rempart s’opposer à leur perversité.

Le pays que nous habitons est peut-être, comme l’a reconnu votre-sainteté, plus malheureux à lui seul que toutes les autres contrées de la terre ; sans roi, sans duc, sans prince, sans défenseur il est exposé aux dents des bêtes féroces, mais tous les animaux sauvages du pays y vivent en liesse. (Job 40). Ceux qui portent des titres de ducs, comtes, ou princes se conduisent comme s’ils ont le pouvoir, non à défendre, mais à dévorer le peuple de Dieu ; leur perversité s’accroît avec leur grandeur. Plus ils acquièrent de puissance, plus ils mettent de cruauté à opprimer les faibles et les pauvres.

Duparay 1862, Pierre le-vénérable abbé de Cluny : sa vie, ses oeuvres, et la société monastique au XIIe siècle, p.147 (Écrit de Pierre le-vénérable au pape Eugène)

···

Bernard le-gros, illustre de puissance et noblesse terrestre, possédait des fortifications près du monastère de Cluny France. Il causait beaucoup de mal depuis longtemps au monastère de Cluny et églises environnantes. Bernard le-gros changea subitement en mettant fin à ses malversations et vint voir le père Hugues, car il voulait se rendre à Rome pour expier ses fautes par des prières, et que s’il lui était accordé de revenir vivant, il renoncerait au siècle en s’engageant à devenir moine au monastère de Cluny. Il se rendit à Rome, auprès des glorieux corps des saints apôtres et premiers martyrs, s’adonnant à la prière et aux aumônes, autant qu’il put, afin d’expier les crimes de sa vie passée. Il quitta Rome au bout de quarante jours (nombre consacré à faire pénitence). Arrivé à Sutri sur le chemin du retour, se trouvant encore près de la ville Rome, il fut saisi d’une maladie et mourut. Ses compagnons de pèlerinage s’occupèrent de lui, tout étranger qu’il était, et l’ensevelirent chrétiennement. Quelques années après son décès, vers l’heure du midi, Bernard le préposé d’un village de Cluny qui était dans la forêt, près du château d’Usella Uxelles construit par Bernard le-gros, vit des voleurs en sortirent après avoir volé litt. fait main basse tout ce qu’ils avaient trouvé au château. Bernard rencontra feu Bernard le-gros vêtu de peaux de renard neuves, assis sur une mule. Il eut peur (sachant qu’il était mort) et lui demanda (pourtant) qui il était et pourquoi il était venu. Le défunt comte répondit :

— Tu sais que je suis Bernard-le-gros le seigneur de cette région : j’ai causé de grands mals quand j’étais de ce monde, comme le savent tous ceux qui habitent par ici. Ce qui me tourmente plus que tout c’est la construction de ce château, comme tu le sais, c’est moi qui l’ai construit.

Et parce que je me suis repenti de mes mauvaises actions à la fin de ma vie, j’ai échappé à la damnation éternelle. Mais pour parvenir à une libération entière, j’ai besoin de ton aide. On m’a permis de venir ici pour obtenir que l’abbé de Cluny me prenne en pitié. J’ai essayé de le rencontrer à Anse la semaine dernière où il a reçu hospitalité, et où je suis resté de nuit parmi les quémandeurs et les domestiques. Je te demande d’aller le voir et le supplier d’avoir pitié de moi.

Quand je lui demandai pourquoi il était revêtu de peaux de renard, il répondit :

— Ce manteau que j’ai acheté fort cher autrefois, le jour même que je l’étrennai, j’en fis cadeau à un pauvre. Je l’ai donné quand il était neuf ; il demeure toujours neuf et m’apporte un soulagement indescriptible dans mes souffrances.

Puis il disparut. Je me hâtai alors de remplir la mission qu’il me confia et parvins à rencontrer l’homme béni vers qui je fus envoyé, et lui racontai tout dans l’ordre. Débordant de charité, il accepta les demandes de l’âme du défunt : il offrit avec bonté un grand nombre d’aumônes, fit beaucoup de messes du saint-sacrifice, et porta secours à l’âme tourmentée par un juste Jugement de Dieu. Par ces actes de miséricorde, Bernard le-gros fut libéré de ses supplices et se joint à eux qui se réjouissent au Repos éternel, comme il est digne de le croire. Il n’aurait pas demandé d’être aidé par les saints-sacrements, et les bonnes oeuvres, s’il n’en retire aucun profit. Par ce fait donc qu’il a demandé d’être secouru par ces choses saintes, il a montré qu’il était digne d’une telle aide. L’abbé prédit une fin prochaine à l’homme à qui cette apparition était survenue (de ces apparitions survenues en notre temps, ceux qui ont entrés en contact avec des morts n’ont pas vécu longtemps après). Secoué de frayeur par l’apparition, encouragé par st Hugues, le préposé Bernard renonça immédiatement au siècle pour entrer en religion (il termina sa vie quelques jours après).

···

Parmi nous demeure Stéphane, le prêtre d’un village de Vienne [50 km de Moras] renommé pour son honnêteté et sa ferveur religieuse parmi ceux de son ordre, c’est lui qui rapporte ces choses que je Pierre abbé de Cluny vais dire, qu’il affirme être vraies parce qu’il les avait vues. Un soldat du château MorasFrance fut ramené à la maison blessé au combat. Sa dernière heure arrivée, Guido son évêque vint lui rendre visite par sollicitude pastorale et lui offrit de se confesser avant de mourir. Moi Stéphane, j’étais présent avec l’évêque, il en prenait bon soin et me gardait près de lui pour que j’entende la confession. Le malade confessa en toute sincérité ses péchés à mesure que sa mémoire lui rappelait. Il reçut ensuite l’absolution des mains de l’évêque, puis après quelques jours, il mourut et fut enterré près d’une église de Manthes prieuré de Manthes2 km de Moras qui relevait de Cluny. Peu de temps après, le long d’une forêt près du château Moras, j’entendis tout d’un coup derrière moi le vacarme d’une grande armée. Saisi de peur, j’entrai me cacher dans la forêt, ne pouvant ni voir ni être vu, hors de portée au creux de la forêt. Au son d’un grand nombre d’hommes armés qui approchaient, tout à coup un soldat fut devant moi, portant le bouclier sur sa poitrine, la lance à la main, à dos de cheval. Il me rappelait l’avoir vu mort. J’eus peur. Il s’en aperçut et me dit :

— N’aie crainte, je ne suis pas venu ici t’inspirer peur mais quémander miséricorde.
À cause de mes péchés, je souffre terriblement des tourments, surtout à cause de deux fautes que j’ai oubliées de déclarer avec les autres. L’une est que j’ai profané l’espace sacré d’un cimetière où des manants s’étaient réfugiés en toute sécurité. L’autre est d’avoir extorqué un boeuf à un paysan par violence. J’ai aussi imposé des taxes injustes sur une terre qui ne m’appartenait pas et forcé longtemps ses habitants à me payer. Je te demande d’aller voir mon frère Anselme pour qu’il restitue ce que j’ai prélevé injustement et donne satisfaction à ceux qui ont été victimes de mes injustices : s’il le fait, je serais libéré des peines que j’endure. Comme je connais la dureté du coeur de mon frère, il n’acquiescera en rien de ce que tu lui demanderas… Mais afin que personne parmi vous ne doute de mes paroles, ce que je vais dire te servira de signe : sache que l’argent que tu as déposé dans l’arche (mis à côté pour le pèlerinage de st Jacques de-Compostelle), tu le retrouveras tel au retour. Et avant de venir te voir, je suis aussi apparu à Guillaume, soldat que tu connais, dans sa maison au château de Moras ; il te répétera ce que je viens de te dire.

Aussitôt après il disparut. Au comble de la peur, perdant confiance de vie parce que j’avais parlé à un mort, je pris mes jambes au cou et déguerpis le plus vite possible. De retour à la maison, je défonçai le chambranle de la porte et trouvai l’argent dissimulé là qu’il dit. J’allais chez le soldat de qui il avait parlé, et j’appris de lui que tout ce qu’il avait dit était vrai. Je ne pus aller voir Anselme le frère du défunt, car il était absent depuis assez longtemps. Je partis en voyage pour une affaire domestique urgente, et débouchai dans une campagne proche de la route où une grande quantité de saules invitaient au répit. Je m’assis là me reposer un peu et au bout de quelques minutes je vis le même soldat debout devant moi avec ses mêmes armes. La panique s’empara de moi, il me dit ainsi :

— Seigneur Stéphane, quel bel envoyé ai-je choisi pour aller parler à mon frère. Je pensais que tu aurais compassion de ma peine mais je vois que tu ne te soucies d’aucune façon de ce qui m’arrive.

— Ce n’est pas par indifférence que j’ai retardé ! Je n’ai pas trouvé le frère que tu m’as fait savoir. Et maintenant, pourvu que tu me laisses tranquille, j’irai le voir sans délai et lui ferai connaître ce que tu m’as dit. Je te supplie de disparaître, car mon coeur bat à tout rompre à cause de ta vision (n’ayant pas la force de parler longtemps avec toi).

— Tu n’as rien à craindre. Ce n’est pas pour te nuire que j’ai eu l’autorisation de te parler, mais pour que tu aies pitié de moi, dit-il.

Puis il disparut encore. N’osant pas différer d’un instant la mission qui me fut confiée, j’allai chez son frère Anselme, accompagné du soldat Guillaume dont le défunt avait parlé, et je racontai en ordre tout ce que son frère défunt me dit. Mais il était homme du monde, il ne crut pas ce que je lui dis ou n’en fit aucun cas.

— Qu’ai-je à faire de l’âme de mon frère ? Il a eu toutes ces choses pendant qu’il vivait, pourquoi n’a-t-il pas réparé ses injures lui-même ? Pourquoi n’a-t-il pas fait satisfaction lui-même ? C’est à lui d’y voir, moi je ne veux pas faire pénitence pour ses péchés.

Nous l’avons alors quitté. Après quelques jours seulement, seul assis dans ma maison ruminant les choses que j’avais vues, d’un coup le défunt soldat se présenta devant moi, sans arme et à pied (non sur un cheval).

— De la part du tout-puissant Dieu, par tous ses saints, je t’adjure de partir sur-le-champ et de ne plus m’infliger de peur, quel esprit que tu sois, dis-je affolé.

— Parce que me voir te trouble à ce point, tu ne me verras plus dans ce siècle... Sache que c’est Dieu qui a voulu que je t’apparaisse une 3e fois pour que j’accomplisse par toi ce que je ne peux accomplir par lui. Il y a plus de raisons pour toi que lui de me venir en aide, car tu as été un père en l’Esprit, lui un frère par la chair.

Aussitôt qu’il disparut, je me mis en marche pour aller voir le paysan de qui il avait volé le boeuf et lui restituais le prix (car il m’a dit qui il était et où il demeurait). Pour la 2e commission, je ne pus rien faire, c’était au-delà de mes moyens de prêtre ; mais un jour donné je réunis un grand nombre de prêtres pour qu’ils offrent à Dieu le saint-sacrifice. Je distribuai aussi des aumônes aux pauvres et demandai à plusieurs prêtres et religieux de prier pour lui. Dès lors il ne reparut plus.

 

 

 

 

Des morts

Ceux qui ont les visages éclairés seront dans la miséricorde d’Allah.

 

LE MÉDECIN | Journal de Paris 1804, (21 thermidor) An XII, p. 2118 h Migne 1861, Répertoire des apparitions œ Dom Calmet 1751, Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires &, p.238

Citation d’Augustin [354‒430, Algérie]. Un médecin nommé Génirade, fort connu à Carthage pour son habilité et pour son amour pour les pauvres, doutait qu’il y eut une autre vie après celle-ci, car pour lui, quand on est mort, tout est mort. Une nuit, il vit en songe un jeune homme qui lui dit de le suivre. Il conduit Génirade dans une ville où il entendit à sa droite des mélodies qui le frappèrent d’admiration. Mais il ne se rappela pas ce qu’il entendit à sa gauche. Se réveillant, il conclut qu’il y avait peut-être autre chose que ce monde. Une autre nuit, il vit dans son sommeil le même jeune homme qui dit :

— Me connais-tu ?

— Fort bien, dit Génirade.

— D’où me connais-tu ?

Il lui dit ce qu’il avait vu dans la ville où il l’avait conduit.

— Est-ce en rêve ou éveillé que tu as vu tout cela ?

— En rêve, dit-il.

— Où est ton corps à présent ?

— Dans ma chambre.

— Sache qu’à cet instant tu ne vois pas par les yeux du corps.

— Je le sais.

— Quels sont les yeux par lesquels tu me vois ?

Comme le médecin hésita à répondre, le jeune homme dit :

— Tu me vois et m’entends alors que tes sens sont engourdis et que tes yeux sont fermés. Après ta mort, tu vivras, tu entendras, tu verras, par les yeux de l’âme. Ne doute plus de l’autre vie après celle-ci.

Génirade se dit que si son âme avait voyagé dans son sommeil, elle n’était donc pas liée à la matière.

···

Deuxième citation d’Augustin concernant un malade, Curma de Tullium, près d’Hipponi Algérie, membre de la pauvre classe municipale, peu éligible pour servir de juge à cette ville. On pouvait à peine sentir une légère respiration indiquant qu'il était encore en vie, ce qui l'empêcha d'être considéré comme mort, puis ensuite enterré. Il n’a pas bougé d’un doigt ni des yeux, ne mangea rien, n’indiquant aucun signe corporel s’il fut touché de quoi que ce soit. Après de nombreux jours, en ouvrant les yeux, la première chose qu'il dit est :

— Que quelqu'un aille chez Curma le ferronnier pour voir ce qui s'y passe.

On y alla et on apprit que le ferronnier était mort au moment même où lui revint, ressuscité des morts. Curma déclara avoir vu beaucoup de choses comme en rêve, et ceux restés à ses côtés écoutèrent comment il avait été relâché, tandis qu'il fut ordonné à l'autre Curma de venir. Il avait entendu qu’il n'était pas le Curma officiel, c’est le ferronnier qui avait reçu l’ordre de se faire conduire au lieu de la mort. Dans les visions de son sommeil, il avait aperçu des personnes qu'il avait connu de leur vivant, et il vit aussi comment les défunts se faisaient traiter, chacun d’après leurs différents mérites. Il vit aussi des personnes encore vivantes aujourd’hui, des ecclésiastiques de son presbitère, qui lui ont recommandé de se faire baptiser à Hipponi par moi Augustin. Après qu’il vit cette chose se réaliser, il dit avoir été conduit au paradis, et de là comment il fut relâché pour retourner dans sa famille, et entendit dire :

— Va te faire baptiser si tu veux venir dans cet endroit béni.

Quand il fut averti de se faire baptiser, il répondit que cela avait déjà été fait. Celui qui parlait lui dit :

— Ce que tu as vu n’était qu’une vision. Va te faire baptiser.

Après qu’il reprit connaissance, il alla à Hipponi tandis que Pâque approchait, et soumit son nom parmi les autres qui s’étaient en grand nombre faits instruire, qu’il ne connaissait pas personnellement et il fut baptisé. Et après les jours saints, il retourna chez lui. Il ne s’était pas préoccupé de partager sa vision avec moi ou à d’autres. Ce fut seulement deux ans après que j’appris toute la vision. D’abord je l’entendis à la table d’un ami que nous avons en commun, alors que nous parlions de plusieurs choses sur son étonnante maladie. Puis me fiant en cela, je fis dire l’histoire par Curma lui-même en présence de gens de confiance, pour confirmer ce qui avait été dit. Ils se souvenaient de tous les faits qu’il me dit. Il est certain que Curma ne vit rien de ce qui lui fut présenté en vision par les yeux corporels. Ce sont-là des effets du Pouvoir de Dieu, qui se sert des anges pour avertir et consoler, ou bien effrayer les mortels selon la profondeur de ses jugements.

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LE VIOLEUR | Peladan 1861, La France littéraire, artistique, scientifique, 16 nov, p.121

Cette apparition est survenue du temps des empereurs byzantins Anastase et Justin [430‒527], elle fut consignée par Agathias [536‒582, Grèce] dans son histoire Agathiae Myrinaei Historiarum Libri Quinque. Les philosophes, Damanius, Simplicius, Eulamius, Diogènes, Hermias et Isidore avaient médité de quitter l’empire et ils se retirèrent en Perse, où régnait Chosroes. Arrivés au pays du culte de Zoroastre, ils y trouvèrent le vice tellement en honneur qu’ils en furent effrayés : ils refusèrent les magnifiques offres du roi et revinrent chez eux. Ayant cheminé jusqu’au moment du soir, ils cherchaient un abri pour la nuit quand ils aperçurent le corps d’un homme mort, aussi ils lui firent donner sépulture par leurs serviteurs. Dans la nuit, un spectre à l’habit de philosophe s’approcha du lit de l’un d’eux, le réveilla, disant :

— N’enterre pas celui qui ne mérite pas mais laisse son corps en proie aux chiens : la terre a horreur de celui qui n’a pas craint de souiller sa mère et la violer.

Le jour vient, on se lève. Le philosophe qui a eu la vision la raconte à ses compagnons. En passant par le champ, ils trouvèrent le cadavre nu là où ils l’avaient fait inhumer, la terre l’avait rejeté de ses entrailles. Telle était la corruption des perses lorsque l’inceste même était pratiqué par les mages.

À moins qu’il ne plaise à Dieu de vous envoyer quelqu’un pour vous instruire de sa part, n’espérez pas de réussir jamais dans le dessein de réformer les moeurs des hommes. Le même philosophe, après avoir prouvé que la piété est la chose la plus désirable, ajoute, mais qui sera en état de l’enseigner si Dieu ne lui sert de guide ? Oeuvres complètes de M. le vicomte de Chateaubriand, 1836, tome 3 (Génie du christianisme), p.364

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LA VIERGE AUX PRÉCIEUX HABITS | D’Andilly 1702, Les vies des saints-pères des déserts, c.18, p.20 - Le Jeune 1880, Missionnaire de l'oratoire etc., p.510 h Moschus [550-619], Le pré spirituel

Cette histoire fait partie de la littérature monastique des premiers siècles de l’Église sur les édifiantes actions des pères au Ve siècle. À cette époque les moines quittent le siècle pour trouver le repos en Dieu par le rude chemin de l’ascèse, la tranquillité d’âme au désert, à l’exemple de st Marc. Voici ce que rapporta Jean Moschus, supérieur d’un couvent qu’on appelait le monastère des Géants quand il vint à ThéopoleAntioche. Il y a quelques temps, un jeune homme vint à moi et dit dans de profonds soupirs, et versant des larmes :

— Mon-père, je vous supplie au nom de Dieu de me recevoir, car je désire faire pénitence.

Le voyant si affligé et repentant, je lui répondis :

— Déclarez tout franchement sans m’en rien dissimuler. Quelle est la cause qui produit en vous une si grande douleur ? J’espère que Dieu vous assistera, comme il est tout-puissant.

— Vous voyez devant vous un très grand pécheur.

— Sachez qu’il y a un très grand nombre de plaies, et autant une grande quantité de remèdes. C’est pourquoi si vous désirez guérir, dites-moi sincèrement quelles sont les vôtres, que j’y apporte des remèdes qui leur soient propres. On traite diversement les maladies de l’âme, ainsi qu’on fait pour les maladies du corps : on ne traitera pas un impudique de la même manière qu’un meurtrier, ni un avare d’un menteur, ni un homme colérique d’un voleur et d’un adultère, ainsi que les autres vices.

À ces paroles, ce jeune homme soupira profondément en mêlant ses sanglots aux larmes, il se frappa l’estomac dans la confusion, accablé de tristesse, tombant en défaillance sans la force de parler. Voyant que son affliction le réduisait au désespoir, qui ne lui permettait ni de parler du mal qu’il avait fait, ou des peines qu’il avait endurées, ou la misère où il se trouvait, je lui dis :

— Mon fils, faites-vous peu violence, rapportez-moi quand quel malheur vous êtes tombé, car notre-seigneur peut vous secourir... Lui, qui par sa clémence et sa miséricorde infinie, a souffert pour notre salut tout mal inimaginable ; lui qui a conversé avec les publicains, qui n’a pas rejeté les prières d’une courtisane, qui a exaucé les voeux d’un voleur, et qui a été nommé l’ami des pécheurs. Sans doute qu’il vous recevra dans ses bras avec joie, quand il verra que vous êtes pénitent et converti. Il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il vive par sa conversion. (Ézéchiel 33:16)

Le pauvre homme fit un effort en modérant un peu ses larmes et ses soupirs, et me dit :

— Mon-père, mes crimes sont tels que je ne suis pas digne de regarder le ciel, n’y de marcher sur terre...
Il y a tantôt trois jours que j’ai appris la mort de la fille d’un des principaux de la ville, qu’on l’avait enterrée hors de la ville revêtue de quantité d’habits fort précieux.

Une vierge très-pure et très dévote étant morte, ses parents, pour la mettre au tombeau, l'habillèrent de robes précieuses comme s’ils eussent voulu l’envoyer à des noces, car en effet, le jour de sa mort fut le jour de ses noces puisqu‘elle allait accomplir dans le ciel le mariage qu’elle avait commencé sur terre avec le fils de Dieu. Le Jeune 1880, Missionnaire de l'oratoire etc., p.510

— L’habitude que j’avais à faire le mal me poussa à entrer de nuit dans son sépulcre. Je la laissai aussi nue que quand elle vint au monde, l’ayant entièrement dépouillée sans même lui laisser sa chemise. Mais comme je voulais sortir, elle se leva, et de sa main gauche me prit ma main droite, elle me dit :

— O plus méchant et plus scélérat des hommes, comment as-tu eu l’audace de me mettre ainsi toute nue ! Si la damnation perpétuelle du Jugement de Dieu ne peut te donner crainte, ne devais-tu pas au moins avoir pitié de moi après ma mort ? Et faisant la confession d’être chrétien, n’as-tu pas eu honte de laisser ainsi une chrétienne nue ? N’as-tu pas respecté ma féminité, cette féminité auquelle tu dois la vie, n’as-tu pas craint d’outrager aussi ta mère ? Misérable, plus misérable qu’on ne saurait dire ! Lorsqu’il te faudra comparaître devant l’effrayant tribunal de Jésus Christ, quelle raison pourras-tu lui dire du crime que tu viens de commettre contre moi. Aucune personne de l’extérieur n’a vu mon visage durant ma vie, et toi après ma mort tu es entré dans mon sépulcre pour me dépouiller, et tu as regardé mon corps.
Ce spectacle et paroles me remplirent d’une grande terreur ; je fus saisi de peur et de tremblement et lui dis avec peine :

— Laissez-moi aller et je ne ferais plus rien de pareil de ma vie…

— Il n’en sera pas ainsi ! Tu es entré dans mon sépulcre comme tu veux, tu n’en sortiras pas comme tu veux, dit-elle, il sera commun à tous deux. Ne t’imagine pas y mourir à l’heure même, tu y seras tourmenté pendant plusieurs jours, et puis, misérable malheureux, tu rendras ton âme que tu n’as pas craint de perdre par un péché si détestable.

Redoublant mes instances en les joignant de larmes, afin qu’elle me laisse aller, je la conjurai par le Dieu Tout-puissant d’avoir pitié de moi, et je lui promis avec serment qu’il ne m’arriverait plus jamais de tomber dans de telles fautes. Se laissant fléchir par tant de prière, de larmes, et de soupirs, elle me dit :

— Si tu veux sauver ta vie en te libérant d’un tel mal, promets-moi que si je te laisse aller, tu renonceras aussi au siècle, et non seulement, que tu deviendras dès à présent un solitaire pour servir Jésus Christ et faire pénitence de tes crimes.

— Je promets par le Dieu à qui je dois rendre mon âme, d’accomplir non seulement ce que vous venez de m’ordonner, mais d’aller tout de ce pas dans un monastère sans entrer dans ma maison !

— Revêtez-moi comme j’étais, me dit-elle.

Ce qu’ayant fait, elle reprit l’état comme elle était auparavant, et retourna dans son repos. À la fin de son récit, je l’exhortai à garder courage et à endosser continence et pénitence, disant :

— Des semblables vous arrivera et encore pis, si vous ne faites pas pénitence des sales impudicités que vous avez faites, et que vous avez fait faire à vos complices. Quand vous serez dans l’autre monde, toutes les filles que vous avez déshonorées, toutes les femmes que vous avez débauchées, et tous ceux qui sont perdus par les mauvaises pensées causées par vos flatteries, se lèveront contre vous et demanderont justice à Dieu ! Ils exerceront sur vous juste vengeance, vous maudissant et vous faisant des reproches, vous déchirant en vous tourmentant durant toute l'étendue des siècles.

Je lui donnai un habit de solitaire, lui coupai les cheveux, puis je l’enfermai dans une caverne sous la montagne (où il rend des actions de grâce, et combat avec profusion pour le salut de son âme).

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L'ÂME D'UNE VIE SCANDALEUSE | St-James’s Magazine (Dec to March 1864), vol. 9, p.34 f The Month: A Catholic Magazine, vol. XC (July-December 1897), p.505

William de Newburgh [1136‒198, Angleterre] rapporte trois récits dont chaque personnage est lié à une localité précise. Ce sont les spécimens de beaucoup d’autres qui se sont produits en l'espace de quelques mois. À Berwick-upon-Tweed Écosse, le fantôme de Berwick était celui d'un homme riche ayant eu une vie scandaleuse. Après son enterrement, il sortit de sa tombe (par le moyen de satan, comme on le croit), et courra à travers les rues, pourchassé par une meute de chiens en aboie. L'horreur qui suivit forçait tout le village à l'intérieur des portes après la tombée de la nuit ; les gens du peuple craignaient que le fantôme les harcelle, et les plus éduqués avec discernement craignaient que le passage de cette chose allant et venant à travers les rues, engendre un fléau peste, ce dont on a de nombreux cas similaires. Le fantôme l’âme était apparu au moment qu'il se faisait emporter par satan et avait laissé savoir que le seul moyen de se débarrasser du démon serait de brûler le corps jusqu’aux cendres. Par conséquent, ils employèrent dix jeunes hommes solides pour déterrer le cadavre, ils le coupèrent membre par membre et les brûlèrent. Et en conséquence le spectre ne fut plus vu.

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L'ÂME DU VOLEUR | Rivière 1862, Miracles de st Martin, grand thaumaturge des Gaules, p.37

Dans les environs du monastère de Tours, il y avait un lieu fréquenté par les chrétiens persuadés d’être sur le tombeau d’un martyr qui avait souffert dans les premières persécutions de l’Église. En suivant l’avis commun du peuple, les évêques précédents y avaient placé un autel, mais st Martin l’évêque du monastère de Tours ne crut pas devoir régler sa foi sur un bruit populaire, et s’informa soigneusement auprès des plus anciens prêtres du nom et du temps où avait souffert ce martyr. Trop éclairé pour qu’un faux saint obtienne le culte de l’Église par les pièges du démon, Martin découvrait toutes ses ruses et les rendait inutiles par la prière et la sagesse, avec lesquelles il pesait toutes choses et examinait les esprits. N’ayant rien pu découvrir de sûr, il crut de son devoir de s’abstenir de fréquenter ce lieu - sans l’interdire encore, parce qu’il n’avait pas de preuves suffisantes pour abolir une dévotion déjà établie, sachant combien Dieu est jaloux du culte qu’on rend à ses saints, sauf que si le principal fondement est en la vérité. S’en étant donc abstenu, après quelque temps il y alla accompagné d’un nombre de ses disciples, un jour que la foule n’y était pas tant. Se tenant debout près du tombeau, il demanda à Dieu qu’il lui plaise de lui faire connaître quelle était la personne enterrée en ce lieu, et quel était son mérite à ses yeux. Sa prière ne fut pas sitôt montée au Trône de Dieu qu’il aperçut un hideux spectre. Il lui donna l’ordre de dire son nom et qui il était. Le spectre obéit, et d’une voix claire, il répondit qu’il avait été fameux voleur mis à mort pour ses crimes, et qu’on honorait par erreur comme martyr.

— Étant retenu dans les peines, dit-il, je n’ai rien en commun avec les martyrs qui se réjouissent d’une gloire immortelle avec Dieu.

Et il disparut après avoir fait cette déclaration. Les disciples de Martin entendirent la réponse du spectre mais ils ne virent pas. Et après avoir rapporté ce qu’il avait plu à Dieu de lui découvrir, Martin fit retirer l’autel qu’on avait placé là.

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DOROTHÉE | Fontaine 1684, Vie des saints pour tous les jours, vol.1, p.322 (Dorothée) g De Plancy 1821, Dictionnaire critique des reliques et images miraculeuses, tome 1, p.255 h Moréri 1759, Dictionnaire historique, mélange curieux de l'histoire, p.230 f St-Adelme 709, Carmina Adelmi episcopi de laude virginitatis

Un manuscrit du 12e siècle de ste Dorothée, relié aux armes de l’empereur Napoléon Bonaparte [1769‒1821, France],fut le seul qui soit revenu de Paris après la bataille de Waterloo. Au 3è siècle, sous le règne de l’empereur romain Dioclétien [244‒311, Dalmatie], une jeune vierge de Cappadoce Anatolie nommée Dorothée de Césarée [279‒311] avait beaucoup souffert en la cause de Jésus Christ. Elle fut menée à son dernier supplice pour avoir la tête tranchée, néanmoins, elle se réjouissait et parlait avec joie du paradis où elle allait rejoindre le divin époux des vierges. L’avocat Théophile se moqua de ses espérances en riant :

— Eh bien épouse de Jésus Christ, quand vous serez en paradis, envoyez-moi des fleurs du jardin de votre époux céleste !

Dorothée le promit, remplie de foi. Arrivée sur le lieu du supplice, elle pria le bourreau de lui laisser faire une dernière prière. Comme elle était à genoux, un radieux enfant lui porta du paradis trois fruits et trois roses que personne n’avait vus d’aussi beaux. Elle dit à l’enfant, avant de tendre son cou au bourreau pour qu’il lui tranche :

— Je vous prie de porter ces fruits et ces roses à Théophile, et lui dire que c’est ce que promis.

Quand l’enfant rejoint Théophile et qu’il lui remit le cadeau, Théophile crut en voyant ces roses et confessa le nom de Jésus Christ. (Peu de jours après il reçut lui-même la couronne de martyr). C’est en mémoire de ce miracle que le 6 février de chaque année, on bénit des roses et des pommes à l’Église Santa-Dorotea en la ville de Rome. Une autre relique du corps de steDorothée est à Rome et à BologneItalie où on bénit pareillement des roses et des pommes le jour de sa fête, ainsi que dans l’Église Saint-Honorat à Arles, à Lisbonne, à Prague, et à Sirck de Trèves. En plus de ces six, on montrait des reliques de ste Dorothée de Cappadoce dans dix églises de Cologne, dans plusieurs autres villes d’Italie, de France, d’Espagne, et ailleurs.

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LA PETITE FILLE | Maria Simma 2002, Les pauvres âmes du purgatoire (entretien avec N. Elts, Autriche)

Deux familles vivaient côte à côte, l’une riche et l’autre relativement pauvre. La petite fille de la famille riche dit un jour à sa mère qu’elle voulait donner ses beaux habits et ses jouets à sa petite voisine. La mère évidemment intriguée lui demanda pourquoi, et elle répondit qu’elle pourrait toujours aller chez sa petite voisine pour jouer avec elle. Ce à quoi la mère répliqua que cette petite fille pouvait bien venir jouer ici.

— Non non, insista la petite, je dois le faire et je le ferai.

Les parents firent ce qu’ils purent pour la faire changer d’avis mais en vain, et finalement, elle fît exactement ce qu’elle a dit. Deux jours plus tard, elle sortit précipitamment hors de la maison et fut renversée par une voiture. À sa mort, les parents, éperdus de douleur, sont venus me demander pourquoi cela devait arriver. J’ai accepté de le demander aux pauvres âmes et la réponse est venue rapidement :

— Leur souffrance à la perte de cette petite fille a assuré qu’un de leurs garçons ne se perde pas.

C’était donc une réparation anticipée pour quelque chose que Dieu voyait arriver, car maintenant ces deux enfants seront bientôt avec lui, et pas seulement un des deux.

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ABRAHAM & MOSHÉ | Les évangiles de Thomas p. 25, Filbluz 2018 | Patrologia Orientalis 1920, tome 14, p.789 (14e miracle) | Patrologia Orient. 1923, tome 17, p. 785 (22e miracle)

Arrivé à Jérusalem, Jésus entra dans le Temple avec beaucoup de gens des juifs et des scribes. Les juifs se mirent à converser entre eux, s’étonnant de la structure du Temple, de sa majesté et sa solidité, et dirent à Jésus :

— O maître, ne vois-tu pas la grandeur et la gloire des ornements de ce Temple ?

— Oui il est beau comme vous dites, mais si vous voulez le détruire, je le relèverais moi-même au 3e jour.

— À cause de ces paroles les gens te regardent comme fou, lui dirent les juifs.

— Si vous regardez mes paroles comme folie, pourrez-vous mépriser les prodiges que je ferais ?

— Nous méprisons ta parole car tu parles de ce qui n’est pas permis et tu te fais toi-même Dieu. Nous verrons si tu fais un prodige… lui dirent-ils.

— Ne croyez pas en moi si je fais ce qui ne ressemble pas aux actes de mon Père.

Se tournant vers le Temple, il vit l’image de la vision d’Ézéchiel d’une roue qui porte quatre animaux avec une face d’humain, une face de lion, une face de boeuf et une face d’aigle.

— Qu’est cette image ? leur dit Jésus.

— C’est l’image de la vision du prophète Ézéchiel, dirent-ils.

— Cette image n’est-elle pas faite de diverses figures ?

— Oui nous savons cela, dirent-ils.

— Si moi-même j’ordonne à ces images d’animaux de devenir des esprits, ne croirez-vous pas que je suis le fils de l’homme qui a pouvoir sur tout ce qu’il a fait, et qu’il n’y a de pouvoir que la sienne ?

— Nous savons maintenant que ton esprit divague et ta raison te manque, fils de Joseph, dirent les juifs.

— Si je ne fais pas comme je vous dis, si je ne rends pas ces images vivantes, vous saurez que je suis fils du charpentier Joseph comme vous dites.

— Fais pour que nous voyions, lui dirent-ils. Si tu fais cela, nous croirons que tu es le fils du Seigneur, le messie que les nations attendent pour sauver le monde entier.

Jésus se tourna vers ces images et dit :

— À vous images antiques je vous dis, ayez un esprit en vous, qu’une chair vienne pour vous ! Descendez de votre place sur le sol où nous nous trouvons nous-mêmes et allez tous vers les tombeaux où se trouvent Abraham, Isaac, Jacob, vers les enfants des pères des premiers jours, de tous ceux qui sont enterrés avec eux. Et dites-leur : Le fils du Seigneur éternel Adonai Bara Iehvahבּוֹרֵאאָדוֹן le Créateur, vous ordonne tous de venir dans le Temple, avec l’un de vos fils qui connaissait mes mystères, et l’histoire de ma venue dans le monde, pour informer vos fils les juifs de tout que je suis, d’où je suis venu, où je vais.

Dès que Jésus dit ces paroles à ces images, il survint sur la terre de Jérusalem de grandes ténèbres, un tremblement de terre, des éclairs violents et un vent d’ouragan, au point que tous les gens de Jérusalem tombèrent face à terre. Puis les ténèbres s’éloignèrent. Les gens virent ces images devenir des animaux, qui se déplacèrent jusqu’au sol ; les faces d’homme, de lion, de boeuf et d’aigle partirent avec rapidité aux lieux des tombeaux des pères Abraham, Isaac, Jacob, et des douze enfants des pères, l’aigle partit vers le tombeau du prophète Moshé : ils les appelèrent et les amenèrent au Temple comme Jésus avait ordonné, arrivant aussi vite qu’un clin d’oeil. Tous ceux des enfants d’Israel qui se trouvaient là regardèrent et virent Abraham avec sa chevelure blanche, Isaac apparut sous le même aspect qu’avant sa mort, Jacob avec la marque que l’ange du Seigneur lui fit lorsqu’il l’aborda à Aram; ils virent aussi Moshé le visage illuminé et le reconnurent au balbutiement de sa langue. Abraham se mit à parler et dit :

— O assemblée des juifs, je suis votre père, voici mes deux fils, Isaac et Jacob, voici aussi le prophète Moshé qui est plus grand que mes fils. Voici, nous sommes arrivés ensemble avec les pères que vous voyez avec nous, par le pouvoir de cet homme dont vous niez la divinité. Mes enfants, écoutez-le et obéissez même à sa parole.

Moshé s’avança pour parler et leur dit :

— O mes frères, enfants d’Israel, je suis Moshé qui a fait sortir vos pères d’Égypte d’une main forte et à bras étendu. C’est moi qui ai châtié l’Égypte par dix plaies, c’est moi qui ai divisé la Mer Rouge pour faire sortir vos pères et engloutir pharaon et ses troupes en elle. Tous les prodiges que j’ai faits, j’ai agi par le pouvoir de cet homme qui se tient debout au milieu de vous.

Moshé étendit ses mains vers Jésus et dit :

— C’est lui qui m’a parlé dans le buisson. C’est lui qui a fait descendre pour vous la manne dans le désert. C’est lui qui a fait sortir pour vous l’eau du rocher dur. C’est lui qui a illuminé pour vous les ténèbres par la colonne de feu tandis que vous alliez. C’est lui qui, au sommet de la montagne, m’a dit son Nom, Ahyah acher ahyah אֶהְיֶה אֲשֶׁר אֶהְיֶה, qui signifie celui qui a existé existera, qui est le Seigneur des armées. C’est lui dont j’ai moi-même prophétisé la venue et vous ai dit que le Seigneur fera surgir de vos frères parmi vous un prophète comme moi. (Deut 18:15). C’est lui qui m’a fait entrer dans la caverne au sommet de la montagne. C’est lui qui a autrefois façonné de ses mains notre père Adam pour le faire à son image et sa semblance. Il est venu dans le monde sauver Adam de la peine du péché d’égarement. Écoutez-le enfants d’Israel et obéissez-lui, car toutes les âmes parmi le peuple qui ne l’écouteront pas périront…

Moshé termina de parler aux enfants d’Israel et le visage de Jésus s’illumina, sa lumière s’intensifia et devint comme le soleil. Les enfants d’Israel qui étaient présents le virent et tombèrent sur leur face comme des cadavres. Il ne leur était pas possible de répondre un mot, la plupart crurent en lui. Jésus les fit se relever et fortifia leurs coeurs :

— Contesterez-vous après que ces pères soient devenus pour moi des témoins ? Ne vous vantez pas d’Abraham votre père, car j’ai pouvoir de faire sortir de ces pierres des fils à Abraham.

Les pères Abraham, Isaac, Jacob avec Moshé et tous les anciens qui étaient ressuscités de leurs tombeaux appelèrent les hommes à la foi du messie : ils annoncèrent Jésus par son nom pendant trois jours à Jérusalem. Les juifs qui ne les croyaient pas et ne les recevaient pas comme leurs pères, leur jetèrent des pierres en disant :

— Sorciers de la compagnie de Jésus ! Les sorciers Janès et Janbrès faisaient de plus grands prodiges en Égypte que ce fils de charpentier !

— Si vraiment je suis sorcier, dit Jésus, ces pères purs sont-ils aussi sorciers… En vérité je vous dis, je ferais sortir de vous et contre vous des juges qui vous feront opposition au jour du jugement et de résurrection, lorsque je viendrais dans ma gloire et dans la gloire des armées de mes anges purs.

Quand ils eurent entendu les paroles de Jésus, ils lui jetèrent de nouveau des pierres. Une nuée emporta Jésus jusqu’au fleuve du Jourdain où les pères vinrent vers lui et lui dirent :

— O seigneur, que nous ordonnes-tu maintenant que nous avons vu ta gloire ?

— Retournez en paix là où vous avez ressuscités.

Ils revinrent à leurs places en rendant grâces au Seigneur.

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DESFONTAINES | Du Fresnoy 1752, Recueil de dissertations anciennes et nouvelles sur les apparitions, p.38

Un prêtre nommé Bézuel qui enseigne aux enfants à lire, a vu une apparition il y a dix ans ; suite à quoi il termina ses études pour endosser l’état ecclésiastique et devint le curé de Valogne France et vécut longtemps, estimé de ses paroissiens et de toute la ville, pour son bon sens, ses moeurs et son amour de la vérité. Comme cela fit beaucoup de bruit à cause de sa réputé sincérité et droiture, j’eus la curiosité de l’entendre lui-même conter son aventure. Une Dame de mes parentes qui le connaissait l’envoya prier à dîner le 7 janvier 1708. Comme je, du Fresnoy, lui marquai du désir de savoir la chose de lui-même, il nous la conta sans se faire prier avant le dîner. En 1695, dit monsieur Bézuel, alors jeune écolier d’environ quinze ans, je connus les deux fils de monsieur Desfontaines, procureur, écoliers comme moi. L’aîné était de mon âge s’appelait Desfontaines, le cadet avait dix-huit mois de moins que moi. Nous faisions nos promenades et toutes nos parties de plaisir ensemble. Et soit que Desfontaines eut plus d’amitié pour moi, soit qu’il fut plus gai, plus complaisant, plus spirituel que son frère, je l’aimais aussi davantage.

En 1696, nous promenant tous deux dans le cloître des capucins, il me conta qu’il avait lu depuis peu une histoire de deux amis qui s’étaient promis que celui qui mourrait le premier viendrait dire des nouvelles au vivant. Le mort revint et lui dit des choses très-surprenantes. Sur cela, Desfontaines me dit qu’il avait une grâce à me demander, qu’il me la demandait instamment, c’était de lui faire une pareille promesse, et que de son côté, il me la ferait. Je lui dis que je ne voulais pas. Il fut plusieurs mois à m’en parler très-souvent, je résistais toujours. Enfin vers le mois d’août 1696, comme il devait partir pour aller étudier à Caen, il me pressa tant, les larmes aux yeux, que j’y consentis. Il tira dans le moment deux petits papiers qu’il avait écrits tout prêt, l’un signé de son sang où il me promettait en cas de mort de venir me dire des nouvelles, l’autre où je lui promettais pareille chose. Je me piquai au bout du doigt, il en sortit une goutte de sang, avec laquelle je signai mon nom. Il fut ravi d’avoir mon billet, et en m’embrassant il m’en fit mille remerciements. Quelques temps après il partit avec son frère, notre séparation nous causa bien du chagrin, nous nous écrivions de temps en temps de nos nouvelles, et il n’y avait que six semaines que j’avais reçu de ses lettres, lorsqu’il m’arriva ce que je vais vous dire.

Le 31 juillet 1697, il me souviendra toute ma vie de feu monsieur de Sortoville Sortosville, auprès de qui je logeais et qui avait de la bonté pour moi ; il me pria d’aller à un pré près des Cordeliers et d’aider à presser ses gens qui faisaient son foin. Je n’y fus pas un quart d’heure, vers les deux heures et demie, que je me sentis tout d’un coup étourdi et surpris d’une faiblesse. Je m’appuyai en vain sur ma fourche, il fallut que je me mette sur un peu de foin environ une demi-heure à reprendre mes esprits. Cela passa, mais comme rien de semblable ne m’était jamais arrivé, j’en fus fort surpris et je craignais le commencement d’une maladie. Il ne m’en resta cependant que peu d’impression le reste du jour (il est vrai que la nuit je dormis moins qu’à l’ordinaire). Le lendemain à pareille heure, comme je menais au pré de monsieur de Saint-Siméon, petit-fils de monsieur de Sortoville qui avait alors dix ans, je me trouvai en chemin attaqué d’une pareille faiblesse ; je m’assis sur une pierre à l’ombre, où cela se passa, et nous continuâmes notre chemin. Il n’arriva rien de plus ce jour-là, et la nuit je ne dormis guère. Enfin le surlendemain deuxième jour d’août, étant dans le grenier où on serrait le foin que l’on apportait du pré, précisément à la même heure, je fus pris d’un pareil étourdissement et d’une pareille faiblesse, mais plus grande que les autres. Je perdis connaissance, un des laquais s’en aperçut et cria en bas au secours. On me fit un peu revenir mais j’avais l’esprit plus égaré que les autres fois. On m’a dit qu’on me demanda alors qu’est-ce que j’avais et j’avais répondu :

— J’ai vu ce que je n’aurais jamais cru…

(Ça veut dire qu’il ne croyait pas que les morts revinssent comme il nous l’expliqua lui-même. Mais il ne se souvint ni de la demande, ni de la réponse. Cependant il se souvient d’avoir vu comme une personne torse nu, qu’il ne reconnut pas). On m’aida à descendre l’échelle, je me tenais bien aux échelons, mais au bas de l’échelle je vis mon camarade Desfontaines et la faiblesse me reprit ; ma tête s’en alla entre deux échelons et je perdis encore connaissance. On me descendit et l’on me mit sur une grosse poutre qui servait de siège dans la grande place des capucins ; je m’y assis et ne vis plus alors ni monsieur de Sortoville, ni les domestiques, quoique présents. Vers le pied de l’échelle, j’aperçus Desfontaines qui me faisait signe de venir à lui. Je me reculais sur mon siège comme pour lui faire place, et ceux qui me voyaient (que je ne voyais pas quoique j’eus les yeux ouverts) remarquèrent ce mouvement. Comme il ne venait pas, je me levai pour aller à lui. Il s’avança vers moi, et me prit le bras gauche de son bras droit, et me conduit à trente pas de-là dans une rue écartée, me tenant ainsi sans me quitter. Les domestiques croyant que mon étourdissement était passé et que j’allais à quelque nécessité, s’en allèrent chacun de leur côté à leur besogne, excepté un petit laquais qui vint dire à monsieur de Sortoville que je parlais tout seul. Monsieur de Sortoville crut que j’étais ivre, il s’approcha et m’entendit faire quelques questions et quelques réponses qu’il m’a dites depuis. Je fus là près de trois quarts d’heure à causer avec Desfontaines qui dit :

— Je t’ai promis que si je mourais avant toi je viendrais te le dire : je suis mort. Je me suis noyé avant-hier à la rivière de Caen France à peu près à cette heure-ci. J’étais en promenade (avec untels), il faisait si chaud qu’il nous prit l’envie de nous baigner. Il me vint une faiblesse et tombai au fond de l’eau. Mon camarade l’abbé de Mesnil-Jean plongea pour me reprendre, je saisis son pied, mais soit il eut peur que ce fut un saumon parce que je le serrais bien fort, soit il voulut remonter promptement de l’eau : il secoua si rudement le jarret qu’il me donna un grand coup dans la poitrine et me rejeta au fond de la rivière, qui est là fort profonde.

Desfontaines me conta ensuite tout ce qui leur était arrivé durant leur promenade, et de quoi ils s’étaient entretenus. J’avais beau lui faire des questions, s’il était sauvé, s’il était damné, s’il était au purgatoire, si je le suivrais de près ? Il continuait son discours comme s’il n’avait pas entendu ou comme s’il n’eut pas voulu m'entendre. Je m’approchai plusieurs fois pour le serrer, et il me parut que je ne serrais rien, je sentais pourtant bien qu’il me tenait fortement le bras, et quand je tâchais de détourner ma tête pour ne plus le voir, il me secouait le bras comme pour m’obliger à le regarder et à l’écouter. Il me paraissait plus grand que je ne l’avais vu, plus grand même lorsque mort, quoiqu’il avait dû grandir depuis dix mois que nous nous étions vus. Je le vois toujours torse-nu, la tête nue avec ses beaux cheveux, et un écriteau blanc entortillé dans ses cheveux sur son front, sur lequel il y avait de l’écriture mais je ne peux lire que ces lettres, I N… C’était son même son de voix, il me paraissait ni gai ni triste mais dans une situation calme et paisible.

Il me pria de dire certaines choses à son père et sa mère quand son frère serait revenu. Il me pria de dire les sept psaumes de la pénitence qu’il avait eu en pénitence le dimanche précédent mais n’avait pas encore récités (c’est une pénitence que l’on donne fort communément, et surtout aux écoliers). Il me dit encore de parler à son frère puis s’éloigna de moi en disant, Jusques, jusques ! (C’était le terme ordinaire dont il se servait quand nous nous quittions après la promenade pour retourner chacun chez nous). Il me dit que lorsqu’il se noya, son frère écrivait une traduction et s’était repenti de l’avoir laissé aller, craignant quelque accident (on sait que le régent donne aux écoliers des vers de traduction à faire, ils les font puis vont se promener). Il me dépeint si bien l’endroit où il se noya et l’arbre de l’avenue de Louvigni où il avait gravé quelques mots, que deux ans après, me trouvant avec feu le chevalier de Gotot Hotot (un de ceux qui étaient avec lui lorsqu’il se noya), je lui démarquai le même endroit. Et en comptant les arbres d’un certain côté, comme Desfontaines m’avait spécifié, j’allai droit vers l’arbre où se je retrouvai son écriture. Il me dit aussi que l’article des sept psaumes était vrai puisqu’ils s’étaient dit leurs pénitences au sortir de confession. Son frère me dit depuis, qu’il était vrai qu’à cette heure-là il écrivait sa version et qu’il se reprocha de n’avoir pas accompagné son frère.

Comme je passai près d’un mois sans pouvoir faire ce que me dit Desfontaines à l’égard de son frère, il m’apparut encore deux fois ; une fois, avant dîner, à une maison de campagne où j’étais allé à une lieue d’ici. Je me trouvai mal et dis qu’on me laisse un moment, que ce n’était rien, que j’allais revenir. J’allai dans le coin du jardin et Desfontaines m’apparut. Il me fit des reproches de ce que je n’avais pas encore parlé à son frère, et m’entretint un quart d’heure sans vouloir répondre à mes questions. En allant le matin à Notre-dame de la Victoire lycée Cordeliers, il m’apparut encore mais encore moins de temps, et me pressa toujours de parler à son frère, sans vouloir répondre à mes questions, et me quitta en me disant toujours, Jusques, jusques ! C’est une chose remarquable que j’eus toujours une douleur au bras, à l’endroit où il me saisit la première fois, jusqu’à ce que je parle à son frère. Je fus trois jours sans dormir une heure, dans l’étonnement où j’étais. Au sortir de la (toute) première conversation, je dis à monsieur de Varouville, mon voisin et camarade d’école à présent à l’armée dans le régiment de Touraine, que Desfontaines avait été noyé et qu’il venait de m’apparaître pour me le dire. Il était parti en courant chez les parents du mort pour savoir si cela était vrai. On venait de recevoir la nouvelle, et il revint et me dit en pleurant, cela n’est que trop vrai. Il ne m’est rien arrivé depuis, voilà mon aventure au naturel. On l’a conté diversement, mais je ne l’ai contée que comme je viens de vous la dire. Le feu chevalier de Gotot Hotot m’a dit que Desfontaines est aussi apparu à monsieur l’abbé de Mesnil-Jean qui demeure du côté d’Argentan, à vingt lieues d’ici.

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CES ÂMES QUI ONT PARLÉ | Dom Calmet 1746, Dissertations sur les apparitions des anges, des démons &, p.38 (xiv) œ Calmet 1739, Histoire universelle, sacrée et profane &, tome 5, p.479

Quant aux morts ressuscités pour peu de temps, st Augustin raconte que pendant son séjour à Milan, il y avait un jeune homme qui était poursuivi par un autre qui lui répétait une dette déjà acquitté par son défunt père (mais dont la quittance ne se trouvait pas). L’âme du père apparut à son fils, et lui enseigna où était la quittance qui lui donnait tant d’inquiétude.

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Macaire Macarius[300‒391, Égypte] moine ermite du désert de Sceté surnommé le jeune vieillard par sa maturité (l’abstinence des moines du désert, ou saints solitaires, était grande et Macaire les surpassait). Un mort ressuscita afin de témoigner de l’innocence d’un homme, accusé d’avoir tué quelqu’un ; le mort le disculpa, sans désigner le meurtrier. Le même Macaire fit parler un autre mort enterré depuis quelque temps pour découvrir un dépôt caché à l’insu de sa femme ; le mort déclara où était enfoui l’argent.

···

Une fois que Macaire d’Égypte marchait, il vit un crâne sur le sol et lui demanda :

— Qui es-tu ?

— J'ai été un grand prêtre des païens, répondit le crâne. Lorsque vous, abba, priez pour ceux qui vivent en enfer, nous recevons des atténuations.

— Quels sont tes tourments ? demanda le moine ermite.

— Nous sommes assis dans un grand feu et nous ne pouvons pas nous voir. Mais quand vous priez, nous commençons à nous voir un peu ; ce qui nous réconforte, dit le crâne.

Après avoir entendu cela, l’ermite se mit à pleurer et demanda :

— Y-a-t-il d'autres tourments aussi pénibles ?

— En dessous de nous sont ceux qui connaissaient le nom de Dieu, mais qui l'ont repoussé et n'ont pas gardé ses ordres : ils endurent des tourments plus pénibles encore, répondit le crâne.

···

Macaire ressuscita un mort pour convaincre un hiéracite qui niait la résurrection des morts, et qui par ses raisonnements cherchait à séduite les solitaires. Macaire lui dit :

— Qu’est-il besoin de tant de discours inutiles ? Allons aux tombeaux des morts, et que celui de nous deux qui en pourra ressusciter un soit reconnu de tous pour défendre de la vraie foi touchant la résurrection.

On alla au sépulcre des frères. L’hiéracite se défendit de tenter un si grand miracle, et dit que puisque Macaire l’avait proposé, c’était à lui de commencer. Macaire se prosterna pour la prière, et appela le nom d’un solitaire mort depuis quelque temps. Comme le solitaire lui répondit, on ouvrit le tombeau, on le délia ; il paraissait vivant, et rendit témoignage à la vérité. L’hiéracite s’enfuit et les frères le chassèrent du désert. Cassien raconte la chose autrement, il dit que l’hérétique était un eunomien que Macaire était venu trouver à la demande des chrétiens, qui lui proposa de ressusciter un mort, mais cet hérétique fit remettre la chose au lendemain, et s’enfuit dans la nuit. Macaire étant venu avec tout le peuple en un lieu où les égyptiens mettaient autrefois leurs morts (sans les enterrer) et il demanda à l’un d’eux :

— Si l’eunomien était venu, te serais-tu levé à ma voix pour le confondre ?

Le mort se leva et fit signe qu’il aurait obéi. Macaire lui demanda en quel temps il avait vécu. Il répondit qu’il avait vécu sous les anciens rois, et que le nom de Jésus Christ lui était inconnu.

— Dormez donc en paix jusqu’à ce que Jésus Christ vous ressuscite en votre rang à la fin des siècles, dit Macaire.

Rufin prêtre d’Aquilée (contemporain de Macaire d’Égypte et de Macaire d’Alexandrie) dit que ce mort était un moine décédé depuis peu. Cassien Ioannis Kassianos, 5e siècle, dit que c’était un ancien égyptien d’avant la venue de Jésus Christ. Il est donc probable que ce soit deux résurrections. Pour avoir vécu plusieurs années avec Macaire, Rufin a dû parler de la résurrection à laquelle il avait assistée.

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MICHELE | Du Sauzet 1718, Nouvelles littéraires, vol. 7, p.370 g Baronius 1696, Annales ecclesiastici, t.5, p.331 h Beloe 1811, Anecdotes of Literature and Scarce Books, p.383 (latin)

Marsilio Ficino [1433‒1499, Italie], chanoine de Florence estimé pour ses qualités, s’entretenait sur l’immortalité de l’âme avec son ami d’enfance philosophe Michele Mercati. Troublés par quelques idées philosophiques sur lesquelles ils ne s’entendaient pas, le chanoine et le philosophe convinrent que celui des deux qui mourrait le premier viendrait donner des nouvelles de l’autre monde, par le bon plaisir de Dieu. Puis ils se séparèrent, Ficin à son canonicat de Florence, et Mercati dans sa famille à San-Miniato, villes assez éloignées de l’autre, et passèrent longtemps sans se voir. Un soir à ses études philosophiques, Mercati entendit le galop d’un cheval qui arrêta à sa porte, il ouvrit sa fenêtre et vit un homme vêtu de blanc, monté sur un cheval blanc, qui s’écria :

— O Michele, Michele, c’est vraiment vrai. Vera vera sunt illa.

Mercati reconnut Ficino, son vieil ami le chanoine et le pria de s’arrêter, mais le cheval reprit sa course et bientôt ne le vit plus. Mercati envoya un domestique à Florence qui rapporta que Ficino était mort à la même date, à l’heure même où son âme était apparue. Mercati brûla ses livres de philosophie, et dit adieu à ses vaines études et au monde, il ne se préoccupa que de son salut. Le cardinal Baronius tient ce fait du petit-fils de Mercati, alors jeune philosophe, puis savant, médecin et protonotaire apostolique, autant recommandable par sa prudence que par sa probité droiture.

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LA CRUENTATION | Dupon 1837, Mémoires de Pierre de Fenin des événements passés en France et en Bourgogne sous les règnes de Charle VI et Charle VII, p.1 g Ranchin 1640, Opuscules ou traictes divers et curieux en médecine

Vérité est qu’entre Louis duc d’Orléans [1372‒1407] frère du roi Charle VI et Jean duc de Bourgogne [1371‒1419] cousin germain surnommé Jean sans-peur, y eut par plusieurs fois grandes envies de maltalens, eux dont y eut grosses assemblées de chacune partie pour trouver paix. Pour ce reçurent le corps de notre-seigneur ensemble pour plus grand confiance avoir l’un à l’autre. Et comme fut depuis apparent, la paix n’y était pas, car par la connaissance de Jean duc de Bourgogne, il fit tuer ledict duc d’Orléans.

Après que Louis duc d’Orléans fut mort, il y eut grand inconfort des gens de son hôtel qui menaient grand deuil que c’était pitié de les voir ; car ledict duc d’Orléans était horriblement navréblessé en la tête et au visage, et avait aussi un poing coupé. Et avec lui y eut un sien valet de chambre pour venir sauver ledict duc. En cet état ledict duc fut emporté de ses gens qui ne savaient que croire, alors qu’aucun pensait que cela eut fait le seigneur de Canni, pour ce que ledict duc lui avait soustrait sa femme, et pour cette cause haïssait-on le sir de Canni de mortelle haine : mais on sut bientôt après la vérité du fait que le seigneur de Canni n’y avait nulle culpabilité. Le lendemain, quand on vint à porter le duc enterre, il y avait beaucoup de grands seigneurs de son lignage à tenir la main au drap, à faire le deuil au corps quand il fut enterré aux Célestins. Entre les autres y était Jean le duc de Bourgogne qui avait fait faire cette besogne, et faisait le deuil par semblant, mais on n’en savait pas encore la vérité. En pendant qu’on le portait en terre, le sang coula du corps parmi le cercueil à la vue d’eux tous. Il y eut grand murmure de ceux qui étaient là, et de tels y en eut bien qui se doutaient de ce qui c’en était mais n’en dirent rien à présent. Après l’enterrement dudict duc, les seigneurs qui étaient là prirent conclusion d’être tous ensemble le lendemain pour cette besogne. Le duc de Berry dit au duc Jean :

— Beau neveu, déportez-vous d’entrer au conseil, il ne plait bien à chacun que vous y soyez.

Selon Monstrelet, le duc de Bourgogne s’était déjà déclaré l’auteur du meurtre lorsqu’il se présenta pour entrer au conseil.

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RAMBOUILLET | Rhys 1921, The Haunters and the Haunted

Le marquis de Rambouillet Charles d’Angennes [1577‒1652,France] et le marquis de Précy maison de Nantouillet, étaient tous deux engagés à la guerre, gentilshommes dans la trentaine liés par une étroite amitié : alors qu’ils discutaient sur les choses de l’autre monde, ils se promirent que le premier qui mourrait viendrait éclairer son ami. Trois mois après, Rambouillet partait en Flandre Belgique où Louis XIV faisait la guerre, tandis que Précy était retenu à Paris par une grosse fièvre. Environ deux mois plus tard, vers six heures du matin il entendit tirer ses rideaux ; se retournant pour voir qui était venu, il vit Rambouillet. Dans la joie de son retour, il sauta du lit pour une accolade, mais Rambouillet dit en reculant :

— J’ai été tué hier et je viens m’acquitter de la parole que je vous ai donnée. Je sais maintenant que tout ce qu’on a dit de l’autre monde est très certain. Je vous exhorte à vivre autrement que par le passé : vous n’avez pas de temps à perdre, car vous aussi vous serez tuédans la première affaire où vous vous trouverez.

Précy s’avança vers son ami sans rien toucher de palpable. Voyant son incrédulité, Rambouillet lui montra la plaie à ses reins qui l’avait tué et paraissait saigner. Quand il disparut, Précy fut dans la consternation. Il sonna ses domestiques et conta ce qui venait d’avoir lieu : on attribua cela à sa fièvre ou sorte d’hallucination. Les nouvelles arrivèrent cinq jours après par la poste de Flandre et confirmèrent la blessure mortelle de Rambouillet. Bien que beaucoup crurent que la vision de Précy puisse être réelle, on le dissuada qu’il n’y avait rien de surnaturel, qu’il n’avait fait qu’un songe éveillé. Mais la vérité dont ils doutèrent se confirma bientôt. Dès qu’il fut guéri de sa maladie, il se joint à la bataille de Saint-Antoine bien que son père et sa mère firent tout pour l’en empêcher, dans la crainte de voir se réaliser la prophétie. Il fut tué comme son ami l’avait prévenu, au grand regret de toute sa famille.

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LE BOURGEOIS | Le Loyer 1605, Discours des spectres ou visions et apparitions d’esprits (en 8 livres, éd. Buon), livre 6 | Société St-Victor 1851, Magasin catholique p.515

Voici l’histoire d’une âme du purgatoire de l’historien florentin, Jean Vilania, du temps du pontife Jean, 22e du nom, alors qu’Avignon fut le siège des papes et que Charle le-bel régnait en France dernier roi Capet, mort en 1323. L’âme d’un bourgeois décédé avant la fête des rois, fut tout abandonnée de ses proches qui ne priaient pas pour lui ; il apparut dans la ville d’Arles de manière visible et dit des choses merveilleuses de l’autre monde et des peines du purgatoire. Le gardien prieur des jacobins d’Arles en ProvenceFrance, homme de bien et de sainte vie, accompagné des religieux de son couvent, examina cette âme et la conjura en présence d’un nombre de gens de bien de la ville. Il apporta avec lui la sainte-hostie pensant que cette âme fut un esprit de diable déguisé se disant être l’âme d’un mort, ou que ce fut quelque imposteur se feignant esprit. Le gardien prieur le conjura au nom du Dieu vivant, et par la vertu de notre-seigneur Jésus Christ du saint-sacrement de l’autel, qu’il dise ce qu’il était. Quand l’âme vit le corps de notre-sauveur Jésus Christ, elle se découvrit aussitôt pour ce qu’elle était et adora en confessant qu’il est le vrai seigneur, en disant au gardien prieur :

— Tu as avec toi le sauveur du monde.

Satisfaite à la demande du gardien prieur, l’âme du bourgeois demanda du secours, autant qu’à ses confrères, que par leurs prières il puisse entrer dans les joies du paradis, desquelles il était exclu pour un temps, jusqu’à l’entière satisfaction de la Justice de Dieu, dû aux fautes commises durant sa vie. Ayant dit cela, l’âme du bourgeois disparut et ne fut depuis jamais revue.

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FERDINAND | Le Loyer 1608, Discours des spectres ou visions et apparitions d’esprits (en-8 livres, éd. Buon), livres 4 et 6 (pp. 386, 629) œ Migne 1861, Dictionnaire des sciences ou répertoire universel des apparitions, p.320

En 1494, à la mort de Ferdinand roi de Naples [1423‒1494, Italie], Charle VIII [1470‒1498, France] pénètre en Italie et prend le titre de roi de Naples : c’est le début de la première guerre d’Italie 1494‒1497. Avant que ce Charle, 8e de ce nom, entre en Italie à main armée pour conquérir le royaume de Naples ; durant cette guerre qui ébranla longtemps l’Italie, l’historien Guicciardini [1483‒1540, Italie] déclara qu’on entendait dans les airs les sons de trompette et de tambour, que ce bruit devint communen Italie. Durant trois nuits, l’âme du roi Ferdinand apparut par douces paroles d’abord, puis par des menaces, au chirurgien de la cour et chef-barbier nommé Jacques : il l’enjoint de dire en son nom à son successeur Alfonse, de ne pas espérer pouvoir résister au roi de France parce que c’était chose ordonnée de Dieu ; sa famille serait entièrement exterminée par divers accidents, et en fin, privée du royaume. La cause de l’ire de Dieu venait premièrement parce que Ferdinand avait beaucoup oppressé le peuple par des tributs, des tailles, des creusés, et des impositions extraordinaires, qu’il avait perpétré d’énormes vilains cas et fait mourir les plus grands de son royaume ; ce dernier point, son fils Alfonse ne pouvait l’ignorer, quand dans l’Église de Saint-Léonard (à Chiaia près de Naples), il avait conseillé son père de se défaire des plus grands. Ces enseignesinformations donnèrent à Alfonse une telle peur, qu’à la venue de Charle, 8e roi de France, il abandonna son royaume sans frapper coup.

Mille ans après la mort de Catalde l’évêque de Tarente Italie au 6è siècle, on raconte qu’il se montra au 16è siècle en vision à un jeune de Tarente, le chargeant de creuser à un endroit et déterrer un livre qu’il avait écrit de sa main, qu’incontinent qu’il aura trouvé ce livre, de le faire parvenir à Ferdinand le roi d’Aragon et de Naples qui régnait alors. Le jeune homme ne donna pas foi à cette vision, bien que Catalde lui était réapparu quasi tous les jours, l’obligeant à faire ce qu’il lui avait dit. Un matin avant le lever du jour, alors en prière, le jeune homme aperçut Catalde vêtu de l’habit d’évêque qui lui dit dans une sévère contenance :

— Parce que tu n’as pas considération de prendre le livre que je t’ai indiqué pour le transmettre au roi Ferdinand, une fois pour toutes, sois assuré que si tu n’exécutes pas ce que je t’ai commandé, il t’en adviendra mal !

Intimidé, le jeune parla de sa vision, et le peuple ému se rassembla et se joint avec lui à l’endroit indiqué. On creusa la terre et trouva un petit coffre de plomb si bien clos que l’air n’y pénétrait pas, et au fond du coffre le livre des misères qui devaient arriver dans le royaume de Naples au roi Ferdinand et à ses enfants, écrites sous forme de prophéties (qui allaient s’accomplir) : Ferdinand serait tué au premier conflit. À peine sur le trône, son fils Alphonse serait mis en déroute par ses ennemis et mourait exilé. Ferdinand le pulnécadet périrait à la fleur de son âge, misérablement accablé par les guerres. Et le petit-fils du défunt Ferdinand, Frédéric, verrait son pays brûler, saccager, et ruiner.

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CES ÂMES DANS LE TUMULUS | Saxo Grammaticus, Histoire des anciens peuples du Danemark et du Nord, livre V | Scott 1884, Letters, 3rd ed., p.91 | Landes 1886, Contes et légendes annamites (L’esprit malfaisant) | Plancy 1862, Légendes de l’autre monde pour servir à l’histoire, p.108

Les norvégiens, avant qu’ils reçoivent les lumières de l’évangile, croyaient que quand l’âme d’une personne quittait son corps, parfois un démon saisissait l’occasion d’occuper un corps humain entier. C’est dans ce contexte que Saxo Grammaticus, chroniqueur norse du 12è siècle, raconte l’histoire d’Asmund et Assueit, deux princes norses,qui s’étaient prêtés fraternité d’armes, s’engageant à se porter secours en toute situation, quel que fût le danger ; ils promirent par serment aussi qu’à la mort de l’un le survivant descendrait dans la tombe de son frère d’arme s’y enfermer avec lui. Le jour qu’Assueit fut tué dans une bataille, comme étant prince on creusa un tumulus tunnel souterrain, on y construit une solide voûte, et on descendit les chevaux et les armes des deux frères d’armes : on déposa le défunt sur la pierre, tandis qu’Asmund, sans hésiter, s’assit près de lui dans son appareil de guerrier. Les hommes posèrent une large pierre à l’ouverture du tumulus et se dispersèrent. Quelques jours après, accompagné d’une troupe de vaillants engagés dans une guerre périlleuse, un seigneur suédois traversa la vallée qui portait le nom des deux frères d’armes, et passant près du tumulus, il entendit l’histoire des deux héros et fit ouvrir le tombeau pour y prendre les armes. Dès que les soldats en firent l’ouverture, ils s’immobilisèrent frappés d’entendre sortir de cette tombe des cris et des cliquetis d’armes comme dans un combat enragé. Un jeune soldat descendit les reins noués à une corde, mais dès qu’il posa le pied au sol, quelqu’un prit la corde et remonta. Cet homme, le prince Asmund, avait son armure en pièces, l’épée à la main, son visage portait des marques de griffe du côté gauche. On retira aussi le vaillant soldat qui était descendu. Le chroniqueur Saxo mentionne qu’au sortir de son emprisonnement, Asmund récita aux hommes une série de versets, ayant comme refrain : Pourquoi êtes-vous consterné de me voir ainsi dépourvu de couleur ? Comment un homme qui vit avec des morts ne peut-il pas sortir quelque peu pâle de là !

Il raconta avec enthousiasme l’histoire de son combat : Après que la tombe fut fermée, un démon de l’espèce des goules avait saisi le mort et se jeta sur les chevaux pour les manger, puis vint le tour d’Asmund. Le valeureux prince avait pris ses armes pour se défendre contre ce démon, et avait enfoncé sa lance dans sa poitrine, ce qui l’immobilisa et fit déloger le démon ; le combat se termina sur la victoire d’Asmund. Après avoir dit son récit, Asmund tomba mort et on l’enterra ; on brûla le corps d’Assueit, et ses cendres furent jetées au vent.

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Un homme riche avait tant de volailles qu’il ne s'apercevait pas si les fouines, les rats, les corbeaux ou les aigles lui en enlevaient quelques-unes. Il avait un jardin très large, fermé par une trentaine de rangs de bambous et cette clôture avait plus de deux mètres de large. En quête de pâture, un coq s’engagea dans la haie, et une fois entouré de toutes parts de bambous, il ne put en sortir et resta là plus de vingt ans, exposé à toutes intempéries, voyant le cours du soleil et de la lune se succéder sans fin. Le pouvoir (de se transformer) s’en acquit, et empruntant l’aspect tantôt d'un garçon, tantôt d'une fille, entrait tous les jours dans la maison pour y causait des désordres. Le maître de la maison voyait sa fortune se dissiper dans ses mains, les jeunes gens se mettaient à maigrir, les filles à devenir folles ; rien ne pouvait remédier à cette situation et il fallut abandonner la maison. On alla chercher le moine litt. thây phâp pour exorciser la maison, mais l'esprit tomba sur lui au point qu’il dut s'enfuir en laissant sa cloche et son bois litt. mô. Un bonze vint chanter le sutra bouddhique pour chasser les mauvais esprits litt. kim cang phà tà kinh mais l'esprit lui fit une bosse à sa tête rase. Plusieurs autres tentatives échouèrent également. Le maître de la maison continuait de s'appauvrir et ne savait vers qui se tourner. Heureusement il vint à passer un étudiant de Confucius qui cherchait des ressources pour être capable de faire ses études ; il entra dans la maison pour y demander à manger et fut grandement surpris de la voir ainsi abandonnée, et le maître assis, les genoux entre les mains. L'étudiant demanda comment il se faisait qu'il était seul dans cette maison où on avait l'air d'être à l'aise ? Le maître répondit en gémissant :

— Hélas ! Toutes mes affaires sont à vau-l'eau, je n'en finirais pas si je vous les contais…

— Racontez-moi ce qui vous tourmente ! Si je peux vous aider, je le ferai par toutes mes forces, dit l'étudiant.

Alors le maître de la maison lui raconta combien de moines habiles et des bonzes savants il avait appelé et que tous avaient été pourchassés par le mauvais esprit. À quoi bon encore le risquer lui, un si maigre étudiant ? (Il craindrait que l'esprit n'ajoute à ses déboires en faisant du mal à ce nouvel opposant). L'étudiant répondit :

— Laissez-moi le soumettre à ma guise ! Emportez tout ce qu'il y a d'argent et de meubles dans la maison et partez. Seulement, faites-moi apporter chaque jour quelques bouchées, à peine une pleine soucoupe de riz. Dans cinq jours, je saurai ce que c'est que ce revenant ; alors nous pourrons prendre les mesures nécessaires pour se débarrasser de lui.

À partir de ce moment, l'étudiant s'assit au plein centre de la maison, et s’occupa nuit et jour à la lecture du Livre des transformations litt. Diec-Kinh : il en récita les 64 qué (quài | Bonet 1899, Dictionnaire annamite-français, tome 1) durant les cinq veilles de la nuit, toutes les six heures, sans s’arrêter un instant. Dans la 3e nuit, le revenant apparut et il éteignit la lampe ; sans rien dire, l'étudiant la ralluma et continua à travailler. Le revenant fit apparaître une main qui descendait du toit jusqu’à la lampe, mais l'étudiant ne s'épouvanta pas. Le revenant se transforma en un serpent et vint ramper devant son lit de camp ; l'étudiant sembla ne pas l'apercevoir. La nuit suivante, le mauvais esprit apparut sous la forme d'une jeune fille et vint agacer l'étudiant ; mais celui-ci ne lui adressa pas la parole. Le revenant porta alors la main sur le livre que l'étudiant lisait, mais sans oser lui prendre. C’est alors que l'étudiant saisit cette main, et demanda au revenant :

— Quelle espèce de mauvais esprits es-tu pour oser profaner le livre du saint…
Si l'on t'a fait quelque tort, si tu as quelque chose à réclamer, dis ce que tu veux, je le ferai connaître au maître de la maison afin qu'il s'occupe de te soulager. Mais il n'est pas permis de venir tourmenter les hommes et détruire leurs biens, celui qui le fait commet contre le ciel et la terre un péché irrémissible.

Le revenant se mit à gémir et dit :

— J'étais un coq lorsque je suis entré dans un massif de bambous pour chercher de la pâture : je suis pris depuis plus de vingt ans, subissant tantôt la chaleur et la pluie, la neige et la rosée, voyant se succéder les révolutions du soleil et de la lune. Après un long espace de temps, je fus transformé pour venir ici demander à mon maître de me délivrer ; mais voyant qu'il n'avait pas pitié de son serviteur, je fus irrité et fait tous ces dommages pour l’émouvoir, et non pour autre chose. Maintenant je vous prie, délivrez-moi ! Je vous serais reconnaissant et je ne ferai plus aucun mal.

— Si tu dis la vérité, lui dit l'étudiant, montre-moi le bambou où tu es pris, demain je le ferai détruire et tu pourras sortir.

— C'est à gauche en sortant d'ici. Au bout de six ou sept rangées, vous arriverez au point où je suis couché, répondit le revenant.

Pendant ce discours, le revenant l’avait mené jusqu'à la grande porte, puis lui demanda de lâcher la main pour qu'il montre l'endroit. Mais à peine eut-il desserré les doigts que le fantôme disparut et un froissement dans les bambous se fit entendre, comme lorsque l'on traîne des épines. L'étudiant de Confucius [551‒479 av. J‒C] alla raconter point pour point ce qu'il avait vu au maître de la maison. On envoya couper ces bambous, et lorsqu'une brèche eut été pratiquée, on vit un coq d'étrange apparence, le milieu du corps effilé et les deux extrémités enflées. L'étudiant recommanda de faire un feu et brûler ses ossements, afin qu'il puisse se libérer et se montrer reconnaissant du bienfait reçu. À partir de ce moment la maison redevint calme, et prospéra comme par le passé. C’est ainsi que la doctrine du saint-homme et de l’étudiant réprima le mauvais démon qui n'osa plus exercer sa malice. Quand le maître de la maison alla rendre grâces à l'étudiant, celui-ci répondit :

— C'est à la sainte-doctrine à qui vous devez d'avoir recouvré la paix.

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L’histoire de Guillaume Wilhelm Tell qui a tiré une flèche dans une pomme posée sur la tête de son fils a eu lieu en 1307 rédigée qu’en 1480. Ce Tell a été l’un des trois libérateurs de la Suisse. La tradition populaire dit que dans une montagne sauvage des quatre premiers cantons affranchis, autour du lac des Waldstätten, Suisse, se trouve une grotte où sont endormis les trois libérateurs de la Suisse que les habitants appellent les trois Tell ; leurs vêtements ne s’usent pas, ils dorment pour revenir au secours de leur pays, lorsqu’il sera une seconde fois en danger. On dit aussi qu’il est très difficile de découvrir l’entrée de la grotte. Un jour qu’un berger recherchait à travers les rochers une chèvre perdue, il descendit dans une grotte et vit les trois Tell endormis. À son bruit, l’un d’eux se leva d’un coup et demanda :

— Quelle époque êtes-vous dans le monde ?

— Il est midi, répondit le berger (sans songer à ce qu’il disait).

— En ce cas, il n’est pas encore temps pour nous de reparaître, dit-il avant de se rendormir.

Plus tard, alors que la Suisse se trouva engagée dans une guerre plus difficile contre la République française, le fils de ce berger voulut réveiller les trois Tell, mais il lui fut impossible de retrouver la grotte.

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MOCTADI | Herbelot 1697, Bibliothèque orientale ou Dictionnaire universel, p.591

Moctadi Bemrillah fut le 27e khalife de la maison des abbasside, fils de Mohammed, petit-fils de Caiem son prédécesseur, auquel il succéda l’an de l’hégire 467. En 469, Melik Schah sultan des selgiucides en Anatolie, surnommé Gelaleddin Gelaled-doulah, vint à Bagdet Irak, rendit beaucoup d’honneur au khalife, et vécut toujours fort bien avec lui contre la coutume ordinaire des sultans, et s’en retourna peu de temps après en Perse. L’an 480, Moctadi épousa la fille de Melikschah, princesse douée d’une très grande beauté, et lorsqu’elle y fit son entrée, les fêtes qui se firent à Bagdet surpassèrent toutes les réjouissances qui s’étaient faites jusqu’alors dans le musulmanisme en de pareilles occasions ; toutes les rues de la ville furent éclairées de flambeaux de cire et de fanaux. L’on dit aussi qu’on avait employé au dessert du festin que l’on fit à cette princesse, quatre mille mans de sucre, qui sont le poids de quatre-vingt mille livres (de douze onces chacune), et tout le reste de la dépense de ce grand appareil s’était fait en proportion. Cependant cette princesse ne vécut pas longtemps en bonne intelligence avec le khalife son mari, car en l’an 481 elle voulut retourner auprès de son père à Ispahan Iran, où elle mourut. En 484, Melikschah fit un second voyage à Bagdet, d’où étant retourné en Perse, il y mourut peu de temps après à la chasse, l’an 485. La mort de Melikschah fut suivie de près par celle du khalife Moctadi, emporté subitement (peste) en l’autre monde, l’an de l’hégire 487 à l’âge de trente-huit ans et huit mois, après un règne de dix-neuf ans et cinq mois. Ce prince a eu la réputation d’aimer la justice, et il corrigea pendant son khalifat une infinité d’abus qui se commettaient contre les lois. Moctadi aimait et favorisait fort les gens de lettres, ce qui fit que plusieurs excellents hommes lui dédièrent leurs ouvrages, comme fit Said Ben Hebat dans son livre intitulé Mogni fil thebb, et Ben Giazalah intitula le sien Taxouim alabdan.

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L’auteur du Nighiaristan rapporte la mort de ce khalife en la manière suivante : L’an de l’hégire 487, le khalife Moctadi étant à table avec ses plus familiers amis, buvait à son ordinaire. Après que la table fut levée, étant demeuré seul avec deux de ses femmes, l’une nommée Cahermanah, et l’autre Schemsalnahar ; il interrogea tout d’un coup la seconde, sur des gens qu’il voyait et lui demanda qui les avait laissez entrer sans sa permission ? Cette dame étonnée tourna la tête pour voir qui c’était, et n’ayant vu personne, elle jeta les yeux sur Moctadi et s’aperçut qu’il changeait, et que ses mains et ses pieds lui manquaient et dans ce même instant elle le vit tomber mort à ses pieds. Ce mal qui fait mourir si promptement s’appelle fagia ou mefagian en arabe, nom que l’on donne aussi à la peste. Les mahométans croient qu’il y a des esprits armés d’arc et de flèches que Dieu envoie pour punir les hommes quand il lui plait, et que les blessures que font ces spectres sont mortelles lorsqu’ils paraissent noirs, mais elles ne sont pas mortelles par des spectres qui paraissent blancs. C’est ainsi que les mahométans raisonnent sur la peste, et c’est sur ce fondement qu’ils ne prennent aucune précaution pour s’en garantir.

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CES ÂMES POUR UNE MESSE | Société St-Victor 1851, Magasin catholique, p.515 œAlbert de l’enfant Jésus 1732, Dévotion s. aux âmes du purgatoire p. 162 h Dialogues de st Grégoire le-grand, livre IV, 42 (Paschase) œ Liguori 1833, Paraphrase du Salve Regina, p.17

Pour ces solides chrétiens du faubourg Pollet à DieppeFrance habité par des pêcheurs,le culte catholique se célébrait avec beaucoup de solennité à leur chapelle de Pollet, en présence du sacristain qui habitait dans le voisinage de la chapelle. Dans l’une des cinq semaines de recueillement avant la Noel, avant le lever du jour, le sacristain entendit un son de cloche et se leva rapidement se rendre à la chapelle comme de coutume. Mais il trouva la porte fermée, qu’il n’y avait aucun bruit dans la chapelle et qu’il ne faisait pas encore jour. Il se décide d’y entrer et déverrouille la petite porte de la sacristie. S’avançant vers le banc du choeur, par la lueur de la lampe qui brûle face au tabernacle il voit un prêtre à genou devant l’autel, vêtu de la chasuble, en position de célébrer l’Introibo ad altare Dei, Se rendre à l’autel de Dieu :

J'irai vers l'autel de Dieu : de Dieu, ma joie, mon allégresse. Introibo ad altare Dei, ad Deum qui laetificat juventutem meam. Psaumes 43:4

Tout est prêt pour la sainte offrande, un des cierges de l’autel est allumé. Ce prêtre inconnu est d’une pâleur extrême, ses mains sont aussi blanches que son vêtement et ses yeux produisent une lueur comme un ver luisant au fond des orbites. Il parle au sacristain d’une douce voix mélancolique et dit :

— Servez-moi la messe.

La messe commence, le sacristain obéit par une force irrésistible malgré la peur. Au Lever-Dieu, moment de l’élévation de l’hostie et la coupe, les membres du prêtre se mirent à trembler comme le bruit des roseaux secoués par le vent d’hiver àDomine non sum dignus,Seigneur je ne suis pas digne :

Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, dit seulement un mot et mon serviteur sera guéri. Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum: sed tantum dic verbum, et sanabitur puer meus. Matthieu 8:8

À la communion, le prêtre se frappa la poitrine par trois fois, dans un bruit d’une pelleté de terre jetée dans un cercueil. Lorsqu’il but la coupe, le précieux vin coula dans son corps en faisant un bruit de goutte de gouttière.

Quand le prêtre dit : Ite missa est finita, Allez la messe est finie. Quand il se retourna il n’était plus qu’un squelette qui dit au sacristain :

— Je vous remercie frère. J’étais prêtre dans mon vivant et je devais cette messe à un mourant. Maintenant que vous m’avez aidé à acquitter ma dette, mon âme est libérée d’un pesant fardeau.

Le sacristain vit les habits sacerdotaux glisser doucement au pied de l’autel et le spectre disparaître. Au même moment le cierge s’éteint et un coq voisin chanta. Le sacristain replaça les vêtements à l’intérieur de la sacristie puis il passa le reste de la matinée en prière.

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Un prêtre qui venait aux bains pour cause d’incommodité, y trouvait là un valet très-assidu qui l’aidait, soit à se dévêtir, lui ôter les souliers, soit lui présenter des pantoufles au sortir du bain, l’aider à se sécher. Ravi de ses bons services, le prêtre lui apporta quelque chose pour le remercier, et l’homme dit :

— Je n’ai pas besoin de chose terrestre, je suis au rang des morts... J'ai été envoyé ici pour achever l'expiation de mes péchés : autrefois maître de ce lieu, je suis condamné à y rester bien longtemps, souffrant dans d’horribles peines. Si vous voulez me faire du bien, dites la messe pour moi, et si vous ne me trouverez plus ici, vous saurez que Dieu a reçu votre sacrifice pour me soulager.

Le sacrificateur fera l'expiation pour lui comme pour son péché et il sera pardonné de lui. Rogabit pro eo sacerdos et pro peccato ejus, et dimittetur ei. Lévitique c. iv, f. 20

Le prêtre célébra la messe pour lui toute la semaine. Revenu à son ordinaire pour se baigner, il ne trouva plus ce prévenant valet.

···

Durant la vie de Catherine [1632‒1668, France], une religieuse de Saint-Augustin, dans même lieu où elle demeurait à Québec, habitait une femme dénommée Marie qui avait vécu une vie déréglée dès sa jeunesse. L’âge ne la corrigea pas, au point que lassés par ses désordres les gens de l’endroit prirent le parti de l’écarter de la ville pour la confiner dans une grotte hors de leur région. Ce fut là que rongée par une maladie affreuse qui faisait tomber son corps en lambeaux et privée de tout secours humain, elle mourut peu après, sans sacrement (une pareille mort ne paraissait pas mériter les honneurs de la sépulture, aussi on ne fit pas d’autre façon au cadavre de cette femme que de l’enterrer comme celui d’un chien). Catherine avait une pieuse coutume que de recommander à Dieu les gens de sa connaissance qui passaient dans l’autre vie ; mais elle ne songea pas à la vieille pécheresse, la croyant damnée selon l’opinion de tout le monde. Il y avait déjà quatre ans que cette femme était morte quand une âme du purgatoire lui apparut alors que la religieuse était en oraison, et lui dit :

— Catherine, quel malheur est le mien. Tu pries pour tous ceux qui meurent mais n’auras-tu pas compassion de ma pauvre âme ?

— Qui es-tu ? demande la soeur.

— Je suis cette pauvre Marie qui est morte dans la grotte.

— Quoi, tu es sauvée ?

— Oui, je le suis par la miséricorde en la Vierge. Dans mes derniers moments, abandonnée de tout le monde et me voyant souillée de péchés, je m’adressai à la mère de Jésus du fond de mon coeur et lui dis : Vous le refuge de ceux qui sont délaissés, ayez pitié de moi qui le suis de l’univers entier ! Vous êtes mon unique espérance, venez à mon secours. Je ne priai pas en vain : c’est par l’intercession de Marie que je dois d’avoir échappé à l’enfer par un acte de vraie contrition. Notre-dame m’a encore obtenu cette grâce que ma peine soit abrégée : la justice divine me faisant souffrir en intensité ce que j’aurais dû souffrir en durée. Il ne me faut plus que quelques messes pour être délivrée du purgatoire : faites-les moi dire, et une fois au ciel je n’arrêterai pas de prier Dieu, et la sainte-vierge pour toi.

Soeur Catherine fit célébrer les messes pour cette âme, et quelques jours après elle lui apparut de nouveau, brillante comme le soleil, et lui en témoigna reconnaissance :

— Le paradis m’est enfin ouvert, j’y vais célébrer les miséricordes de mon Dieu. Sois sûre que je ne t’oublierai pas !

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POUR UN CHEVAL | De Plancy 1862, Légendes de l’autre monde, p.17 œ Molani 1585, Sacrae Theologiae Pijs Testamentis cap. LIII (53) h Th. de Cantimpré 1627, Bonum universale de apibus (livre des abeilles, livre II, c.LIII)

Aux légendes de Charlemagne [742‒814, Allemagne-Belgique] se trouvait un récit d’un de ses fidèles d’armes où il en appelle à son neveu pour faire ses dernières volontés avant de rendre son dernier souffle. Il lui dit :

— Serviteur de mon prince depuis soixante ans, je n’ai rien amassé des biens de ce monde. Seuls mes armes et mon cheval m’appartiennent. Je te laisse mes armes, mais promet-moi de distribuer aux pauvres tout le prix de la vente de mon cheval dès que je ne serais plus.

Le neveu promit de faire la volonté de son oncle, qui mourut en paix, car il était loyal, et bon chrétien. Une fois en terre, le jeune homme fut tenté de garder le vaillant cheval pour lui et il ne le vendit pas, ni donna pas de deniers aux pauvres. Six mois après, l’âme du cavalier lui apparut et dit :

— Je souffre de grandes peines depuis six mois au purgatoire parce que tu n’as pas fait ce que je t’ai ordonné pour le salut de mon âme...

Voici maintenant, Dieu le juste juge sur toutes choses a ordonné à ses anges que mon âme soit mise au repos éternel. Mais la tienne subira les tourments de mes peines qui restent à expier pour mes péchés.

Au même instant le neveu fut saisi d’un mal violent et mourut peu après (il eut le temps de se confesser à un prêtre qui venait de lui être annoncé) : il partit payer la dette dont il était chargé d’acquitter pour son oncle.

···

Un cavalier qui devait une somme d’argent à son maréchal-ferrant mourut avant de l’avoir payé (par négligence ou oubli). Quelques jours après, il apparut à un serviteur tenant dans ses mains des fers à cheval brûlants de feu :

— Vois comme je souffre de n’avoir pas acquitté une dette, dit-il. Dis à ma femme de payer ce que je dois au maréchal-ferrant si elle souhaite que je ne sois plus tourmenté.

Le serviteur en avertit sa maîtresse. Elle partit avec son fils trouver le maréchal-ferrant et demanda le montant dû de son défunt mari d’environ un marc d’argent (245 g) qu’elle paya aussitôt. Vers le soir elle vit son mari sorti des peines : il avait terminé son expiation.

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SON ÂME POUR LA CHASSE | Schreiber 1830, Traditions populaires du Rhin : de la forêt-noire, de la vallée du nècre &, p.121 h Michiels 1858, Contes des montagnes, p.321

On a cru autrefois que celui qui hantait la forêt de Fontainebleau dans l’histoire de Henri IV était un vieux chasseur forcené, venu pour expier ses excès. La version allemande fait partie des traditions et légendes du bord du Rhin On voit encore à Schwarzwald, la Forêt-noire Allemagne, cettegrande étendue de montagnes forestières, les ruines d'un manoirburg qui appartenait à un comte, riche seigneur qui n’avait pas d’autre plaisir ni autre occupation que la chasse. Il passait son temps à poursuivre le gibier, dans les bois ou les champs, aussi longtemps que le jour durait, il saccageait sans scrupule les cultures des paysans, faisant mourir de faim plusieurs paysans par les dégâts de ses chasses absurdes. La veille d’une fête de l’Église, alors qu’il chassait à son ordinaire, il s'égara en forêt sans pouvoir retracer ses gens ; en vain espérait-il trouver quelque sentier à travers le bois plus sombre des ronces qui couvraient le sol à mesure que le soleil se coucha et que la lumière s’éteint sur terre. Il se retrouva en pleine nuit au milieu des bois. Il mit pied à terre dans une clairière afin de reprendre son haleine. Il entendit dans les feuillages quelque chose remuer et empoigna sa lance lorsque ses chiens coururent se cacher en hurlant de peur. Le comte aperçoit un homme, l’arc en main et un cor de chasse à la ceinture, accourir hors d'haleine du fond du bois, et derrière lui, une cohorte de spectres montés à dos de cerfs à seize cors ramures. Les cavaliers l’assaillent par groupe de quelque côté qu'il se tourne pour essayer de s’échapper. Et après une heure qu'ils le harassent çà et là autour, le comte se mit à prier, le signe de la croix pour commencer à invoquer Jésus à le sauver, et s’adressa à eux en criant :

— Au nom de Jésus Christ, ayez pitié de ce malheureux !

Tous les spectres et les cerfs disparurent aussitôt. L'homme pourchassé s'approcha du comte et dit :

— Que ma rencontre te profite ! Je suis ton arrière-grand-père. Comme toi, je me suis adonné sans retenue au plaisir brutal de la chasse. Comme toi j’ai tyrannisé de pauvres paysans, j'ai fait attacher sur des cerfs plus de cent braconniers en les faisant poursuivre par mes chiens, jusqu'à ce qu'ils tombent et qu’ils rendent l'âme en souffrant, déchirés par mes meutes avides. C'est en punition de cette barbarie que je vagabonde chaque nuit dans mes forêts, pourchassé par ceux que j'ai fait périr, et que je subisse mille fois ce qu'ils ont souffert. Voilà le châtiment que je supporte toutes les nuits, et cela jusqu’au dernier jugement. Rentre dans ton manoir, corrige-toi par cet exemple.

Après avoir dit cela, le vieux chasseur disparut. Le burgraveseigneur du manoir reconnut la grâce immense que le ciel lui accorda en l’éclairant. Il resta prosterné jusqu’à ce que ses gens le retrouvent si pâle et si défait au matin, après l’avoir cherché dans la nuit. Ils voulurent le ramener à son château mais il prit la ferme résolution de faire une cabane à cet endroit et y finir ses jours même. Il distribua ses biens et son argent aux pauvres gens qu’il avait tourmentés. Il arracha ses armoiries des murs, il fit murer portes et fenêtres de son château, et détruit ses accès pour que personne ne s’en approche plus. Puis il acheva ses jours dans une austère pénitence. Puis on laissa périr peu à peu son nom, ce qui fait que personne ne connaît plus le nom du burg.

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LE DÉFROQUÉ | Albert de l’enfant Jésus 1732, Dévotion solide aux âmes du purgatoire p.162 h Th. de Cantimpré Cantimpratensis, Lib. 2, De apibus, 57, p.26

Un moine ayant été révoqué s’était joint à des voleurs et vécut par la suite comme un criminel. Venu à sa dernière heure, il fut très alarmé à cause des crimes commis, la conscience secouée des visions meurtrières ne lui laissaient aucun répit, il fit alors venir un père-confesseur. Malheureusement pour lui, il tomba dans les mains d’un de ces directeurs qui rebutent les pénitents et ceux si redoutables dans leur rigueur que nul n’ose les approcher. Après avoir entendu sa confession, et effrayé au récit d’une vie si détestable, le prêtre lui dit très directement qu’il n’y aurait pas de miséricorde pour un scélérat comme lui, car ses péchés étaient trop énormes pour en obtenir le pardon.

— Comment donc ? dit le moribond. J’ai de toujours entendu dire sur la bonté infinie de Dieu, qu’à quelque heure qu’on a recourt à lui il est prêt à pardonner. Je vous prie, n’usez pas de rigueur à l’extrême où je suis mais adressez-moi une pénitence convenable.

— Quelle pénitence vous donnerais-je ? Il n’y en a pas d’assez grande pour vous, répondit-il hautement.

— Je l’avoue... dit patiemment le malade. Si vous ne voulez pas m’en prescrire une, je vais suppléer à votre défaut : je choisis de brûler deux mille ans au purgatoire. Voyez la bonne intention que j’ai de réparer les outrages faits à mon Dieu ! Je vous conjure de m’absoudre et me donner la grâce de la communion de viatiqueprovisoire

— Encore moins ! dit le père-confesseur, nullement touché du regret exprimé par le pénitent. Si je n’ose vous donner une pénitence, comment vous donnerais-je l’eucharistie sainte-communion ?

— Permettez alors que j’écrive la situation de mon âme et vous prier de porter le billet à l’évêque de ma parenté. J’espère ainsi qu’il priera pour moi, et que Dieu aura égard à ma bonne disposition, dit le mourant.

L’indigne confesseur, après avoir tout refusé à cet ancien moine à l’agonie (dont la contrition méritait d’être mieux traitée), accepta la commission et le mourant décéda peu de temps après. Bien affligé de cet accident, l’évêque de sa parenté offrit la messe tous les jours pour son âme. Le mort lui apparut au bout d’une année et lui dit que cette année de souffrance lui avait été comptée pour mille ans ; et s’il avait la charité de continuer ses messes, il serait délivré à la fin de l’année suivante. L’évêque le fit volontiers. C’est ainsi qu’il tira cette âme du purgatoire.

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CES ÂMES DE JEUNES FILLES | Landes 1886, Contes et légendes annamites, (Histoires de revenants) | Ibid. (Descendre aux enfers)

Des gens riches avaient eu une fille qu'ils aimèrent beaucoup, et lorsqu’elle mourut à l'âge de quinze ans, ils ne voulurent pas se séparer d'elle et la conservèrent dans son cercueil à la demeure familiale (bien que leur loi recommandait d’enterrer leur morte). Pendant trois années, ils allumaient des bougies devant le cercueil, et au bout de ce temps, par la vertu des deux principes ying et yang litt. am duong, la jeune fille se mit à apparaître dans la maison d’abord comme une ombre. Un bateau vint amarrer devant la maison et le marin, qui aimait beaucoup la musique, se plaisait à en faire pendant la nuit. Attirée par les sons, l’âme de la jeune fille se rendit sur son bateau et causa avec lui pendant trois nuits. Et une nuit, elle l'invita à venir chez elle. Le marin ne savait pas que la demeure de la jeune fille était un cercueil, et l’avait suivi. Au matin il fut retrouvé étendu mort sur le cercueil. Les parents en furent extrêmement effrayés et se hâtèrent de les enterrer.

···

Dans la province de Nam dinh vivaient deux riches époux qui avaient eu une fille qui avait eu six doigts à la main gauche, à qui ils avaient donné le nom de Xuan. Âgée de treize ans, elle était devenue d'une grande beauté mais elle mourut de la petite vérole. À sa mort, ses parents furent inconsolables. Vingt ans plus tard, le premier jour du sixième mois 15 août (période où les âmes croisent les vivants pendant trois jours), ils prirent le petit plateau d'argent qu’ils avaient fait faire à leur fille et qu'après sa mort ils avaient conservé en souvenir d'elle ; elle leur apparut et reconnut ses parents grâce à ce signe. Ils s'embrassèrent tous en pleurant, la mère tenait sa fille dans ses bras et ne voulait plus la laisser partir. Elle proposa à ses parents de la suivre au Naraka enfersbouddhiques pour voir ce qui s'y passait, et où ils rencontrèrent son mari, qui les fit se promener dans les diverses chambres pour voir les tourments des coupables. Entrés dans la première, ils y virent inscrit leur nom, car ils devaient être punis parce que prêtant à intérêt ils avaient fait payer cinq à six fois le capital, en retenant le retard de leurs débiteurs, sans leur donner de nourriture, les forçant même à vendre leurs biens et mettre leurs enfants en gage pour s'acquitter envers eux. À la vue de leur nom inscrit sur les tablettes, le mari et la femme lurent saisis d'effroi et demandèrent ce qu'ils devaient faire une fois revenus sur la terre pour se purifier de leurs fautes. On leur dit :

— Pour vous purifier vous devez dépenser tout votre bien dans les fêtes religieuses et dans les aumônes ; lorsque vous serez dépouillés de tout, vos péchés seront effacés.

Les parents revinrent chez eux et allèrent chercher les bonzes pour faire de grandes cérémonies, ils distribuèrent aussi de nombreuses aumônes. Quand tous leurs biens furent dépensés, au 6e mois ils eurent l'espoir de revoir leur fille et de la suivre encore une fois au Naraka,* et voir s'ils étaient justifiés. Ils la rencontrèrent en effet, et avant toute chose, elle leur dit que leurs fautes étaient abolies et ce n'était pas la peine qu'ils redescendent aux enfers.

*Naraka | p.105, Eitel 1904, Hand book of Chinese Buddhism; being Sanskrit-Chinese dictionary with vocabularies of Buddhist terms - Chinese index by Takakuwa.

  

  

Des mal-aimés

Elle tient le milieu entre l’âme et le corps, de ce côté-ci la langue, de celui-là l’oreille.


PAUVRE VIEILLARD | Moniteur des villes et des campagnes, de mai 1837 [ms Bibliothèque Royale 7208.5] g Trébutien 1837, Roman de Robert le-diable en vers du 12e siècle, p.ix h Du Méril 1854, Légende de Robert le-Diable g De Bourbon 1250, Exempla

Cy commence un miracle de Nostre-Dame, de Robert le-dyable, à qui il fut enjoint pour ses meffais que il feist le fol sans parler. Et depuis ot eut Nostre-seigneur mercy de li. 7 mai 1496.

Cela se passe devant la forteresse demi-ruinée de Robert le-diable durant le règne embarrassé de Charle III le-simple [879‒929, France], une troupe d’hommes du Nord avait alors envahi cette partie de la Neustrie où Robert le-diable était né. Autour d’un feu de ramillesrameaux, un soir que les guerriers se réchauffaient en chantant les faits d’armes de leurs princes, joyeux d’être dans un pays moins âpre que le leur, ils aperçurent un vieillard pauvrement vêtu, appuyé à un tronc d’arbre, et dirent :

— Bonhomme, chante-nous quelque chanson de ce pays !

Le vieillard s’approcha d’eux, et d’une voix humble entonna la belle prose de st Étienne (comment le premier des martyrs rend hommage à notre-seigneur Jésus Christ et supplie le ciel de pardonner).

Par une agréable harmonie, faites l'éloge de st Étienne, célébrez par vos accords le courage de ce héros. La cour céleste applaudit à cet invincible athlète ! O martyrs qui tâchez de l'imiter, cédez la première couronne à ce digne chef. C'est lui qui est entré le premier par la voie sanglante du martyr, a reçu la première palme par une cruelle mort en la compagnie d'une multitude de bourreaux bien armés ; il se présenta à leurs coups transporté de joie de périr par une heureuse plaie. Renversé à coups de pierres pour le nom de Jésus Christ, il offre son sang et ses prières à Dieu pour le salut de ses ennemis. À la voix d'un martyr, mourant si courageusement, Jésus Christ se rend juge d'un combat pénible qui à lui seul rend la récompense. Sa foi n'est pas abattue d’un si cruel tourment, frappé de tous côtés par une grêle de pierres, il demeure ferme et intrépide. La terre est teinte du sang qui s’est répandu, fécond, produit une armée victorieuse de héros. O vous qui précédez les martyrs à la gloire, suppliez le Seigneur d'accorder la victoire aux soldats de son Christ dans les combats qu'ils ont à soutenir que les vices soient détruits ; qu'une grâce salutaire soit accordée à chaque combattant, et que ceux qui remportent la victoire soient récompensés de la gloire éternelle. Ainsi soit-il. Ange conducteur ou recueil de prières à inspirer 1839, p.337

Ce chant déplut à la bande des barbares et le pauvre vieillard fut repoussé avec brutalité, et tomba sur un genou sans faire entendre une plainte. Au même moment, tous les soldats se levèrent en présence d’un jeune homme, qu’on reconnut, à la démarche et au ton d’autorité, comme le fils d’un puissant seigneur, qui dit au soldat qui maltraitait le vieillard :

— Va-t’en méchant lâche qui insultes un vieil homme sans défense ! Ceux qui insultent les vieux et les femmes ne méritent pas d’avancer parmi les braves. Et vous bon-vieillard venez à ma table, c’est au chef de réparer les torts de ceux qu’il commande.

— Jeune homme, que ce que vous faites plaise à Dieu qui aime la justice… Quant à moi ce n’est rien, dit le vieillard, je ne puis avoir de rancune contre quiconque.

Il se nomma et raconta son histoire ; ses odieux crimes, et sa conversion (par les nombreuses instances de sa mère), sa pénitence qui devait durer encore longtemps. Il dit aussi comment la grâce de la foi et du repentir était entrée dans son coeur :

— Las d’émotions, je m’étais assis sur des ruines de pierre et m’y endormis. Oh béni soit mon bon-ange de m’avoir envoyé ce sommeil… à peine avais-je la paupière close que j’eus une vision et il me sembla que la montagne sur laquelle s’élève le château du Moulinet s’élançait jusqu’au ciel, formant un escalier.

Sur les degrésmarches une foule d’images s’élevaient lentement, où hélas je reconnus mes crimes : c’étaient des femmes, des jeunes filles mortes par ma faute et des vassaux déshonorés, des vieillards chassés de leurs chaumières demandant l’aumône de pain. J’aperçus aussi qui s’élevaient, des maisons brûlées, des moissons détruites, des troupeaux, les espoirs et soins d’une vie entière de travail, sacrifiés à un instant d’orgie.

Dès que je vis l’ange monter rapidement, mes membres se mirent à trembler comme une feuille et je lui dis :

— Où allez-vous ?

— Je conduis tes crimes devant le Seigneur en témoignage de toi. Tous mes membres devinrent comme des herbes au feu et je dis :

— Bon-ange. Ne pourrais-je pas effacer quelques-unes des images ?

— Toutes si tu le veux.

— Mon Dieu, et comment ?

— Avoue-les en confession que ton souffle les dissipe. Pleure-les en pénitence que tes larmes nettoient leur trace.

Le vieillard confessa que sa pénitence se faisait en errant en guenilles, n’ayant pas de nourriture autre que ce qu’il prenait aux chiens.

— J’ai connu tous les plaisirs du monde et y avais trouvé quelques joies, mais plus encore dans les fatigues mortelles, les misères des dures humiliations de pénitence car elles expient mes fautes.

C’est ainsi étrangers, quelque fortune que le ciel vous assigne, cherchez d’abord à pratiquer la Justice du seigneur Jésus Christ.

Les barbares étaient figés, et le vieillard se tut, puis il prit le jeune chef (Rollon, duc des normands) et le conduisit sur la fondation litt. plate-forme du château, et montrant toute cette vaste contrée que la Seine arrose, il lui dit :

— Jeune homme. Dieu récompensera en vous le noble coeur qui protège le pauvre vieillard. Voyez ces terres si riches… elles ont été à moi, et maintenant encore après Dieu, elles n’ont pas d’autre possesseur légitime que moi : je vous les donne. Faites-y régner la foi et l’équité et je me réjouirais de votre règne.

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CE TRAÎTRE | Martin 1838, Les Mille et une nuits, contes arabes, p.23 (ixè nuit)

Comme le jour commençait à paraître, un pêcheur n’omit pas de faire sa prière, et il ajouta :

— Seigneur, vous savez que je ne jette pas mes filets plus que quatre fois chaque jour : je les ai déjà jetés trois fois sans avoir tiré le moindre fruit de mon travail ; il ne m’en reste plus qu’une. Je vous supplie de me rendre la mer favorable comme vous l’avez rendue à Moshé. Le pêcheur finit sa prière et jeta ses filets pour la 4e fois. Quand il jugea qu’il devait y avoir du poisson, il les tira comme auparavant avec assez de peine. Pourtant il n’y en avait pas, mais il y trouva un vase de cuivre jaune qui lui parut plein de quelque chose à sa pesanteur ; il était fermé, scellé au plomb, avec l’empreinte d’un sceau. Cela le réjouit. Je le vendrai au fondeur, se dit-il, et j’achèterai une mesure de blé avec l’argent que j’en ferais.

Il examina le vase de tous les côtés, il le secoua pour voir si ce qui était dedans ferait du bruit, mais il n’entendit rien. Cette circonstance avec l’empreinte du sceau sur le couvercle de plomb lui fit penser qu’il devait être rempli de quelque chose de précieux ; et pour s’en éclaircir, il prit son couteau et avec peu de peine il l’ouvrit. Il pencha l’ouverture contre terre mais il n’en sortit rien, ce qui le surprit extrêmement. Alors qu’il le posa devant lui et le considérait attentivement, il en sortit une fumée très épaisse qui l’obligea de faire trois pas en arrière. Cette fumée s’éleva jusqu’aux nues et s’étendit sur la mer et sur le rivage en formant un gros brouillard. Lorsque la fumée fut toute hors du vase, elle se rassembla et devint un corps solide qui forma un génie aussi haut que le plus grand de tous les géants. À l’aspect du monstre d’une grandeur si démesurée, le pêcheur voulut prendre la fuite mais il se trouva si troublé et effrayé qu’il ne put marcher.

— Salomon… s’écria le génie.

Le pêcheur n’eut pas sitôt entendu le génie qu’il le rassura :

— Esprit superbe, que dites-vous ? Il y a plus de mille huit cents ans que Salomon le prophète de Dieu est mort, nous sommes présentement à la fin des siècles. Apprenez-moi votre histoire et pour quel sujet vous étiez renfermé dans ce vase.

À ce discours le génie regarda le pêcheur d’un air fier et lui répondit :

— Tu es bien hardi de m’appeler esprit superbe : parle-moi plus poliment.

— Et bien, repartit le pêcheur, vous parlerai-je plus poliment en vous appelant hibou du bonheur ?

— Je te dis de me parler poliment avant que je te tue, repartit le génie.

— Et pourquoi me tueriez-vous ? Je viens de vous mettre en liberté, l’avez-vous oublié ?

— Non je m’en souviens, mais cela ne m’empêchera pas de te faire mourir. Je n’ai qu’une seule grâce à t’accorder.

— Et quelle est cette grâce ? dit le pêcheur.

— C’est de te laisser choisir de quelle manière te tuer.

— Mais en quoi vous ai-je offensé, est-ce ainsi que vous voulez me récompenser du bien que je vous ai fait ?

— Je ne puis te traiter autrement. Pour t’en persuader, écoute mon histoire : Je suis un de ces rebelles qui se sont opposés à la Volonté de Dieu. Tous les autres génies reconnurent le grand Salomon prophète de Dieu et se soumirent à lui ; et quand Soliman me vit, il fit une prière de protection contre moi et m’exhorta d’embrasser la foi et de me soumettre à lui, mais je refusais. Pour s’en venger, ce puissant monarque chargea son premier ministre Asaph fils de Bérékia de venir me prendre. Cela fut exécuté : Asaph vint se saisir de ma personne et me mena malgré moi devant le trône du roi son maître. Salomon fils de David me commanda de quitter mon genre de vie, de reconnaître son pouvoir, et me soumettre à ses ordres. Je refusai de lui obéir, j’aimai mieux m’exposer à tout son ressentiment que lui prêter serment de fidélité et soumission qu’il exigeait de moi. Pour me punir il m’enferma dans ce vase de cuivre, et pour s’assurer que je ne puisse pas forcer ma prison, il imprima lui-même sur le couvercle de plomb son sceau où le grand nom de Dieu est gravé. Cela fait, il mit le vase entre les mains d’un des génies qui lui obéissaient avec l’ordre de me jeter à la mer ; ce qui fut exécuté à mon grand regret. Durant le 1er siècle de ma prison, je jurai que si quelqu’un m’en délivrerait avant les cent ans achevés je le rendrai riche même après sa mort. Mais le siècle s’écoula et personne ne me rendit cet office. Pendant le 2e siècle, je fis serment d’ouvrir tous les trésors de la terre à quiconque me mettrait en liberté, mais j’en fus pas plus heureux. Dans le 3e siècle je promis de faire puissant monarque mon libérateur, d’être toujours près de lui et de lui accorder chaque jour trois demandes de quelque nature qu’elles puissent être ; mais ce siècle se passa comme les deux autres et je demeurai toujours dans le même état. Enfin le chagrin ou plutôt la rage de me voir prisonnier si longtemps, je jurai que si quelqu’un me délivrait par la suite je le tuerais impitoyablement et ne lui accorderais pas d’autre grâce que de lui laisser le choix de la mort qu’il voudrait que je le fasse mourir. C’est pourquoi, puisque tu es venu ici aujourd’hui et tu m’as délivré, choisis comment tu veux que je te tue.

Ce discours affligea fort le pêcheur.

— Je suis bien malheureux d’être venu en ce lieu rendre un si grand service à un ingrat. Considérez de grâce votre injustice et révoquez un serment si peu raisonnable. Pardonnez-moi et Dieu vous pardonnera de même. Si vous me donnez généreusementla vie, il vous mettra à couvert de tous les attentats qui se formeront contre vos jours.

— Non, ta mort est certaine. Choisis seulement de quelle sorte tu veux que je te fasse mourir.

Le pêcheur, le voyant résolu de le tuer, en eut une douleur extrême, non pas tant pour l’amour de lui qu’à cause de ses trois enfants dont il plaignait la misère où ils allaient être réduits par sa mort. Il tâcha encore d’apaiser le génie :

— Hélas, daignez avoir pitié de moi en considération de ce que j’ai fait pour vous.

— Je te l’ai déjà dit, c’est justement pour cette raison que je suis obligé de t’ôter la vie.

— Cela est étrange que vous vouliez absolument rendre le mal pour le bien. Le proverbe dit que qui fait du bien à celui qui ne le mérite pas en est toujours mal payer. Je croyais que cela était faux, car en effet, rien ne choque davantage la raison et les droits des gens. Néanmoins j’éprouve cruellement que cela n’est que trop véritable.

— Ne perdons pas le temps, tous tes raisonnements ne sauraient me détourner de mon dessein. Hâte-toi de dire comment tu souhaites que je te tue.

— Puisque je ne saurais éviter la mort, je me soumets à la volonté de Dieu. Mais avant de choisir un genre de mort, je vous conjure par le grand nom de Dieu qui est gravé sur le sceau du prophète Salomon, fils de David, de me dire la vérité sur une question que j’ai à vous faire.

Quand le génie vit qu’on lui faisait une adjuration qui le contraignait de répondre, il trembla en lui-même et dit au pêcheur :

— Demande-moi ce que tu voudras et hâte-toi.

— Je voudrais savoir si vraiment vous étiez dans ce vase… oseriez-vous en jurer par le grand nom de Dieu ?

— Oui je jure par ce grand nom que j’y étais, cela est très-véritable.

— En bonne foi, je ne puis vous croire. Ce vase ne pourrait pas contenir un de vos pieds seulement, comment se peut-il que votre corps y ait été renfermé tout entier ?

— Je te jure pourtant que j’y étais tel que tu me vois. Est-ce que tu ne me crois pas après le grand serment que j’ai fait ?

— Non vraiment, dit le pêcheur. Je ne vous croirais pas à moins que vous ne fassiez voir la chose.

Alors il se fit une dissolution du corps du génie djinn qui se changea en fumée, s’étendit comme auparavant sur la mer et le rivage, qui se rassembla ensuite et commença à rentrer dans le vase, continuant de même par une succession lente et égale jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien au dehors. Il en sortit une voix qui dit au pêcheur :

— Incrédule pêcheur, me voici dans le vase, me crois-tu à présent ?

Au lieu de répondre, le pêcheur prit le couvercle de plomb et ferma promptement le vase.

— Génie, demande-moi grâce à ton tour et choisis de quelle mort je te fasse mourir… mais non, il vaut mieux que je te jette à la mer au même endroit où je t’ai tiré. Ensuite je ferais bâtir une maison sur ce rivage où je demeurerai pour avertir tous les pêcheurs qui viendront jeter leurs filets de bien prendre garde de repêcher un méchant génie comme toi qui as fait serment de tuer celui qui te mettra en liberté.

Le génie irrité fit tous ses efforts pour sortir du vase mais c’est ce ne lui fut pas possible, car l’empreinte du sceau du prophète Salomon, fils de David, l’en empêchait. Voyant que le pêcheur avait l’avantage sur lui, il prit le parti de dissimuler sa colère.

— Pêcheur, dit-il d’un ton adouci, garde-toi bien de faire ce que tu dis. Ce que j’en ai fait n’a été que par plaisan-terie, tu ne dois pas prendre la chose sérieusement.

— O génie qui étais il n’y a qu’un moment le plus grand, et qui est à l’heure qu’il est le plus petit de tous les génies ; apprends que ton art de parler ne te servira de rien. Tu retourneras à la mer. Si tu y as demeuré tout le temps que tu m’as dit, tu pourras bien y demeurer jusqu’au jour du jugement. Je t’ai prié au nom de Dieu de ne pas m’ôter la vie, et tu as rejeté mes prières : je dois te rendre la pareille.

Le génie n’épargna rien pour tâcher de toucher le pêcheur.

— Ouvre le vase, donne-moi la liberté je t’en supplie. Je te promets que tu seras content de moi.

— Tu n’es qu’un traître. Je mériterais de perdre la vie si j’avais l’imprudence de me fier à toi.  

 

 

Des damnés

Ils s’élèvent au point que les insensés s’imaginent qu’ils ont affaire au ciel.

 

CETTE ÂME QUI CRITIQUE | Maria Simma 2002, Les pauvres âmes du purgatoire (entretien avec N. Elts, Autriche)

Un homme m’est apparu une nuit, et après m’avoir dit ce qu’il lui fallait pour être délivré, il est resté là en face de moi et m’a demandé :

— Est-ce que vous me connaissez ?

J’ai dû répondre que non. Alors il m’a rappelé qu’il y a bien des années en 1932, il avait alors dix-sept ans, il avait voyagé brièvement que moi Maria Simma[1915‒2004, Autriche]dans le même compartiment d’un train qui allait à Hall. Et je m’en suis souvenu, il avait violemment critiqué l’Église et la religion ; je m’étais sentie obligée de répondre que ce ne n’était pas bien de sa part de dénigrer des choses aussi saintes. Cette réponse l’avait ennuyé, et il m’avait dit :

— Vous êtes encore trop jeune pour que je vous laisse me donner des leçons.

Je n’ai pas pu m’empêcher d’être un peu brusque et j’ai riposté :

— Malgré tout je suis plus intelligente que vous.

Ça s’est terminé là. Il a replongé la tête dans son journal et n’a plus dit un mot. Quand il est arrivé à destination et qu’il a quitté le compartiment, j’ai simplement fait cette prière à voix basse :

— Jésus, ne laissez pas cette âme se perdre…

À présent qu’il était avec moi, il m’a dit que c’est cette petite prière qui l’avait empêché de se perdre.

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CES ÂMES PUANTES | Arnoulx 1628, Les estats généraux convoquez au ciel, p.703 h D'Averoult 1647, Fleurs des exemples, tome 2, p.724 œ Calmet 1751, Traité sur les apparitions des esprits &, p.228 h Migne 1846, Dictionnaire des sciences occultes, t.1, p.184 (Bayer)

N’ai-je pas donné des avertissements aux hommes de se tenir éveillés, tant qu’ils sont en ce monde, de peur que quelque souffle de vanité ne détourne leur voyage au ciel. Et pour ce qu’il y a des femmes mariées, des veuves, et des jeunes filles, voici un exemple qui ne les laissera pas s’endormir aux vanités du monde. Il y avait dans une cité d’Italie une femme noble qui était tenue comme sainte par sa conversation ; elle était aumônière aux bonnes oeuvres, dévote, et entretenait sa famille dans la crainte de Dieu. La mort venue, étant en telle réputation, elle laissa une fille fort pieuse laquelle faisait journalièrement oraison pour sadicte mère. Or il advint après quelques semaines, étant en oraison en sa chambre, la jeune fille se sentit assaillie d’un soudain tremblement, et regardant du côté de la porte elle vit un monstre qui semblait être un porc écorché qui dégageait du feu, et très-grande punaisiepuanteur de partout. Épouvantée, elle courut vers la fenêtre pour se jeter en-bas, mais au même instant elle entendit derrière elle une voix qui lui dit :

— Demeure fille, demeure fille.

Confortée de Dieu, elle s’arrêta pour entendre ce que le monstre lui dirait.

— Sache fille, que je suis ta malheureuse mère.
Malgré la vie irrépréhensible vécue en la présence des gens, néanmoins, à cause des vilains péchés que j’ai commis avec ton père et que je n’ai jamais confessés par honte, je suis à présent damnée en enfer.

Elle demanda à sa mère quelles étaient ses peines en enfer.

— La plus grande est la privation de voir Dieu. Puis la crainte de ne jamais devoir sortir de ces peines qui font blasphémer les damnés, répondit-elle. Dès l’instant que mon âme fut séparée de mon corps, sans être bien confessée, je fus portée par des démons devant le tribunal de Jésus Christ qui me sentencia, et je fus aussitôt précipitée aux enfers.

Puis elle dit de ne plus rien lui demander et s’avança vers le banc et le coffre alentour du lit, et imprima des marques comme ferait un fer brûlant et fut reportée par les mêmes démons en enfer.

La jeune fille fut très affligée de la damnation de sa mère et partit à l’Église, après avoir recouvert les marques, et fermé la chambre. Elle s’adressa au prédicateur qui y prêchait le carême temps de dévotion à jeûn appelé frère Damien de Cremone. Après lui avoir raconté le tout, et qu’il aperçut les traces de pas et sentit la puanteur, la jeune fille lui dit d’annoncer en public cet exemple ; ce qu’il fit souvent avec grand bruit. Ce récit me fut raconté de vive voix par le révérend p. franciscain Alexandre Capouche en Sainte-Marie-nouvelle Santa Maria Novella de Florence, environ l’an 1560 de notre-seigneur, étant là comme étudiant en théologie. Lequel p.f. Alexandre, sainte personne comme nous avons écrit en sa vie, a connu en la province de Lombardie le p.f. Damien, prédicateur de notre ordre, et depuis aussi ai lilu ce même exemple (bien que ledit p. f. Damien ne se nomme pas) en un traité de la résurrection et ascension de notre-seigneur, imprimé du révérend père dominicain Séraphin de Bologne.

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Récit du curé Bayer communiqué à Dom Calmet [1672‒1757, France]. En 1728, Bayer, un des curés du diocèse de Constance Allemagne,venait de m’écrire qu’il avait été pourvu de la cure de Rautheim, que déjà un mois plus tard il fut inquiété par un spectre l’aspect d’un paysan de mauvaise mine et d’une senteur épouvantable. Il vint frapper à sa porte, et étant entré à son poêle, il dit qu’il était envoyé pour certaine commission de la part d’un officier du prince de Constance Konstanz, son évêqueJohann Franz Schenk von Stauffenberg[1704‒1740]. Il demanda ensuite à manger. Quand on lui servit le pain, le vin, et la viande, il prit la viande à deux mains et la dévora avec les os en disant :

— Vois comme je mange la chair avec les os : fais-en de même !

Il prit le pot de vin qu’il but d’un trait, en demanda d’autre qu’il but de même, et se retira ensuite sans dire adieu au curé. La servante, qui le conduisit à la porte, demanda son nom :

Mon nom est George Raulin, je suis né à Rutsinge Rotsingen. Je te montrerais qui je suis ! Ich zeig dir wer ich bin! dit-il au curé en descendant l’escalier.

Il passa tout le reste du jour dans le village en se montrant à tous. Il revint à la porte du curé vers minuit, criant trois fois d’une voix terrible :

— Mynheer monsieur Bayer, mynheer Bayer, mynheer Bayer ! Je te montrerais qui je suis.

Pendant trois ans, il revint chaque jour vers quatre heures de l’après-midi, et chaque nuit avant le pointleverdu jour, sous différents aspects. Quelquefois, il faisait du fracas dans toute la maison comme un tonnelier qui relie des tonneaux ; quelquefois on aurait dit qu’il voulait renverser tout le logis par le grand bruit qu’il causait. Pour faire témoigner de tout ceci, le curé fit venir le marguillier sacristain et d’autres du village pour rendre témoignage. Partout où il était, le spectre répandait une odeur épouvantable. Le curé eut recours aux exorcismes, mais sans effet ; on désespérait presque d’être délivré de ces vexations. Sur la fin de la 3e année, il lui fut conseillé de se munir d’une branche bénie au jour des palmes dimanche avant Pâques, de l’eau bénite, et d’une épée aussi bénite à cet effet. Il l’aspergea une fois, puis une deuxième, et depuis ce temps-là il ne fut plus molesté maltraité. Ceci a été attesté sur la parole d’un religieux capucin qui fut témoin de la plupart de ces choses le 29 août 1749.

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UN AUTRE PORC | Arnoulx 1628, Les estats généraux convoquez au ciel, p 745 f D'Averoult 1606, Fleurs des exemples ou catéchisme historial, tome 1, p.76

Grégoire [540‒604, Italie] dit qu’après avoir réconcilié une église de la ville de Rome (que les ariens avaient tenu par l’espace de deux ans) ; ayant introduit des reliquesossements, des martyrs st Étienne premier martyr à Jérusalem et ste Agathe [231‒251 Sicile], pour le temps de la messe, les assistants sentirent un porc passer entre leurs jambes pour sortir de l’Église. Et la nuit suivante, il vint faire un grand tintamarre comme s’il eut voulu renverser l’Église ; puis une brume claire descendit sur l’autel, une douce odeur se répandit dans toute l’Église et toutes les lampes s’allumèrent par miracle.

···

Une certaine fille très-douce passa sa vie en jeûnes, veilles, prières, et macérations de son corpsprivations auto-infligés de telle sorte qu’elle fut réputée et tenue pour sainte par un chacun. Elle tomba malade, et proche de la mort, se confessa à un très-dévot prêtre lequel ne la connaissait pas, et ignorait la grande présomption de sainteté en laquelle vivait cette fille malavisée pour ne luy en dire mot durant sa confession. Après sa mort, il advint qu'elle luy apparut toute noire, horrible à regarder. Dequoy tout épouvanté, le prêtre luy demanda qui elle était ; elle luy répondit qu’elle était cette fille estimée sainte d’un chacun et qu'elle fut damnée sur la fin, circa fi nem. Elle avait été précipitée dans les feux éternels avec les plus bas démons et autres damnés, à cause de sa superbe, en grande présomption de sainteté, en laquelle elle avait vécu : n’estimant qu’aucun se pouvait comparer à elle, élevée par son arrogance au-dessus de tous, les méprisant tous, et n’en tenant pas compte. C’était la cause de sa damnation dont elle ne pouvait être délivrée d’aucune façon. Ajoutant que si toutes les eaux de la mer seraient sèches et que tous ses abymes profondeurs seraient remplis de grains de moutarde, si un oyseau venait prendre dedans un seul grain par an, elle était sauvée (quand cet oyseau emporterait tous ces grains), et voudrait endurer toutes les peines d'enfer jusqu’à ce temps-là pourvu qu'après cela elle peut entrer au ciel. Mais elle n’espérait pas cela, car il n’y a aucune rédemption en enfer, in Inferno nulla est redemptio.

— Et pour cela que vous, ny aucun autre, ne prie pour moy, car je n’en seray jamais délivrée, dit-elle au père-confesseur.

 


 

 

Du tribunal

Qui ne croient pas aux signes du ciel tuent sans droit les prophètes et ceux qui rendent justice parmi le peuple. Annonce-leur un châtiment douloureux.

 

CETTE ÂME EN JUGEMENT | Ferraige 1859, Les révélations célestes et divines de ste Brigitte de Suède, t.3, p. 306 (c.39)

L’âme du décédé tremblait comme un coeur palpitant quand le démon se présenta au jugement divin en la retenant. Il dit au juge :

— Quant à la proie, ton ange et moi avons suivi cette âme depuis sa naissance jusqu’à la fin de ses jours, lui pour la conserver, moi pour la ruiner. Tous deux nous la guettions comme des chasseurs, néanmoins, à la fin elle est tombée dans mes mains. Pour la gagner à moi, je me suis comporté par toutes sortes d’agitation ; comme un torrent quand la brèche est faite à qui rien ne résiste sinon quelque digue, c’est-à-dire votre justice, laquelle n’est pas encore prouvée contre cette âme ; c’est pourquoi je ne la possède pas encore certainement. Aussi je la désire avec autant d’ardeur qu’un animal affamé, si enragé de faim qu’il mange ses membres. Donc d’autant que vous êtes juste juge, pourquoi est-elle tombée en mes mains qu’en celles de son ange ?

— En autant que ses péchés sont en plus grand nombre que ses bonnes oeuvres. Montrez-les, dit le juge.

— J’ai un livre rempli de tous ses péchés, dit le démon.

— Quel est le nom de ce livre ? dit le juge.

— Son nom est désobéissance. En ce livre sont sept livres, chacun a trois colonnes, chaque colonne a plus de mille mots mais non moins de mille, quelques-uns en ont plus.

— Dites les noms de ces livres, dit le juge, car bien que je sache toutes choses, dites-les néanmoins afin que votre volonté et ma bonté soient connues.

— Le nom du 1e livre est la superbe, en icelui sont trois colonnes : la 1e est la pensée de superbe en sa science, autant qu’il s’enorgueillissait de la bonne vie qu’il croyait avoir meilleure que les autres, il s’enorgueillissait encore de sa pensée et de sa science qu’il estimait plus sages que les autres ; la 2e colonne était d’autant qu’il s’enorgueillissait des biens qui lui avaient été donnés, des vêtements et des autres choses ; la 3e était d’autant qu’il s’enorgueillissait de la beauté des membres de sa noble race et de ses oeuvres. En ces trois colonnes il y avait des paroles infinies, comme vous connaissez mieux.

Le 2e livre est la cupidité, ce livre avait trois colonnes : la 1e était en pensée, autant qu’il a cru que ses péchés n’étaient pas si grands qu’on le disait, indignement a-t-il désiré le Royaume céleste qui ne se donne qu’aux purs ; la 2e autant qu’il a plus désiré d’être au monde qu’il n’était nécessaire, et que sa volonté ne tendait qu’à rendre recommandables son nom et sa race afin de nourrir ses héritiers à l’honneur du monde, non à l’honneur de Dieu ; la 3e fut qu’il désirait l’honneur du monde en excellant au-dessus des autres. En ces choses, comme vous connaissez, il y a des paroles innombrables par lesquelles il recherchait de bienveillantes faveurs par lesquelles acquérir des biens temporels.

Le 3e livre est l’envie, celui-ci a trois colonnes : la 1e fut en sa pensée, car il enviait ceux qui excellaient sur lui et avaient plus que lui ; la 2e autant qu’il a reçu par envie les biens de ceux qui en avaient plus besoin que lui ; la 3e que par envie il a nui secrètement au prochain par ses conseils, et aussi publiquement, tant par lui que par les siens, tant par paroles que par les faits, tant par soi que par les siens, et a aussi incité les autres à des choses semblables.

Le 4e livre est l’avarice, dans lequel il y avait trois colonnes : la 1e était l’avarice en sa pensée, car il ne voulut jamais enseigner ce qu’il savait, dont les autres eussent pu prendre quelque consolation ou profit, pensant comme ce qui suit : Quelle profit m’en reviendra-t-il si je donne tel ou tel conseil ? Quelle récompense en aurai-je si je lui profite en lui donnant conseil ? Et ainsi, celui qui lui demandait conseil s’en retournait grandement affligé, pouvant être instruit de lui et ne l’étant pas, le pouvant édifier et ne le faisant pas ; la 2e colonne est que pouvant purifier ceux qui étaient en dissensiondiscorde, il ne le voulut pas le faire, et pouvant consoler ceux qui étaient en trouble, il n’en voulut rien faire ; la 3e colonne était l’avarice en ses biens, autant que s’il lui fallait donner un denier pour Dieu, il s’en affligeait grandement, mais il en eut donné cent pour l’honneur du monde. En ces colonnes sont des paroles infinies, comme vous le savez très bien. Vous savez toutes choses, et rien ne vous peut être caché, mais vous me contraignez de parler par votre pouvoir afin que les autres en profitent.

Le 5e livre est la paresse, il a aussi trois colonnes : la 1e il était fainéant aux bonnes oeuvres pour votre honneur et pour accomplir vos préceptes, car pour avoir repos en son corps, il a perdu son temps. L’utilité et la volupté de son corps lui étaient très chères ; la 2e colonne, il était oisif en ses pensées, car quand vous lui inspiriez quelque pensée de contritionrepentance ou quelque connaissance d’esprit, elles lui semblaient trop longues, il en retirait sa pensée et la portait aux joies du monde qui lui plaisaient beaucoup ; la 3e il était lâche à parler, à prier pour son utilité et celle d’autrui, et surtout pour votre honneur, et fervent à dire des paroles de moquerie et cajolerie. Or combien grand en est le nombre et la quantité, vous seul le connaissez.

Le 6e livre était la colère, il avait trois colonnes : la 1e autant il se colérait contre son prochain des choses qui lui était inutiles ; la 2e autant il a laissé le prochain par sa colère en ses oeuvres, d’autres fois en aliénant la sienne ; la 3e autant par sa colère il troublait son prochain.

Le 7e livre était la volupté, il avait aussi trois colonnes : la 1e autant qu’il était impudique dans ses paroles et dans ses actes ; la 2e il était trop pétulantexubérant en ses paroles impures ; la 3e était qu’il nourrissait trop délicatement son corps, se préparant des superfluités de mets délicats pour contenter sa sensualité et pour être estimé grand. En cette colonne, il y a plus de mille paroles. Il demeurait à table plus longtemps qu’il ne devait, ne considérant pas le temps qu’il y restait pour cajoler et pour recevoir plus que la nature ne requérait, plutôt que pour prier ou bien travailler. Voici juge, mon livre est plein, adjugez-moi donc cette âme.

Le juge ne disait mot. La mère en miséricorde qui semblait fort loin, s’approcha et dit :

— Mon fils, je veux disputer la justice contre ce diable.

— Ma chère mère, si la justice n’est pas déniée au diable, pourquoi vous serait-elle déniée à vous qui êtes ma mère ? Vous pouvez aussi - sachant toutes choses en moi, mais vous parlerez afin que les autres connaissent combien je vous aime.

La mère parla au diable, disant :

— Je te commande de répondre à trois choses que je te demande, tu y es obligé par la justice et bien que tu le fasses à regret, d’autant que je suis ta maîtresse, dis-moi si tu sais toutes les pensées des hommes ?

— Non, dit le diable, seulement celles-là qui se manifestent par l’oeuvre extérieure et ce que je peux conjecturer dans le coeur ; car bien que j’aie perdu ma dignité, néanmoins par la subtilité de ma nature il m’est demeuré tant de sagesse que, par disposition de l’homme. J’entre dans l’état de la pensée, mais je ne peux pas connaître les bonnes pensées des hommes.

— Dis-le-moi diable, bien que contraint, qu’est-ce qui peut effacer les écrits de ton livre ?

— Une seule chose, c’est la charité. Quiconque l’obtient dans son coeur, l’écriture s’efface soudain de mon livre.

— Dis-moi diable, quelqu’un peut-il être si méchant et si corrompu qu’il ne puisse venir à résipiscencerepentir pendant qu’il vit ?

— Il n’y en a pas un qui ne le puisse pas avec la grâce, s’il veut ; car quand quelque pécheur que ce soit change sa mauvaise volonté en une bonne et veut demeurer ferme en icelle, il atteint les feux de la charité divine ; tous les démons ne sauraient le retenir.

Ces choses étant entendues, la mère en miséricorde dit à ceux qui étaient à l’entour d’elle :

À la fin de sa vie, cette âme s’est convertie à moi et m’a dit : Vous êtes mère en miséricorde et faites miséricorde aux misérables... Je suis indigne de prier votre fils, d’autant que mes péchés sont trop grands et en trop grande quantité. J’ai trop provoqué sa colère en aimant plus le monde et mes voluptés que mon Créateur Dieu. Partant, je vous supplie d’avoir miséricorde de moi, car vous ne la refusez pas à un qui vous la demande ; et partant, je me convertis à vous et vous promets que si je vis, je veux m’amender, convertir ma volonté à votre fils, et n’aimer autre chose que lui. Mais je suis marrinavré de n’avoir rien fait pour l’amour de votre fils mon formateur. Partant, je vous prie ô très clémente dame, d’avoir compassion de moi, car je n’ai de refuge qu’en vous. Cette âme vint à moi à la fin de ses jours par telles pensées et paroles, ne devais-je pas l’exaucer ? Car qui est celui-là qui, priant un autre de tout son coeur, et avec résolution de s’amender, ne mérite d’être exaucé ? Combien plus dois-je entendre ceux qui crient à moi qui suis mère en miséricorde.

— Je n’ai rien su d’une telle volonté, mais si cela est comme vous dites, prouvez-le par des raisons évidentes, dit le diable.

— Tu es indigne que je te parle, néanmoins je te répondrai parce que cela peut servir au prochain. Tu as dit ci-dessus qu’en ton livre rien ne peut être effacé que par la divine charité.

La sainte-vierge dit en se tournant vers le juge :

— O mon fils, que le diable ouvre maintenant son livre, qu’il le lise et voie si toutes choses sont là entièrement écrites ou s’il y a quelque chose d’effacé.

— Où est ton livre ? dit le juge.

— En mon ventre, répondit le diable.

— Quel est ton ventre ? dit le juge.

— Ma mémoire, dit le diable, car comme dans le ventre sont toutes immondices et toutes puanteurs, de même en ma mémoire sont toutes malices et toutes méchancetés puant devant moi comme une corruption. Car quand je me suis retiré de vous et de votre lumière par la superbe, dès lors j’ai trouvé en moi toutes sortes de malice, et ma mémoire a obscurci les biens divins, et en cette mienne mémoire est écrite toute l’iniquité des pécheurs.

— Je te commande de voir diligemment ce qui est écrit dans ton livre, et de dire publiquement ce qui est effacé des péchés de cette âme, dit le juge.

— Je vois dans mon livre des choses écrites que je n’ai jamais pensées, car je vois que ces sept choses sont effacées et il ne demeure rien de plus en mon livre que moquerie, dit le diable.

Le juge dit au bon ange qui était là présent :

— Où sont les bonnes oeuvres de cette âme ?

— Elles sont en votre présence même ; tout vous est connu, dit le bon ange. Nous voyons toutes choses en vous de sorte qu’il n’est pas nécessaire pour nous d’en parler. Mais d’autant que vous voulez montrer votre charité, c’est pourquoi vous marquezannoncez votre volonté à ceux qu’il vous plait. Ce pourquoi, depuis que cette âme fut jointe à son corps, j’ai toujours été avec elle, j’ai aussi écrit un livre de ses biens ; il est en votre pouvoir d’entendre ce livre si vous voulez.

— Je ne peux juger sans les avoir entendus d’avance, et connu les biens et les maux, lesquels étant bien considérés, la justice demande qu’il soit jugé ou à la mort ou à la vie, dit le juge.

— Mon livre est obéissance, par laquelle il vous a obéi, et en icelle, il y a sept colonnes :
la 1e est le baptême ; la 2e est l’abstinence et jeûne des oeuvres illicites - des péchés, des voluptés et tentations de la chair ; la 3e est l’oraisonet le bon propos qu’il a eu ; la 4e est les bonnes oeuvres, les aumônes et autres oeuvres de miséricorde ; la 5e est l’espérance qu’il a en vous ; la 6e est la foi qu’il a eue comme chrétien ; la 7e est la charité divine.

Ces choses étant dites, le juge lui dit encore :

— Où est votre livre ?

— En votre vision et amour mon-seigneur, dit l’ange.

Alors la sainte-vierge dit au diable :

— Comment avez-vous gardé votre livre, et comment s’est effacé ce qui y était écrit ?

— Malheur malheur, vous m’avez déçu ! dit le diable.

Ensuite le juge dit à sa très-bénie mère :

— Vous avez avec raison obtenu absolution en ce fait, et avez avec justice gagné cette âme.

— J’ai perdu, je suis vaincu ! cria le diable. Mais dites-moi juge, combien de temps tiendrai-je cette âme pour les moqueries et cajoleries qu’elle a faites ?

— Je te le montrerai, dit le juge. (Les livres sont ouverts et lus). Et bien que je sache toutes choses, dis-moi diable si cette âme doit entrer au ciel ou non, selon ta justice ? Je te permets de voir et savoir maintenant la vérité de la justice.

— La justice en toi dit que si quelqu’un décède sans péché mortel, qu’il n’entre pas en enfer ; et quiconque a la charité divine de la justice doit avoir le ciel : l’âme donc n’étant pas morte en péché mortel et ayant eu la charité divine est prête à entrer dans le ciel après qu’elle aura été purifiée au purgatoire.

— Puisque donc je te permets de lire la vérité de ma justice, répond le juge, ceux-ci l’écoutant, dis qu’est-ce qui me plait et quelle doit être la justice de cette âme ?

— Qu’elle soit purifiée de telle sorte qu’il ne reste aucune tache, répond le diable. Car bien qu’elle soit à vous, elle ne peut pourtant pas arriver à vous avant qu’elle ne soit purifiée. Juge, d’autant que vous m’avez demandé, je vous demande maintenant comment elle doit être purifiée et combien de temps elle sera en mes mains ?

— Je te demande que tu n’entres pas en elle, que tu ne l’absorbes pas en toi, répondit le juge. Mais tu dois la purifier jusqu’à ce qu’elle soit pure, et qu’elle ait enduré la peine d’après la grandeur de la faute, car elle a péché en trois manières : trois en la vue, trois en l’ouïe, trois en l’attouchement :

en partant, elle doit être punie triplement en la vue : 1° elle doit voir ses péchés et abominations ; 2° elle doit te voir en ta malice ; 3° elle doit voir les peines terribles des autres âmes ;

qu’elle soit aussi affligée en l’ouïe en trois manières : 1° elle doit entendre les malheurs horribles autant qu’elle a voulu entendre les louanges délectables du monde ; 2° elle doit entendre les épouvantables moqueries et cris des démons d’autant qu’elle a écouté avec plus de plaisir les amours en faveur du monde que celles de Dieu ; 3° et leurs effroyables opprobres déshonneurs et misères d’autant qu’elle a servi le monde avec plus de ferveur que Dieu ;

qu’elle soit aussi affligée en l’attouchement en trois manières : 1° elle sera brûlée d’un feu très-ardent, tant dedans que du dehors, de sorte qu’il n’y aura pas la moindre tache qui ne soit pas purifiée dans le feu ; 2° elle pâtira une grande rigueur de froid d’autant qu’elle s’enflammait en ses cupiditésdésir immodéré et se glaçait en ma charité ; 3° elle sera aux mains du diable afin qu’il n’y ait pas la moindre pensée qui ne soit pas purifiée jusqu’à ce qu’elle soit passé par la coupelle, comme l’or à la volonté du possesseur.

Derechef, le diable demande combien de temps cette âme serait en cette peine, le juge répondit :

— Tout autant de temps que sa volonté était de vivre du monde, et autant qu’elle aurait voulu vivre en son corps jusqu’à la fin du monde, elle est obligée d’endurer cette peine jusqu’à la fin du monde. Car telle est ma justice :

quiconque a ma charité et me désire ardemment, souhaitant être avec moi, étant séparé du monde ; celui-là mérite d’avoir le ciel sans peine, en autant que l’exercice de cette vie présente est sa purification ;

celui qui craint la mort à cause de la peinede la mort et de la peine qui suit la mort, et voudrait vivre plus longtemps afin de s’amender en raison de cela, celui-là aurait une peine plus légère dans le purgatoire ;

celui qui a volonté de vivre jusqu’au jour du jugement, bien qu’il n’ait pas péché mortellement mais seulement pour l’amour qu’il a de cette vie, celui-là doit souffrir les peines du purgatoire jusqu’au jour du jugement.

La sainte-vierge Marie dit, pleine de compassion :

— Vous êtes béni mon fils pour votre justice qui est toute miséricorde. Car bien que nous voyions et sachions toutes choses en vous, néanmoins, pour l’instruction des autres, dites-nous quel remède appliquer pour diminuer un si long temps de peine, et lequel pour éteindre un feu si ardent ? Et comment aussi cette âme peut être affranchie des mains des diables ?

— Rien ne peut vous être refusé, car vous êtes la mère en miséricorde, vous cherchez et procurez la consolation à tous. Il y a trois choses qui diminuent un si long temps de peine et qui éteignent ce feu, et délivrent des mains des démons :

- la 1e si on rend par quelque peine ce qu’il a pris injustement ce qu’il devait rendre justement aux autres ;

- la 2e si on rend par les aumônes très-grandes, le péché s’éteint comme le feu par l’eau ;

- la 3e si on rend par les sacrifices des messes et par les prières de mes amis.

Ma justice veut que cette âme soit purifiée par les prières des saints, ou par des aumônes et bonnes oeuvres des amis, ou par quelque purification digne de cela.

Ce sont ces trois choses qui délivreront l’âme de ces trois peines.

— Qu’est-ce que lui profitent maintenant les bonnes oeuvres qu’il a faites pour vous ? Répondit derechef la mère en miséricorde.

— Vous ne le demandez pas parce que vous l’ignorez, puisque vous savez toutes choses et les voyez en moi, mais vous le demandez afin que mon amour soit manifesté aux autres.
                                   
Assurément, il n’y aura pas la moindre parole, ni la moindre pensée pour mon honneur qui n’ait sa récompense ; car toutes choses qu’il a faites en sa souffrance devant moi pour l’amour de Lui, lui servent de soulagement maintenant et les rigueurs du feu sont moindres qu’elles ne seraient.

Après cela la sainte-vierge dit à son fils :

— Pourquoi est-ce que cette âme reste immobile sans bouger contre ses ennemis, bien qu’elle soit vivante ?

— Le prophète Ésaïe (53:7) a écrit de moi que je fus muet comme un agneau devant le tondeur. Véritablement je garde silence devant mes ennemis, dit le juge. Comme cette âme se soucia peu de ma mort, ma justice veut qu’elle soit maintenant comme un enfant qui ne sait crier contre ses ennemis.

— Vous êtes béni ô mon fils qui ne faites rien sans justice. Vous avez déjà dit que vos amis pouvaient secourir cette âme, et vous savez que cette âme m’a servie en trois manières : 1° par l’abstinence en jeûnant les vigilesde mes fêtes en le faisant pour mon nom ; 2° elle disait mes heures ; 3° elle chantait mon honneur par sa propre bouche. O mon fils, puisque vous exaucez ceux qui vous prient sur la terre, daignez exaucer aussi ma prière…

— Plus quelqu’un est ami de quelque seigneur, plus ses prières sont exaucées et le plus tôt. D’autant que vous m’êtes très chère, demandez ce que vous voudrez et il vous sera donné.

— Cette âme souffre trois sortes de peines en la vue, trois en l’ouïe, trois en l’attouchement. Je vous supplie donc mon cher fils, 1° de vouloir lui diminuer une peine de la vue, à savoir qu’elle ne voit pas les horribles diables - mais qu’elle souffre des deux autres peines puisque votre justice l’exige et contre laquelle je ne puis aller selon la justice de votre miséricorde ; 2° je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’ouïe, à savoir qu’elle n’entende pas l’opprobre et la confusion ; 3° je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’attouchement, à savoir qu’elle ne ressente pas le froid si rigide qu’elle mérite de ressentir autant qu’elle était froide en votre charité.

— Soyez bénie ma mère très-chère, rien ne peut vous être refusé, que votre volonté soit faite.

On vit soudain un des saints avec une grande milice qui dirent :

— Louange à vous Seigneur Dieu Créateur et Juge de tous !

— Vous êtes béni mon fils très-cher pour l’amour et la miséricorde que vous portez aux âmes. Cette âme dévote m’a servi en sa vie, elle a jeûné pour mon honneur, m’a louée ainsi que tous les amis qui vous entourent : parlant de leur part et de la mienne, je vous en supplie seigneur, faites-lui miséricorde par amour pour nos prières ; donnez-lui repos en une des peines, à savoir que les démons n’aient pas puissance d’obscurcir sa conscience. Car leur malice obscurcit tellement son âme, que s’ils n’en sont pas empêchés elle n’attendra pas la fin de sa misère ni l’acquisition de la gloire, si vous ne jetez pas les yeux de votre grâce sur elle, et cela lui sera le plus grand supplice des supplices. En considération de nos prières, seigneur plein de miséricorde, donnez-lui la grâce de savoir avec certitude que sa peine finira et qu’elle possèdera un jour la gloire éternelle…

— Ma justice veut que les démons obscurcissent son âme d’autant que lorsqu’elle vivait, car elle retirait l’Esprit de la contemplation divine de ses pensées et les tournait aux choses corporelles, sans se soucier d’être sans connaissance et d’agir contre moi. Mais en autant que vous, mes amis, avez entendu et reçu mes paroles et mes inspirationsprophéties, et les avez accomplies en vos travaux, il n’est pas raisonnable que je refuse et rejette vos demandes mais je ferai ce que vous demanderez.

Alors tous les saints répondirent :

— Louange à Dieu qui est béni en votre justice ! Vous jugez justement et ne laissez rien impuni.

Puis l’ange-gardien dit au juge :

— J’ai accompagné cette âme dès que l’âme fut unie à ce corps et la suivais, elle faisait quelque fois ma volonté comme votre providence charitable l’ordonnait. Parlant maintenant, je vous en prie mon-seigneur, ayez miséricorde d’elle.

— Nous voulons délibérer à ce sujet, dit notre-seigneur.

La vision disparut.

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COUVERT DE CHAÎNES | Louvet 1893, Le purgatoire d'après les saints

L’empereur byzantin Théophile [813‒842, Constantinople] fut un des iconoclastes barbares des plus acharnés contre les saints que l’Église catholique ait connu. L’impératrice Théodora sa femme se consumait dans les jeûnes et les prières pour obtenir sa conversion, et en fin de vie l’empereur maudit ses erreurs et mourut en profonde pénitence. À sa mort, sa femme pria beaucoup et fit prier pour le repos de son âme. Quelque temps après, l‘impératrice eut un songe où Théophile lui apparut couvert de chaînes, traîné au tribunal par une bande de démons ayant des instruments de torture en main ; elle semblait suivre ce misérable cortège et tentait en vain d’arrêter ces mauvais esprits enragés. Au tribunal, les démons présentèrent l’âme devant le juge au visage irrité, réclamant à grand cri la condamnation de ce persécuteur qui avait versé le sang des saints. À son tour, Théodora s’approcha du trône et se jeta aux pieds du Christ, elle présenta avec humilité la pénitence de son mari faite à l’heure de la mort, et les prières qu’elle ne cessait pas d’offrir et de faire offrir chaque jour pour le repos de cette âme. Le regard du juge s’adoucit soudain et il dit :

Mulier, magna est fidestua.Femme votre foi est grande. Votre époux méritait d’être condamné, mais à cause de vous et en considération des prières de mes prêtres, je lui accorde sa grâce.

Puis s’adressant aux exécuteurs de sa justice, il leur dit :

— Déliez-le et rendez-le à sa femme.

Le lendemain matin, l’impératrice rapporta le songe au patriarche Méthode qui avait beaucoup souffert de l’empereur à cause de sa foi, mais il avait multiplié ses prières et bonnes oeuvres en tant qu’évêque pour Théophile. Or cette même nuit, il eut un songe lui où il lui semblait être dans l’Église Sainte-Sophie, un ange apparut et lui dit :

— Prêtre, tes prières sont exaucées, Théophile a obtenu grâce.

Le lendemain matin, en se rendant à l’Église, il trouva la confirmation de sa vision. Il tenait un petit livre dans lequel il avait coutume d’écrire les noms des principaux barbares, et le déposait à l’autel pour les recommander à Dieu en offrant le Sacrifice divin ; l’empereur était en tête de liste. Or ce jour-là son nom se trouva miraculeusement effacé. Ce fut l’assurance que Théophile avait trouvé miséricorde par les prières offertes pour lui.

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70 FOIS POUR CETTE ÂME | Herbelot 1697, Bibliothèque orientale ou dictionnaire universel, (-HEG, -GIO)

Hegiage ben Josef al-Thakefi, un des plus vaillants (de guerre) et plus éloquents capitaines qu’aient eu les arabes au temps du khalife ; Abdalmalek, 5e khalife des ommiades le fit gouverneur de l’Arabie et de l’Iraque arabique après qu’il eut défait Abdallab ben Zobair (qui avait pris le titre de khalife). Un jour qu’Hegiage se promenait à la campagne, il fit la rencontre d’un arabe du désert qui ne le connaissait pas et lui demanda quel homme était cet Hegiage dont on parlait tant ? L’arabe lui répondit que c’était un méchant homme. Et Hegiage lui dit :

— Et bien apprends que c’est à Hegiage même que tu parles.

Sans témoigner aucun étonnement, l’arabe lui dit :

— Et vous, savez-vous que je suis ?

— Non, répliqua Hegiage.

— Je suis de la maison de Zobair (qui fut renversée par Hegiage) dont tous les descendants deviennent fous trois jours de l’année, et cette journée-ci est l’une des trois, lui dit l’arabe.

Hegiage ne put s’empêcher de rire et d’admirer une défaite aussi ingénieuse que celle-ci. Même encore extrêmement sévère qu’il passa même pour cruel (l’on dit qu’il avait fait mourir cent vingt mille personnes, et que lorsqu’il mourut il y en avait cinquante mille dans ses prisons), cependant il fit grâce à cet arabe dont il estima l’esprit courageux.

···

Voici une autre rencontre dans laquelle Hegiage fit connaître son caractère. Ayant fait prisonniers plusieurs officiers dans la bataille qu’il gagna en Arabie sur Abdalrahman (qui s’était révolté contre le khalife Abdalmalek), il résolut de les faire tous passer par le fil de l’épée. Un de ces prisonniers qu’on allait exécuter, s’écria qu’il avait une justice à demander à Hegiage. Bien surpris de ce discours, Hegiage demanda à cet homme ce qu’il voulait.

— C’est qu’un jour, dit le prisonnier, notre général Abdalrahman s’était emporté de paroles contre vous, je lui dis qu’il avait tort.

Sur ce Hegiage demanda au prisonnier s’il avait quelque témoin de son action.

— Oui, lui répondit le prisonnier (et montra un de ses camarades voué aussi à la mort qui avait été présent).

Hegiage ayant appris la vérité du fait, dit au témoin :

— Et toi, pourquoi n’en fis-tu pas autant que ton camarade ?

— Je ne l’ai pas fait, répondit fièrement cet homme intrépide, parce que vous étiez mon ennemi.

Hegiage leur laissa la vie à tous les deux, à l’un pour reconnaître l’obligation qu’il avait eu, et l’autre parce qu’il avait avoué si franchement la vérité et avec tant de courage. Quelques-uns s’étant plaints des violences qu’Hegiage exerçait contre ses sujets, et lui ayant mis devant les yeux la crainte de Dieu. Hegiage monta aussitôt sur la tribune pour haranguer le peuple, et leur dit avec son éloquence ordinaire :

— Maintenant, Dieu m’a donné puissance sur vous, et si je l’exerce avec quelque sévérité, ne croyez pas qu’après ma mort vous ayez meilleur marché, car de la manière que vous vivez, vous serez toujours maltraités. Dieu a beaucoup de serviteurs, et quand je serai mort, il vous en enverra un autre qui exécutera ses ordres contre vous, peut-être encore avec plus de rigueur. Voulez-vous que le prince soit doux et modéré ? Exercez entre vous la justice, et obéissez à ses ordres. Souvenez-vous que vos déportements sont le principe et la cause du bon ou du mauvais traitement que vous recevez de lui. Le prince peut être comparé justement à la glace d’un miroir, tout ce que vous voyez dans cette glace n’est qu’un renvoi des objets que vous lui présentez.

···

L’histoire qui suit est rapporté dans le Baharistan de Giami. Hegiage étant à la chasse, s’éloigna de ses gens et se trouva seul, fort altéré, en un lieu écarté où un arabe faisait paître ses chameaux. Aussitôt qu’il parut, les chameaux s’effarouchèrent, ce qui obligea l’arabe attentif à autre chose, de lever la tête tout en colère, et de dire :

— Qui est cet homme avec ses beaux habits qui vient dans le désert effaroucher mes chameaux ? La malédiction de Dieu puisse tomber sur lui !

Hegiage, sans s’arrêter à ces paroles, s’approcha de l’arabe, et le salua fort civilement, en lui souhaitant la paix ; mais celui-ci, au lieu de lui rendre le salut, repartit brusquement qu’il ne lui souhaitait ni la paix, ni aucune bénédiction de Dieu. Hegiage fit semblant de ne pas l’entendre, et lui demanda fort humblement de l’eau à boire. L’arabe lui dit :

— Hé bien, si vous voulez boire, prenez la peine de vous baissez et d’en puiser vous-même, car je ne suis ni votre camarade, ni votre serviteur.

Hegiage obéit à l’arabe, et après avoir bu, lui fit cette demande :

— Qui croyez-vous être le plus grand et le plus excellent de tous les hommes ?

— C'est le prophète envoyé de Dieu, dussiez-vous en crever de dépit, lui répliqua l’arabe.

— Et que dites-vous d’Ali, ajouta Hegiage ?

— On ne peut assez exprimer de bouche son excellence, répondit l’arabe.

Continuant son discours, Hegiage lui demanda ce qu’il pensait d’Abdalmalek, fils de Mervan (khalife qui régnait alors, duquel Hegiage était lieutenant-général et gouverneur presque absolu dans l’Iraque arabique). L’arabe ne répondit rien d’abord, mais étant pressé il osa dire qu’il le regardait comme un mauvais prince.

— Et pourquoi, dit Hegiage ?

— C’est parce qu’il nous a envoyé pour gouverneur le plus méchant qui soit sous le ciel.

Connaissant que l’arabe parlait de lui, Hegiage ne lui dit plus rien, et il arriva qu’un oiseau volant dessus leurs têtes fit un certain cri ; l’arabe n’eut pas plus tôt entendu qu’il regarda fixement Hegiage, et lui demanda qui il était. (Il sera bon de remarquer au sujet de cet oiseau qui se fait entendre à l’homme, qu’il y a parmi les peuples de l’Arabie des gens qui prétendent savoir le langage des oiseaux ; ils disent que cette science leur est connue depuis le temps de Salomon et de la reine de Saba, lesquels avaient un oiseau nommé Hudhud, qui est la houppe pour messager de leurs amours). Hegiage lui demanda pourquoi cette question.

— C’est parce que, dit l’arabe, cet oiseau qui vient de passer me dit qu’il y avait près d’ici une troupe de gens, et que vous pourriez bien en être le chef.

L’arabe n’eut pas plus tôt dit ces mots que les gens d’Hegiage arrivèrent, et ils reçurent l’ordre de lui emmener l’arabe avec eux. Le lendemain, Hegiage le fit appeler, le fit asseoir à sa table, et lui commanda à manger. L’arabe fit sa bénédiction ordinaire avant que de commencer à manger, et dit :

— Dieu veuille que la fin du repas soit aussi heureuse que l’entrée.

Pendant le repas, Hegiage lui demanda s’il se souvenait des paroles qu’ils avaient tenu ensemble le jour précédent ? L’arabe lui répondit aussitôt :

— Dieu vous fasse prospérer en toutes choses. Quant au secret d’hier, gardez-vous bien de le divulguer aujourd’hui.

— Je le veux bien mais il faut que vous choisissiez l’un de ces deux partis, dit Hegiage ; ou de me reconnaître pour votre maître et je vous retiendrai à mon service, ou d’être envoyé à Abdalmalek, auquel je ferai savoir tout ce que vous avez dit de lui.

L’arabe répondit aussitôt :

— Il y a un troisième parti que vous pourriez prendre, et qui me paraît beaucoup meilleur.

— Et quel est-il, insista Hegiage ?

— Ce serait de me renvoyez chez moi, et que nous ne nous voyons plus jamais ni l’un ni l’autre, dit l’arabe.

Hegiage, tout farouche qu’il était, prit plaisir aux réponses pleines d’esprit de cet homme ; il lui fit donner mille drachmes d’argent et le renvoya chez lui comme il le souhaitait.

L’historien Sadi rapporte qu’Hegiage s’était recommandé aux prières d’un religieux musulman, qui pria aussitôt qu’il plut à Dieu de le faire mourir promptement, parce que, dit-il, rien ne pouvait arriver de plus avantageux pour lui et pour les peuples. Mirkhond écrit qu’Hegiage qui était alité de sa dernière maladie, consulta son astrologue pour savoir s’il ne trouvait pas dans son astrolabe que quelque grand capitaine dut bientôt finir ses jours. L’astrologue lui dit qu’un grand seigneur nommé Koleb chien était menacé de mourir bientôt selon ses observations. Hegiage dit :

— Voilà justement le nom que ma mère me donnait lorsque j’étais encore enfant.

L’astrologue, aussi habile dans son art qu’il fut imprudent d’exclamer là-dessus brusquement :

— C’est donc vous qui devez mourir, vous n’avez pas lieu d’en douter.

Offensé à ce, Hegiage dit aussitôt à l’astrologue :

— Puisque je dois mourir, puisque vous êtes habile dans vos prédictions, je veux vous envoyer devant moi en l’autre monde.

Et on se dépêchât lorsqu’il donna ordre. Le même auteur met la mort d’Hegiage en l’an 95 de l’hégire, âgé de 54, et dit de lui qu’il naquit fermé par en bas et qu’on l’ouvrit avec des instruments.

Giobair, célèbre docteur de Goufah, disciple d’Ebn Abbas et Ebn Omar, surnommé Assadi, fut mis à mort par Hegiage en l’an 95 de l’hégire. Hegiage entendit qu’une voix lui dit en songe qu’il souffrirait la mort pour chaque homme qui avait fait mourir, et qu’il souffrirait soixante-dix fois pour celle d’Assadi.

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DES PLEURS DE CHARITÉ | Ferraige 1859, Les révélations célestes et divines de ste Brigitte de Suède, t.3, p. 321 (c.40)

Un ange assisté d’une milice céleste fait requête au jugement divin pour faire abroger annuler le temps de purgatoire d’une âme, avant le dernier jugement parce qu’après que quatre ans furent écoulés l’âme avait l’aspect d’un bel enfant torse-nu. L’ange dit au juge assis sur un trône éminent assisté de mille millions de saints qui l’adoraient tous à cause de sa patience et son amour :

— O souverain juge. Cette âme pour qui je priais, vous m’avez dit que vous l’affranchiriez.
Maintenant que nous tous assemblés, nous prions pour vous demander miséricorde pour elle, sachant bien que tout est en votre estimée dilection choix.

C’est en raison de votre épouse ici présente que nous parlons d’une manière humaine, bien que cela ne soit pas la même manière entre nous.

— Si un chariot plein de gerbes et qu’un chacun prenne une poignée, le nombre et le poids diminueraient. De même en est-il maintenant.

Plusieurs larmes et plusieurs pleurs de charité m’ont été présentés pour cette âme, répondit le juge. Partant donc, le jugement veut qu’elle vienne sous votre garde. Et vous, apportez-la au repos que l’oeil n’a vu, que l’oreille ne peut entendre (ni elle-même ne saurait comprendre si elle était en la chair). Là où il n’y a ni ciel au-dessus, ni terre au-dessous ; où la hauteur est incompréhensible, la longueur indicible, la largeur admirable et la profondeur incompréhensible.

Là où Dieu est au-delà de toutes choses et entre toutes choses : il régit et contient toutes choses sans être contenu d’aucune.

Or après on vit cette âme monter au ciel aussi reluisante que l’éclat d’une étoile. Puis le juge dit :

— Bientôt le temps viendra où je proférerai mes jugements et ferai justice contre la famille de ce défunt ; car cette race monte avec superbemais elle descendra selon le mérite de la superbe.

 

 

Du purgatoire

Qui abandonne Iehvah périra.

 

JUDAS | Jacques 1970, Actes d’André et de Paul, trad. d'Alcock h Apocalypses Apocrypha, p.82 œ O'Donoghue 1893, Brendaniana: St. Brendan the Voyager, p.162

Au même instant que le marin aborda, comme Paul avait dit, il aperçut André près duquel une foule s’était rassemblée. Il emporta sur le rivage le manteau à lui remettre, et quand sa mère vit son fils venir vers le rivage, allant l'embrasser, le manteau de Paul toucha ses yeux et elle commença à voir ; ils rendirent gloire à Dieu de ce qui venait d’arriver. André alla au-devant du marin et dit :

— Où est celui qui est monté avec toi sur le bateau ?

— Il s'est jeté hors de notre bord dans l'eau en disant : Je vais aller visiter les lieux du monde d'en-bas où le seigneur est allé, et voir comment il les a faits, répondit le marin. Voici ce qu'il a dit de te dire : Je t'en prie n'oublie pas de venir à ma rencontre de crainte que les puissances souterraines du monde d'en bas me retiennent.

Et le marin lui remit le manteau de Paul. André lui dit :

— Retourne chez toi. Pour moi, je veux affronter encore un peu les juifs, ensuite je veux me rendre à l'endroit où il se trouve.

Le marin donna aux hommes ce qui leur revenait et partit dans sa maison en rendant gloire à Dieu. […] André se rendit à la mer et dit au marin :

— Montre-moi l'endroit où Paul s'est jeté dans l'eau.

Ils embarquèrent et naviguèrent jusqu'à ce qu'ils atteignent l’endroit.

— C'est ici, dit le marin.

André remplit une coupe d'eau douce et pria sur elle de cette manière :

— Mon Seigneur, toi qui as séparé la lumière du milieu des ténèbres, qui as séparé la terre jusqu'à ce que le sec apparaisse : au nom de Jésus, je verse cette coupe d'eau douce en pleine mer et que l'eau salée se retire et le sec paraisse, que la terre et le monde d'en-bas s'ouvrent et que mon frère Paul monte…

Ayant dit cela, il versa la coupe d'eau douce dans la mer, disant :

— Eau amère salée, retire-toi devant la douce !

Quand il eut dit cela le sec apparut aussitôt, le monde d'en-bas s'ouvrit et Paul sauta hors de l'eau, ayant en main un petit morceau de bois. Il sauta près d'André et l'embrassa.

— D'où viens-tu mon frère, en quel lieu étais-tu ? lui dit André.

— Pardonne-moi mon frère. Je suis allé visiter les lieux du monde d'en-bas où notre-seigneur est allé, et voir quelle sorte ils sont, dit Paul.

— Tu as été téméraire, car nous-mêmes les grands apôtres qui avons marché avec le-sauveur, lui qui nous a instruits dans toutes choses, et depuis sa résurrection nous a faits maîtres sur tous les pouvoirs, aucun de nous n'a osé faire ce que tu as fait, dit André.

— Pardonne-moi, j'ai réussi à le faire mon frère. Écoute, je vais te raconter ce qui est arrivé quand je suis arrivé dans le monde d'en-bas : j’ai vu les demeures de toutes les âmes, j’ai vu Judas sous la torture d’un grand châtiment, cet apôtre qui a marché avec notre-seigneur. Je lui ai dit :

Que fais-tu dans ce châtiment ? Le seigneur ne t'a-t-il pas emmené avec toutes ces âmes qu'il a emmenées ?

— Malheur à moi, me dit Judas, deux fois malheur de ce que j'ai fait à mon-seigneur… J'ai péché contre lui, je l'ai livré aux juifs pour des pièces d'argent périssables. Lorsque je me suis rendu compte que mon-seigneur était le seigneur de toute la terre, j'ai pris mes pièces d'argent et je suis allé les rendre aux princes sacrificateurs, puis je l'ai supplié :

Pardonne-moi seigneur car je t'ai livré ! Tu ne m'abandonneras pas pour une seule chose que j'ai faite, n'est-ce pas ? Ne m'abandonne pas ! Veux-tu me voir aller à la perdition… Souviens-toi seigneur, car je t'ai entendu dire à l'apôtre Pierre Céphas lorsqu'il t'a demandé : Si mon frère pèche contre moi, combien de fois devrais-je lui pardonner ? Jusqu'à sept fois ? Tu lui as dit : Non pas jusqu'à sept fois mais jusqu'à sept fois soixante-dix fois. Pour moi, j'ai péché une seule fois contre toi, et tu veux me voir aller à la perdition ? Non seigneur… Quel l'homme voyant se noyer son fils ne le secourrait-il pas ? Et malgré que j'aie osé te livrer, tu veux me voir aller à la perdition ? Non seigneur…

C’est alors qu’il m'envoya dans le désert en disant :

— Si tu vois venir le diable, ne crains que Dieu seul, ne crains que Dieu seul.

Et je m'en allai jeûner dans la montagne afin que Dieu me pardonne. Mais le diable, prince de la perdition, vint la gueule ouverte contre moi pour me dévorer, il leva la tête au-dessus de moi et j'eus peur et je l'adorai en disant :

— Tu es mon seigneur.

Et il s'écarta aussitôt de moi. Je pleurai qu’il n'y aurait plus de pénitence pour moi. Puis je réfléchis à ce que je ferais si le seigneur était là, et je partis le supplier. Mais ils l'avaient déjà conduit au prétoire pour le juger. Je me dis alors que j'irai me pendre pour le précéder aux shéols. Il descendit dans ce lieu particulier du shéol et emporta toutes ces âmes, il dévasta le shéol, n’y laissant que mon âme. Les portiers des shéols se plaignirent au diable en disant :

— Comment vas-tu te glorifier que tu es le roi et il n'y en a pas d'autre ?! Maintenant nous nous rendons compte que tu n'es pas le roi : celui qui est venu est ton maître, car il te les a toutes enlevées.

— Vous, tous mes pouvoirs, dit le diable en présence de ses armées, pensez-vous qu'il est plus fort que nous ?! Non. Il est venu dans ce lieu et voici une âme qu'il n'a pas pu emmener.

Jésus appela alors Michel qu'il avait emmené avec lui en bas aux shéols et lui dit :

— Fais monter l'âme de Judas pour que le diable n'ait pas d'excuse contre moi.

Michel vint et me fit remonter. Et Michel cria :

— Honte à toi ennemi impuissant !

Puis le seigneur dit à Michel :

— Retourne l'âme aux shéols.

— Tu vas me remettre dans ces tourments ? dit Judas en pleurant. Si j'ai fait moi-même sortir mon âme du corps c'est que je savais que tu viendrais dans les shéols emporter toutes ces âmes et que tu emporterais aussi la mienne.

— Malheureux ! Qu'as-tu fait en te prosternant pour adorer le diable ? dit Jésus.

— Seigneur, c'est sous la forme d'un dragon qu'il m'est venu par-dessus la gueule ouverte pour dévorer, dit Judas Iscariot. J'ai eu peur et l'ai adoré.

— Malheureux ! Ton âme aurait été sauvée si tu avais dit « aide-moi Jésus » quand il venait vers toi. Et tu es allé te mettre toi-même à mort, chose que Dieu déteste, ce pourquoi tu demeureras ici jusqu'au jour du jugement quand le Seigneur te jugera, me dit Jésus.

Et depuis ce jour je suis ici.

Ayant appris cela de la bouche de Judas, je fus très triste de le voir dans les tourments. Mais écoute ce que je vais te raconter des shéols : j'ai vu des rues désertes, sans personne, et toutes les portes des shéols que le seigneur a détruites étaient en petits morceaux. Tu vois, frère, ce morceau de bois que j'ai remonté ici, c'est une attache des portes que le seigneur a détruites. Au côté des shéols j’ai aussi vu un autre lieu de belle étendue et demandai :

— Qu'est ce lieu ?

— C’est le lieu pour les âmes d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et de tous les prophètes.

Dans d'autres lieux j'entendis une foule crier et pleurer mais je ne les vis pas, et demandai :

— Que sont ces lieux-là ?

— Ce sont les lieux que le seigneur n'a pas visités quand il est descendu aux shéols, ceux des pleurs et des grincements de dents où sont les meurtriers, les empoisonneurs et les noyeurs de bébés.

Après avoir rapporté cela, la barque aborda le rivage et André dit :

— Fini maintenant de parler ! Fais attacher la barque à l'endroit où tu l'as trouvée et allons en hâte à la ville, car un grand combat nous attend. Les juifs ont préparé une grande guerre contre nous. Que le nom de Jésus soit glorifié dans cette cité.

···

Brendan Breandán le-navigateur[484‒577, Irlande]construit entre 510 et 530 de l’an de notre-seigneur des refuges monastiques à Ardfert et au pied du mont Brandon Irlande. Puis il entreprit un voyage par bateau jusqu’au paradis, qui dura sept ans. Parce que sa renommée en mer se propagea, et que des foules, pèlerins et disciples, se rassemblaient à Ardfert, des maisons furent construites (à Gallarus, Kilmalchedor, Brandon Hill, et Inistooskert dans les îles Blasket) afin de recevoir guidance par Brendan, le saint patron des marins et des voyageurs. Un autre jour en bateau, ils aperçurent au nord dans l’océan une haute grande montagne avec des nuages de brume au-dessus et une grande fumée qui sortait du sommet. Tout d’un coup le vent poussa le bateau vers l’île de la montagne jusqu’à ce qu’il touche presqu’au rivage ; ses falaises étaient noires comme le charbon et aussi droites qu’un mur, si hautes qu’on ne pouvait en voir le haut. C’est ici que le dernier moine du monastère, qui restait des trois qui suivirent Brendan, sauta hors du bateau et se fit un chemin jusqu’au pied de la falaise en geignant et pleurant tout haut :

— Père, malheur à moi ! Je suis arraché loin de vous de force et je ne peux retourner.

Effrayés, les frères se retirèrent promptement du rivage, criant vers notre-seigneur en se lamentant fortement :

— Aie pitié de nous seigneur, aie pitié de nous…

Brendan vit clairement comment le misérable se fit emporter par une multitude de démons et brûlait déjà parmi eux. Il dit :

— Malheur à toi malheureux qui t’es fait une si mauvaise fin de vie.

Un vent favorable dirigea le bateau vers le sud. Et regardant en arrière ils virent le pic de la montagne projeter des flammes au ciel au point que la montagne ressemblait à un brûlant bûcher. Après sept jours de navigation vers le sud, Brendan aperçut un nuage très-épais et vit de plus près la silhouette d'un homme assis sur un rocher ballotté comme un petit bateau dans une tempête, et sur le devant une toile suspendue entre deux crochets. Voyant cela, certains frères pensèrent à un oiseau, d'autres à un bateau, et l’homme de Dieu leur dit de cesser de discuter pour se diriger directement à l’endroit. À leur arrivée, les vagues s’immobilisèrent, comme gelées tout autour, et ils découvrirent un homme assis sur un roc que les vagues frappaient à la tête et de tous côtés : dans le reflux on vit le rocher où était assis le misérable, et devant lui la toile secouée au vent qui lui frappait le front et les yeux. Le moine lui demanda qui il était et pour quel crime il avait été envoyé là, et comment il avait mérité de subir un si grand châtiment ?

— Je suis ce très-malheureux Judas, le plus méchant des commerçants. On ne m’a pas mis ici pour ce que je mérite, car il n’y a aucun lieu où je puisse me repentir, mais c’est par l’inexprimable grâce de Jésus Christ, miséricordieuse patience du rédempteur du monde, que j'ai ce rafraîchissant soulagement en l'honneur de sa résurrection comme l'est aujourd’hui en ce jour du seigneur. Il me semble me trouver au paradis des délices lorsque je suis assis ici, considérant l'agonie des tourments qui me sont ensuite réservés. Car nuit et jour, je brûle comme une masse de plomb fondu par mes tourments au coeur de cette montagne que vous avez vue, où habitent le Léviathan et ses satellites. J’étais là quand votre frère perdu a été avalé, quand tout l'enfer s’est exalté en vomissant de grandes flammes comme il fait toujours quand il dévore les âmes des réprouvés. Pour que vous connaissiez l’infinie miséricorde de Dieu, je vais vous parler du rafraîchissant soulagement que j’ai ici tous les dimanches : des premières vêpresoffice du soir aux secondes, de Noel à l'Épiphanievisite des mages, de Pâques à la Pentecôte, de la purification de Marie la vierge-bénie et à la fête de son assomption montée au ciel (15 août). Je suis tourmenté tous les autres jours avec Hérode, Pilate, Caïphe et Ananus. Aussi je vous conjure par le rédempteur du monde, intercédez pour moi auprès du seigneur Jésus pour que je reste ici jusqu'au prochain lever du soleil, que les démons ne me tourmentent pas avant grâce à votre venue, ni ne m’entraînent dans cet héritage de souffrance que j’ai acheté à mauvais prix…

— Que la volonté du seigneur se fasse, Tu ne seras pas emporté par les démons avant demain, dit le moine.

Il lui demanda alors ce que signifiait cette toile devant lui et Judas répondit :

— Alors que j'avais la bourse du seigneur, j'ai une fois donné à un lépreux cette toile qui n’était pas à moi, aussi je n’y trouve aucun soulagement mais blessure. J’ai une fois donné ces crochets de fer sur lesquels elle est suspendue aux sacrificateurs pour leurs chaudrons. Et avant de devenir disciple du seigneur, j’ai mis la pierre où je suis assis dans la fosse d’une voie publique.

Le soir venu une multitude de démons vinrent se placer en cercle et crièrent :

— Allez-vous-en, nous ne pouvons pas venir près de notre camarade à moins de vous éloigner de lui. Nous n'oserons pas voir la face de notre-prince avant de lui rendre son animal de compagnie. Donnez-nous notre proie, ne la gardez pas loin de nous cette nuit.

— Je ne le protège pas, c’est le seigneur Jésus Christ qui lui a permis de rester ici cette nuit, dit le moine.

— Comment pouvez-vous invoquer le nom du seigneur envers celui qui l'a trahi ! crièrent les démons.

L'homme de Dieu leur ordonna au nom de Jésus Christ de ne lui faire aucun mal avant le matin. Et au petit matin, alors que Brendan se préparait à partir, une innombrable multitude de démons couvrirent la surface de l’océan en poussant des cris affreux :

— Homme de Dieu, maudit soient ton arrivée et ton départ, car notre chef a nous fouetté cruellement pour n'avoir pas rapporté son misérable prisonnier cette nuit.

— Pas sur nous, mais sur vous ces malédictions ! Béni qui vous maudissez, maudit qui vous bénissez, dit le moine.

— Il subira double punition dans les six prochains jours, car la nuit dernière sa punition lui a été épargnée à cause de vous, crièrent les démons.

— Vous n’avez aucun pouvoir pas plus que votre chef mais seul le pouvoir que Dieu vous donne, menaça l'homme de Dieu. Au nom du seigneur Jésus, je vous ordonne de ne pas augmenter ses tourments au-delà de ceux que vous avez l'habitude de lui infliger.

— Es-tu le Seigneur de tous pour que nous obéissions ainsi à tes ordres ?! dirent-ils

— Non, je suis le servant du seigneur de tous, et tout ce que j’ordonne en son nom se fait, car je suis son ministre dans ce qu'il accorde, répondit le moine.

Ils le poursuivirent de cette manière avec leurs blasphèmes jusqu'à ce qu'il soit loin de Judas, puis ils emportèrent précipitamment ce misérable en hurlant.

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JÉSUS AUX ENFERS | Brunet 1848, Évangiles apocryphes, c. 17 (Évangile de Nicodème) mss ancien grec et latin, Descensus Christi ad inferos, Gesta Salvatoris

Quand Joseph Caïphe et son beau-père Ananus, Nicodème et son frère Gamaliel et Joseph d’Arimathie allèrent aux sépulcres, ils ne trouvèrent pas leurs morts, mais ils les retrouvèrent à genou après s’être rendus dans la ville d'Arimathie. Ils les embrassèrent en grand respect, avec la crainte de Dieu, et les amenèrent à la synagogue de Jérusalem. Après avoir fermées les portes, ils prirent le livre de la Loi et le posèrent dans leurs mains pour les adjurer, disant :

— Par Adonai Dieu d'Israel qui a parlé par la Loi et les prophètes : si vous savez que c'est lui qui vous a ressuscités d'entre les morts, dites comment vous avez ressuscités.

À cette adjuration, Carinus et Leuciuspetits-fils du sacrificateur Siméon tremblèrent de tous leurs corps et ils gémirent du fond du coeur en regardant au ciel. Dès qu’ils firent du doigt le signe de la croix sur leur langue, ils dirent aussitôt :

— Donnez-nous des tomes de papier pour écrire ce que nous avons vu et entendu.

Quand on leur donna, ils s'assirent et chacun d'eux écrit le récit qui suit :

Seigneur Jésus Christ, vie et résurrection des morts, permets-nous d'énoncer les mystères de ta mort par la croix, vu que tu nous as conjurés en nous ordonnant de ne rapporter à personne les secrets de ta majesté divine tels que tu les as manifestés aux shéols.

Nous étions avec tous nos pères placés au fond des ténèbres, quand soudain nous avons été enveloppés d'une splendeur d’or comme celle du soleil et qu’une lueur royale nous a illuminés. Aussitôt Adam, le père de toute la race humaine, a tressailli de joie ainsi que tous les patriarches et les prophètes, et ont dit :

— Cette lumière c'est l'auteur de la lumière éternelle qui promit de nous transmettre une lumière qui n'aura pas de fin.

Le prophète Ésaïe s'est écrié et dit :

— C'est le fils de Dieu, la lumière du Père, comme j'ai prédit lorsque j'étais sur les terres des vivants : La terre de Zabulon et la terre de Nephtali, au-delà du Jourdain, le peuple qui est assis dans les ténèbres verra une grande lumière, et la lumière brillera sur ceux qui sont dans la région de la mort. (Ésaïe 9:2)     
Maintenant elle est arrivée et a brillé pour nous qui sommes assis dans la mort.

Nous avons tous tressailli de joie dans la lumière qui brillait sur nous. Notre père Siméon שִׁמְעוֹן vint à nous en tressaillant de joie et dit à tous :

— Glorifiez le seigneur Jésus Christ, fils de Dieu que j’ai tenu nouveau-né dans mes mains au Temple. Inspiré par l'Esprit saint j'ai glorifié et dit : Mes yeux ont maintenant vu le salut que tu as préparé en présence de tous les peuples, lumière de la révélation aux nations et gloire de ton peuple Israel. (Luc 2:25)

Tous les saints en multitude se réjouirent davantage en entendant ces choses. Un homme qui semblait un ermite vint ensuite et tous l'interrogèrent :

— Qui es-tu ?

— Je suis Jean, le prophète du Très-Haut (Luc 1:76), la voix de celui qui précède la face de son avènement, afin de préparer ses voies et faire connaître le salut à son peuple par la rémission des péchés. Le voyant venir à moi, j'ai été poussé par l'Esprit saint et dit : Voici l'agneau de Dieu ! Voici celui qui ôte les péchés du monde. Quand je l'ai baptisé dans le fleuve du Jourdain, j'ai vu le saint Esprit descendre sur lui sous forme de colombe et entendu une Voix qui a dit des cieux : Celui-ci est mon fils bien-aimé en qui j'ai mis toute ma complaisance : écoutez-le. J'ai précédé sa face pour descendre vous annoncer que dans peu de temps le fils de Dieu lui-même se lèvera de haut nous visiter, il viendra vers nous qui sommes assis dans les ténèbres et l'ombre de la mort.

Lorsqu’Adam le père premier formé entendit ces choses que Jésus a été baptisé dans le Jourdain, il s'écria à son fils Seth par cette parole :

— Raconte à tes fils les patriarches et prophètes toutes les choses que tu as entendues de l'archange Michael quand je t'ai envoyé aux portes du paradis supplier le Seigneur de t’envoyer son ange pour te donner l'huile de l'arbre de miséricorde pour oindre mon corps lorsque j'étais malade.

Seth s'approcha des saints patriarches et prophètes et dit :

— Moi Seth, comme j'étais en oraison devant le Seigneur aux portes du paradis Jardin d’Éden, voilà Michael l'ange du Seigneur m'apparut et dit :

J'ai été envoyé vers toi par le Seigneur. Je suis établi sur la race humaine. Je te le dis Seth, ne prie pas dans les larmes, ne demande pas l'huile de l'arbre de miséricorde pour oindre ton père Adam à cause des souffrances de son corps, car d'aucune manière tu ne pourras en recevoir si ce n'est dans les derniers jours, si ce n'est que lorsque cinq mille et cinq cents ans[5½ jours : 5500 ans] auront été accomplis ; alors le fils de Dieu rempli d'amour viendra sur la terre et il ressuscitera le corps d'Adam et ressuscitera en même temps les corps des morts. Et à sa venue, il sera baptisé dans le Jourdain et lorsqu'il sera sorti de l'eau du Jourdain, alors il oindra de l'huile de sa miséricorde tous ceux qui croient en lui ; et l'huile de sa miséricorde sera pour la génération de ceux qui doivent naître de l'eau et du saint Esprit pour la vie éternelle. Alors Jésus Christ, fils de Dieu plein d'amour, descendant sur la terre, introduira notre père Adam dans le paradis auprès de l'arbre de miséricorde.

Tous les patriarches et les prophètes entendirent ces choses que disait Seth tressaillirent en grande joie. Quand tous les saints tressaillaient d'allégresse, satan le chef-prince de la mort dit au prince des shéols :

— Apprête-toi toi-même à prendre Jésus qui se glorifie d'être le messie fils de Dieu, qui est un homme craignant la mort et disant : Mon âme est triste jusqu'à la mort. (Mat. 26:38, Ps.42:5)
Il s'est opposé à moi en maintes choses et beaucoup d'hommes que j'avais rendus aveugles, boiteux, sourds, lépreux, et que j'avais tourmentés par différents démons ; il les a guéris d'une parole. Et ceux que je t'avais amenés morts, il te les a enlevés.

Et le prince du shéol litt. Tartare répondit à satan et dit :

— Quel est ce prince si puissant, puisqu'il est un homme craignant la mort ? Tous les puissants de la terre sont tenus assujettis par mon pouvoir lorsque tu les amènes, soumis par ton pouvoir. Si donc tu es puissant, quel est ce Jésus qui craint la mort et s'oppose à toi ? S'il est si puissant dans son humanité, je te le dis en vérité il est tout-puissant dans sa divinité, et personne ne peut résister à son pouvoir. Et lorsqu'il dit qu'il craint la mort, il veut te tromper ; le malheur sera pour toi dans les siècles éternels.

Le prince de la mort répondit et dit :

— Pourquoi as-tu hésité, pourquoi redouter de prendre ce Jésus, ton adversaire et le mien ? Je l'ai tenté et j'ai excité contre lui mon ancien peuple juif, l'animant de colère de haine ; j'ai aiguisé la lance du persécuteur, j'ai mêlé du fiel au vinaigre que je lui ai fait donner à boire, j'ai fait préparer le bois pour le crucifier, et des clous pour percer ses mains et ses pieds ; sa mort est proche, je te l'amènerai, assujetti à toi et à moi.

Et le prince du shéol répondit et dit :

— Tu m'as dit que c'est lui qui m'a arraché les morts. Beaucoup que je retiens ici au pur-gatoire m'ont enlevé des morts pendant qu'ils vivaient sur la terre, non de leur propre pouvoir, mais leur Dieu tout-puissant me les a arrachés par les prières divines. Quel est donc ce Jésus qui m'a arraché des morts par sa parole ? C'est peut-être lui qui a rendu à la vie par les paroles de son ordre à Lazare que je détenais mort depuis quatre jours, en pleine puanteur et dissolution.

Le prince de la mort dit :

— C'est ce même Jésus.

Le prince des enfers lui répondit :

— Je te conjure par ton pouvoir et le mien, ne l'amène pas vers moi ! Car j'ai tremblé lorsque j'ai entendu le pouvoir de sa parole, saisi de crainte et en même temps tous mes ministres impies troublés avec moi ; nous n'avons pas pu retenir ce Lazare, qui nous a échappé avec la vitesse et l'agilité de l'aigle ; Lazare est sorti du milieu de nous lorsque cette même terre qui tenait son corps privé de vie, l'a sitôt remis vivant. Je sais maintenant que cet homme qui a accompli ces choses a pouvoir dans l’empire du Dieu fort, et pouvoir dans l'humanité, il est le sauveur de la race humaine. Et si tu l'amènes vers moi, tous ceux que je retiens enfermés ici dans la rigueur des prisons, enchaînés par les liens non-rompus de leurs péchés, il les en dégagera et par sa divinité il les conduira à la vie qui doit durer autant que l'éternité.

Et comme satan et le prince du shéol parlaient alternativement ainsi, il se fit une voix comme celle des tonnerres et du bruit de l'ouragan :

— Princes enlevez vos portes : élevez-vous portes éternelles que le roi de gloire entre !

À Iehvah la terre et ce qu'elle renferme, le monde et ceux qui l'habitent ! Il l'a fondée sur les mers et affermie sur les fleuves. Qui pourra monter à la montagne de Iehvah ? Qui s'élèvera jusqu'à son lieu saint ? Celui qui a les mains innocentes et le coeur pur, qui ne livre pas son âme au mensonge et qui ne jure pas pour tromper obtiendra la bénédiction de Iehvah, la miséricorde du Dieu de son salut. Voilà la part de la génération qui l'invoque, de ceux de Jacob qui cherchent ta face. Portes, élevez vos linteaux, élevez-vous portes éternelles que le roi de gloire fasse son entrée ! Qui est ce roi de gloire ? Iehvah fort et puissant, Iehvah puissant dans les combats. Portes, élevez vos linteaux, élevez-vous les portes éternelles que le roi de gloire fasse son entrée. Qui donc est ce roi de gloire ? L'Éternel des armées Iehvah cébaot, le roi de gloire ! Psaumes 24

Entendant cela, le prince du shéol il dit à satan :

— Sors de mes demeures te battre contre le roi de gloire si tu es puissant combattant, qu'y a-t-il de toi à lui…

Le prince du shéol jeta satan hors de ses demeures et il cria à ses ministres impies :

— Fermez cruellement les portes d'airain ! Poussez les verrous de fer ! Résistez résolument, de peur que nous ne soyons réduits en captivité, nous qui gardons les captifs !

En entendant cela toute la multitude des saints dit au prince du shéol d'une seule voix avec reproche :

— Ouvre tes portes afin que le roi de gloire entre !

Et David דָּוִד le divin prophète s'écria en disant :

— Est-ce que lorsque j'étais sur les terres des vivants, je ne vous ai pas prédit que les miséricordes du Seigneur lui rendront témoignage, et que ses merveilles l'annonceront aux fils des hommes ? (Ps. 18:51). Car il a brisé les portes d'airain et rompu les verrous de fer pour les retirer de la voie de leur iniquité.

Et ensuite Ésaïe Ishayahou un autre prophète dit à tous les saints :

— Est-ce que lorsque j'étais sur les terres des vivants, je ne vous ai pas prédit que les morts s'éveilleront et ceux qui sont dans le tombeau se relèveront, et ceux qui sont dans la terre tressailliront de joie parce que la rosée qui vient du Seigneur est leur guérison… (Ésaïe 26:19) Et j'ai dit encore : Mort, où est ta victoire ? Mort, où est ton aiguillon ? (Osée13:14)

Entendant ces paroles d'Ésaïe, tous les saints dirent au prince des shéols :

— Ouvre tes portes maintenant, sans pouvoir tu es terrassé et vaincu !

Et il se fit une voix comme celle des tonnerres, disant :

— Princes, enlevez vos portes ! Élevez-vous portes infernales que le roi de gloire entre !

Le prince du shéol voyant que deux fois ce cri s'était fait entendre, dit comme s'il était dans l'ignorance :

— Quel est ce roi de gloire ?

David répondit au prince du shéol et dit :

— Je connais les paroles de cette clameur, ce sont les mêmes que j'ai prophétisées par l'inspiration de son Esprit. Et maintenant ce que j'ai déjà dit, je te le répète, le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans le combat, c'est lui qui est le roi de gloire ! Le Seigneur a regardé du ciel sur la terre afin d'entendre le gémissement de ceux qui sont dans les fers afin de délivrer les fils de ceux qui ont été mis à mort. Et maintenant, immonde et horrible prince du shéol ouvre tes portes afin que le roi de gloire entre.

David disant ces paroles au prince du shéol, le seigneur de majesté survint sous la forme d'un homme et il éclaira les ténèbres éternelles, il brisa les liens qui n'étaient pas brisés et nous visita par le secours d'une vertu invincible, nous qui étions assis dans les profondeurs des ténèbres des fautes, dans l'ombre de la mort des péchés.

Les princes du shéol et de mort avec leurs officiers impies virent cela et furent saisis d'épouvante avec leurs cruels ministres, dans leurs propres royaumes. Quand ils virent la lumière éblouissant d'une si vive clarté et le Christ établi dans leurs demeures tout d'un coup, ils crièrent :

— Tu nous as vaincus. Qui es-tu toi que le Seigneur envoie pour notre confusion ? Qui es-tu toi qui sans atteinte de corruption, par l'effet irrésistible de ta majesté, as pu renverser notre puissance ? Qui es-tu toi si grand et si petit, si humble et si élevé, soldat et général, combattant admirable sous l’aspect d'un esclave ? Roi de gloire, mort et vivant, que la croix a porté et mis à mort, toi qui es demeuré mort étendu dans le sépulcre, qui es descendu vivant vers nous ? Toutes les créatures ont tremblé en ta mort, tous les astres ont été ébranlés, et maintenant tu es devenu libre d’entre les morts et tu troubles nos légions. Qui es-tu toi qui délies les captifs et qui inondes d'une lumière éclatante ceux qui sont aveuglés par les ténèbres des péchés ?

Et toutes les légions des démons furent autant frappées d'une même frayeur et crièrent avec soumission craintive et d'une seule voix disant :

— D'où es-tu Jésus, homme si puissant et splendide en majesté, si éclatant, sans tache et pur de crime ? Car ce monde terrestre qui nous a toujours été assujetti jusqu'à présent, qui nous payait des tributs pour nos sombres usages, ne nous a jamais envoyé un mort tel que celui-ci, et n'a jamais destiné de pareils présents aux enfers ? Qui es-tu donc, toi qui as ainsi franchi sans crainte les frontières de nos domaines ? Non seulement tu ne redoutes pas nos supplices, mais de plus tu tentes de délivrer tous ceux que nous tenons dans nos fers ? Peut-être es-tu ce sauveur duquel notre prince satan disait que par ta mort sur la croix tu recevrais une puissance sans borne sur le monde entier.

Alors le roi de gloire écrasa la mort sous ses pieds par sa majesté : il saisit satan, il priva le shéol de tout son pouvoir et mit Adam sous la clarté de sa lumière.

Le prince du shéol fit de violents reproches à satan et dit :

— O prince de perdition, chef de destruction, dérision des anges de Dieu, ordure des justes, qu'as-tu voulu faire ? Tu as voulu crucifier par la ruine et la mort le roi de gloire, duquel tu nous avais promis de si grandes dépouilles ? Ignores-tu comment tu as agi dans ta folie ? Car voici que ce Jésus dissipe par l'éclat de sa divinité toutes les ténèbres de la mort ; il a brisé les profondeurs des plus solides prisons, il délivre et relâche les captifs et ceux qui sont dans les fers.

Voici, tous ceux qui gémissaient sous nos tourments nous insultent, et nous sommes accablés de leurs imprécations. Nos empires et nos royaumes sont vaincus, nous n’inspirons plus d'effroi à la race humaine ; au contraire, ils nous menacent et nous insultent, ceux qui sont morts n'avaient jamais pu montrer de superbe devant nous, ni n'avaient jamais pu éprouver un instant d'allégresse dans leur captivité.

O satan, prince de tous les maux, père des impies et des rebelles, qu'as-tu voulu faire ? Depuis le début, et jusqu'à présent, alors que ceux qui désespéraient du salut et de la vie, aucun gémissement ne se fait entendre maintenant, aucune plainte ne résonne, et on ne trouve aucun vestige de larmes sur la face d'aucun d'eux.

O prince satan, possesseur des clés des shéols, par le bois de la croix désormais tu as perdu ces richesses que tu as acquises par le bois de la trahison et la perte du paradis ; toute ton allégresse a disparu lorsque tu as attaché à la croix ce messiah Jésus, le roi de gloire.

Tu as agi contre toi-même et contre moi. Apprends quels tourments éternels et supplices infinis tu dois souffrir sous ma garde, qui ne connaît pas de terme. Prince de tous les mauvais, auteur de la mort, source d'orgueil… tu aurais dû premièrement chercher un juste reproche à faire à ce Jésus. Puisque tu n'as trouvé en lui aucune faute, ni raison, pourquoi as-tu osé le crucifier injustement et amener dans notre région l'innocent et le juste ? Et tu as perdu les mauvais, les impies, et les injustes du monde entier.

Et comme le prince du shéol parlait ainsi à satan, alors le roi de gloire dit au prince du shéol :

— Le prince satan sera sous ton pouvoir à perpétuité des siècles, au lieu de mes justes, Adam et ses fils.

Et le seigneur étendit sa main et dit :

— Venez à moi vous tous, mes saints, qui avez mon image et ma ressemblance ; vous qui avez été condamnés au mal et la mort par le bois, voyez que le mal et la mort sont condamnés par le bois.

Aussitôt tous les saints furent réunis sous la main du seigneur. Le seigneur tenait la main droite d'Adam et lui dit :

— Paix à toi avec tous mes justes, tes fils.

Adam se prosterna aux genoux du seigneur et le supplia dans les larmes, disant à voix haute :

— Seigneur, je te glorifierai car tu m'as accueilli ! Seigneur, tu n'as pas fait triompher mes ennemis au-dessus de moi ! J'ai crié vers mon Seigneur Dieu et il m'a guéri : tu as retiré mon âme des shéols enfers, tu m'as sauvé et ne m’as pas laissé dans l'abîme avec ceux qui descendent.

Chantez les louanges du Seigneur vous tous qui êtes ses saints ! Confessez en mémoire de sa sainteté, que dans sa volonté est la vie, dans son indignation la colère.

Et tous les saints de Dieu se prosternèrent pareillement aux genoux du seigneur et dirent d'une seule voix :

— Tu es arrivé, rédempteur du monde, tu as accompli ce que tu avais prédit par la loi et tes prophètes : par ta croix, tu as racheté les vivants ; mort sur la croix, tu es descendu vers nous pour nous arracher des shéols des morts par ta splendeur.

Toi seigneur qui élève ta croix sur terre comme enseigne de la rédemption ; qui la place au ciel comme enseigne de ta gloire ; toi seigneur qui place ta croix au shéol comme enseigne de ta victoire, qu’ainsi la mort ne domine plus.

Et le seigneur étendit sa main, et fit un signe de croix sur Adam et sur tous ses saints, puis il s'éleva des shéols en tenant la main droite d'Adam, suivi par tous les saints.

Le prophète David s’écria avec force :

— Chantez au Seigneur un cantique nouveau car il fait des choses admirables ! Sa droite et son bras nous ont sauvés ! Le Seigneur a fait connaître son salut, il a révélé sa justice en présence des nations ! (Ps. 33:3)

— Ainsi soit-il. Louez Dieu dont la gloire est sur tous les saints ! répondit la multitude de tous les saints.

Alors le prophète Habacuc s'écria :

— Tu es sorti pour le salut de ton peuple, pour la délivrance de tes élus ! (Habacuc 3:13)

— Béni qui vient au nom du Seigneur, qui nous éclaire par le Seigneur Dieu ! répondirent tous les saints.

Pareillement le prophète Michée s'écria :

— Dieu enlève les iniquités et efface les péchés !
Pour toi-même Seigneur, tu contiens de manifester ta colère ; tu inclines davantage à la miséricorde.
Tu as eu pitié de nous et nous as absous nos péchés. Tu as plongé nos iniquités dans l'abîme de la mort, ainsi que tu l'avais juré à nos pères dans les jours anciens. (Michée 7:18)

— Il est notre Dieu à toujours, pour les siècles des siècles, il nous gouvernera dans tous les siècles, ainsi soit-il. Louez Dieu ! répondirent tous les saints.

Et pareillement tous les prophètes récitèrent leurs anciens chants dédiés à la louange du Seigneur et à tous ses saints. Et le seigneur qui tenait Adam par la main le remit à l’archange Mikael ; et tous les saints suivirent Mikael qui les introduit tous dans la grâce du glorieux paradis.

Deux anciens des jours vinrent au-devant d'eux et les saints les interrogèrent :

— Qui êtes-vous ? Vous n'étiez pas avec nous aux shéols, mais avez été placés au paradis avec le corps ?

— Je suis le Henoc, dit l’un d’eux, j’ai été transporté ici par la parole du Seigneur. Et celui qui est avec moi est Éli le tishbi qui a été enlevé sur un char de feu. Nous n'avons pas goûté la mort jusqu'à présent mais nous sommes réservés pour l'avènement de l'antéchrist, armés des prodiges des signes divins pour se battre contre lui, puis être mis à mort à Jérusalem et enlevés vivants dans les nues après trois jours et demi.

Et tandis qu'Henoc et Élyahou parlaient ainsi aux saints, voici que survint un autre homme, très-misérable, qui portait sur ses épaules le signe de croix. Et lorsque tous les saints le virent, ils lui dirent :

— Qui es-tu ? Ton aspect est celui d'un larron, mais d'où vient que tu portes le signe de croix sur tes épaules ?

— Vous avez dit vrai, dit-il, j'ai été un larron qui commettait tout crime sur terre. Quand les juifs m’ont crucifié avec Jésus, j’ai vu les merveilles qui se sont accomplies sur la croix de Jésus crucifié et j’ai cru qu’il vient du Roi tout-puissant, Créateur de toutes les créatures. Alors je le priai : Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras venu dans ton royaume… Il a exaucé ma prière et aussitôt dit :
 
-- En vérité je te le dis, tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis.

Et il me donna ce signe de croix en disant :

-- Entre dans le paradis en portant cela. Si l'ange-gardien du paradis ne veut pas te laisser entrer, montre-lui le signe de croix et dis-lui : C'est Jésus Christ le fils de Dieu crucifié qui m'a envoyé !

Quand j'eus fait cela et dis toutes ces choses, lorsque l'ange-gardien du paradis me les entendit dire, il ouvrit et me fit entrer aussitôt, il me plaça à la droite du paradis en disant :

-- Attends un peu de temps, quand Adam le père de toute la race humaine entrera avec tous ses fils, les justes et saints du seigneur messie, le crucifié.

Lorsqu'ils entendirent toutes ces paroles du larron, tous les patriarches dirent d'une seule voix :

— Béni est le Seigneur tout-puissant, Père des bontés éternels, Père des miséricordes, toi qui as donné une telle grâce à des pécheurs, qui les as introduits dans tes gras pâturages où réside la véritable vie spirituelle, dans la grâce du paradis, ainsi soit-il.

Ce sont là les divins mystères sacrés que nous avons vus et entendus. Moi Carinus, moi Leucius, il ne nous est pas permis de poursuivre à dire les autres mystères de Dieu comme l'archange Mikael nous l’a fortement déclaré en disant :

— Allez avec vos frères à Jérusalem. Vous serez en oraison prière, chantant et glorifiant la résurrection du seigneur Jésus Christ, vous qu'il a ressuscités d'entre les morts avec lui. Vous ne parlerez avec aucun des hommes, vous resterez assis comme des muets, jusqu'à ce que l'heure arrive que le seigneur vous permette de rapporter les mystères de sa divinité.

Mikael l'archange nous ordonna d'aller au-delà du Jourdain dans un abondant lieu très-fertile où plusieurs sont ressuscités avec nous pour témoigner de la résurrection du Christ : nous qui sommes ressuscités d'entre les morts, il nous est permis pour trois jours seulement de célébrer la Pâque du Seigneur à Jérusalem avec nos parents en témoignage de la résurrection du seigneur messiah. Nous avons été baptisés dans le saint fleuve du Jourdain et avons tous reçus des robes blanches. Et après les trois jours de la célébration de la Pâque, tous ceux qui furent ressuscités avec nous ont été enlevés dans les nues, et conduits au-delà du Jourdain, sans n’avoir été vus de personne. Ce sont les choses que le seigneur nous a ordonné de vous rapporter.

— Donnez-lui louange ! Faites confession et pénitence afin qu'il ait pitié de vous. Paix à vous dans le Seigneur Dieu et Jésus Christ sauveur de tous les hommes, ainsi soit-il, ainsi soit-il, ainsi soit-il !

Après qu'ils eurent achevé d'écrire séparément toutes ces choses sur des tomes de papier, ils se levèrent, et Carinus remit ce qu'il avait écrit dans les mains d'Anne, Caïphe et Gamaliel ; pareillement, Leucius donna ce qu'il avait écrit sur le tome de papier dans les mains de Nicodème et Joseph. Et tout d'un coup transfigurés, ils apparurent recouverts de vêtements d'un blanc éblouissant, et on ne les vit plus. Leurs écrits se trouvèrent égaux, n'étant ni plus ni moins grands, sans qu'il y eût même une lettre de différence.

Tous les juifs à la synagogue qui entendirent ces discours admirables de Carinus et de Leucius furent dans la surprise, et certains juifs se dirent l'un l'autre :

— C'est vraiment Dieu qui a fait toutes ces choses. Béni soit le seigneur Jésus aux siècles des siècles, ainsi soit-il.

Et ils sortirent tous dans une grande inquiétude. Ils frappèrent leur poitrine, dans la crainte et le tremblement, puis chacun se retira chez soi. Toutes ces choses que les juifs dirent dans leur synagogue, Joseph et Nicodème les annoncèrent aussitôt au gouverneur Pilate, qui écrivit dans les registres publics de son prétoire tout ce que les juifs avaient dit touchant Jésus.

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THESPESIUS | De Maistre 1833, Sur les délais de la justice divine dans la punition des coupables : ouvrage de Plutarque (Plutarch, De sera numinis vindicta), p.54

Voici l’histoire d’un ami de Plutarque [46‒125, Grèce]rapportée dans son traité sur la Justice divine, De sera numinis vindicta. C’était il n’y avait pas si longtemps à Soles Soli en Cilicie Asie mineure, un certain Thespesius, ami de Protogène peintre grec qui vécut à Delphes Grèce avec quelques amis communs et moi ; ayant eut une vie très dissolue dans sa jeunesse, Thespesius de Soles perdit tout son bien en peu de temps. Après avoir langui dans la misère quelques années, il se corrompit presque totalement en tentant de retrouver par tous les moyens la fortune qui lui avait échappé. Assez semblable à ces libertins qui dédaignent une femme estimable pendant qu’ils la possèdent légitimement, et lorsqu’elle a épousé un homme s’appliquent ensuite à la séduire : Thespesius employa donc tout moyen permettant d’arriver à ses fins ; et en peu de temps, il amassa non pas des biens, mais beaucoup de honte. Sa réputation augmenta pis encore par la réponse d’un oracle que les choses iraient mieux après sa mort.

Après un accident, tombé d’un lieu élevé, il perdit connaissance et resta trois jours dans un état total d’insensibilité, au point qu’on le crut mort et on fit les préparatifs de funérailles. Mais il reprit connaissance et revint à lui extraordinairement changé dans toute sa conduite. On se persuada que la cause d’un si grand changement ne pouvait s’être opérée par hasard après une vie aussi licencieuse, et on souhaita apprendre ce qui était vrai, comme il le raconta lui-même de la manière suivante à ce Protogène dont je viens de parler et à quelques autres de ses amis.

Au moment où son âme quitta son corps, le sentiment précis que Thespesius éprouva, fut le même qu’un pilote plongé au fond de la mer. S’étant repris il lui semblait parfaitement respirer et regarda autour de lui, son âme était ouverte comme un oeil devant un spectacle nouveau pour lui. Il vit d’immenses astres placés les uns des autres à des distances infinies ; des rayons de lumière radiante admirablement colorée s’y diffusaient, ayant la force d’emporter l’âme où elle voulait, partout en un instant, comme un vaisseau voguant à pleines voiles sur une mer tranquille.

Il observa une infinité de choses. Il dit que les âmes de ceux qui meurent ressemblent à des bulles de feu, qui montent à travers l’air qui leur cède passage ; ces bulles viennent ensuite se rompre l’une après l’autre et les âmes en sortent sous forme humaine : les unes s’élançaient en haut en ligne droite avec une rapidité merveilleuse ; les autres tournent sur elles-mêmes comme des fuseaux, en montant et descendant successivement d’un mouvement confus et difficile à arrêter. Parmi cette foule d’âmes, il en reconnut deux ou trois à qui il tenta de parler mais elles ne l’entendirent pas : étourdies, comme privées de sens, elles fuyaient tout regard et tout contact, errant seules çà et là d’abord, puis se joignant à d’autres pareillement disposées. Elles se serraient étroitement, agitées au hasard, poussant des cris d’effroi et de tristesse inaudibles.

Les âmes parvenues aux hautes régions de l’air brillent de lumière, elles s’approchent les unes des autres avec bienveillance réciproque, fuyant le tumulte de la foule précédente. Parmi ces âmes fortunées, Thespesius aperçut un parent mort alors qu’il était enfant. Son âme le salua, disant :

— Dieu te garde Thespesius (te spes ius, ton droit d’espérer).

— Je m’appelle Aridé Aridae non Thespesius, répondit-il.

— C’était ainsi, mais à l’avenir on t’appellera Thespesius, car tu n’es pas encore mort, dit son parent. Par ordre particulier de la destinée, tu es venu ici avec la part intelligente de ton âme, en laissant l’autre dans ton corps comme gardienne (ancre). La preuve que tu n’es pas complètement séparé de ton corps, c’est que les âmes des morts ne produisent pas d’ombre et leurs paupières ne battent pas.

À ses mots, Thespesius se concentra pour mieux se rendre compte de ce qu’il voyait : il vit son ombre à son côté alors que les âmes étaient translucides et entourées d’un contour lumineux :

– les unes brillaient d’une lumière douce et égale comme la pleine lune en sérénité ;

– d’autres laissaient percevoir quelques taches sombres d’écailles ou cicatrices çà et là ;

– d’autres tout à fait hideuses étaient tachetées de noir comme la peau des vipères ;

– d’autres encore avaient la face légèrement déchirée.

Le parent de Thespesius dit qu’inévitable avait tout pouvoir dans l’autre monde pour châtier toutes espèces de crime, et jamais un seul méchant, petit ou grand, n’avait pu échapper à la peine méritée. Il dit aussi qu’elle avait trois exécutrices nommées châtiment, justice et furie, et que la gérance des supplices était divisée entre elles :

– la 1e exécutrice châtiment punit de façon douce et expéditive dès cette vie ceux qui ont déjà été châtiés matériellement dans leurs corps ; elle ferme les yeux même sur plusieurs choses qui auraient besoin d’expiation ;

– la 2e exécutrice justice châtie comme il mérite ceux que le génie des supplices lui remet, dont la perversité impose des remèdes plus efficaces ; elle repousse ceux qui sont absolument incurables vers la 3e exécutrice ;

– la 3e et plus terrible exécutricefurie court avec fureur après ceux qui errent en fuyant de tous côtés de misère et de douleur ; une fois qu’elle les saisit, elle les précipite sans miséricorde dans un gouffre que l’oeil humain ne peut sonder, ni la parole décrire.

La 1e des supplices châtiment ressemble assez à celle qui est en usage chez les barbares, en Perse par exemple, où on punit certaines fautes en retirant au coupable la robe et la tiare, qui sont décousus et frappés de verges en sa présence, tandis que le malheureux en larmes supplie qu’on mette fin à cette peine : il en est ainsi des Punitions divines, celles qui tombent sur les biens ou le corps n’ont pas l’aiguillon perçant qui atteint et pénètre à vif le vice, ainsi la punition n’existe que dans l’opinion et n’est qu’extérieure.

Lorsqu’un homme quitte le monde sans avoir souffert ces sortes de punition et arrive ici nullement purifié, justice le saisit nu, c’est-à-dire met à découvert le fond de son âme, sans moyen de se soustraire à la vue afin de palier à sa perversité : il est tout entier visible à tous, de tous côtés. L’exécutrice justice montre le coupable à ses parents d’abord (s’il en a qui ont été gens de bien), comme un sujet honteux et méprisable, indigne d’avoir reçu d’eux la vie. S’ils ont été méchants comme lui, il assiste à leurs tourments, et à son tour, pendant longtemps, il souffre sous leurs yeux des supplices de douleurs très violentes, jusqu’à ce que le dernier de ses crimes soit expié. Même que les traces et les cicatrices de chaque crime subsistent après le châtiment, plus longtemps chez certains, moins chez d’autres. Il me dit aussi :

— Tu dois être attentif à l’aspect des âmes, car par les mouvements désordonnés de l’âme certains vices s’impriment sur le corps de l’homme durant sa vie : l’avarice et toutes les basses inclinations serviles ; la cruauté amère de malice ; la marque des terribles crimes impurs difficiles à effacer ; la haine de l’envie pousse au-dehors, comme l’encre noire de la sèche née de sa propre substance.

Ici au contraire, les couleurs annoncent un état d’expiation et l’espoir d’un terme aux châtiments. Lorsque ces taches auront disparu, l’âme reprend sa couleur naturelle et devient lumineuse. Lorsque ces taches subsistent, il y a certains retours de passion, des élancements qui ressemblent à une fièvre ; faibles chez certains, violents chez d’autres. Il en est qui après avoir été châtiées plusieurs fois reprennent enfin leur nature et leur affection primitive.

Thespesius et son guide s’avancèrent vers les lieux où les coupables sont tourmentés. Frappés par la tristesse d’un spectacle si douloureux, ne s’attendant pas à qui il allait voir là, Thespesius aperçut des amis, des compagnons et connaissances intimes qui subissaient de cruels supplices : ils se tournèrent dans des cris de lamentation vers son côté. Il vit son propre père couvert de piqûres et de cicatrices lui tendre les mains au sortir d’un profond gouffre. Il était sous l’emprise de bourreaux chargés de le tourmenter et rompre son silence pour confesser à voix haute qu’il avait assassiné des étrangers venus loger chez lui pour leur prendre l’or et l’argent qu’ils portaient. Pour ce crime, demeuré inconnu dans l’autre vie, il avait subi une partie de sa peine dans le lieu où il se trouvait, maintenant on l’emmenait subir l’autre partie dans une région. Sur le point de fuir et revenir sur ses pas, glacé d’horreur, Thespesius n’osa pas intercéder pour son père.

Il ne vit plus à côté le bienveillant guide qui le conduisait mais d’autres à sa place, à la face épouvantable, qui le contraignaient de passer outre, dans la nécessité qu’il voit encore ce qui se passe ailleurs. Et il en vit d’autres, reconnus coupables dans le monde et punis comme tels ; ceux-là étaient tourmentés moins douloureusement. Quant à ceux qui ont vécu dans le vice, et qui sous le masque de fausse vertu ont bénéficié de la gloire que mérite la vraie vertu ; ceux qui font vengeance sont à leurs côtés pour les obliger à tourner au-dehors l’intérieur de leurs âmes, comme ce poisson marin nommé scolopendre dont on dit qu’il se retourne de cette manière pour dégager l’hameçon qu’il a avalé. D’autres écorchés par ces exécuteurs, étaient exposés dans cet état pour mettre à découvert leur vice hideux et montrer ce qui corrompait leurs âmes jusque dans sa pure et plus sublime essence.

Thespesius dit qu’il en vit d’autres liés deux à deux, trois à trois ou davantage, enlacés ensemble de la façon des serpents, qui s’entre-dévorent avec rage en pensant à leurs passions venimeuses pour les crimes qu’ils ont nourris dans leurs coeurs.

Non loin de là se trouvaient trois étangs ; l’un remplit d’or bouillant, l’autre de plomb plus froid que la glace, et le troisième d’un fer aigre. Parmi les démons affectés à ces étangs, certains saisissent les coupables avec des outils, les plongent et les retirent de ces étangs comme font les forgerons pour façonner le métal. Par exemple, les âmes de ceux qui s’adonnaient avec affection à l’avarice et qui n’ont évité aucun moyen pour s’enrichir durant leur vie, ils les plongeaient dans l’or brûlant jusqu’à ce que la violence du feu rende leurs âmes translucides ; ils les éteignaient de suite dans le plomb glacé, et ils les jetaient dans le fer lorsqu’elles avaient pris une consistance de glace. Elles devenaient alors atrocement noires et d’une telle raideur et dureté, ce qui permettait de les briser en morceaux et leur faire perdre leur forme. Et bientôt elles venaient reprendre l’or bouillant, et par ces divers changements souffrir d’épouvantables douleurs.

Il y avait des âmes qui se croyaient relâchées mais étaient ramenées aux supplices, elles provoquaient plus de compassion dû à la cruelle souffrance : ce sont ceux dont la punition de leurs crimes est retombée sur leur postérité. Lorsque l’âme du descendant arrive ici, sous la colère elle s’attache à celle qui l’a rendue malheureuse ; elle lui crie des reproches et montre la marque des tourments endurés pour elle. Alors la première veut s’enfuir se cacher, mais en vain, les bourreaux se mettent à sa poursuite et la ramènent au supplice ; alors la malheureuse jette des cris désespérés en prévision de tout ce qu’elle va souffrir.

Thespesius ajouta qu’il avait vu une foule de ces âmes regroupées à la façon des abeilles avec leurs enfants qu’elles n’abandonneront plus ; murmurant sans cesse de dures paroles de colère en pensant à ce qu’elles ont souffert à cause des crimes de leurs pères. Parmi ces âmes Thespesius distingua celle de Néron qui avait souffert déjà mille maux, à ce moment percé de clous enflammés ; les ouvriers se disposaient à lui donner une forme de vipère dont les petits, à ce que dit Pindare, viennent au monde en déchirant leur mère.

Jusque-là spectateur, Thespesius éprouva une terrible frayeur. Sur le point de retourner, il aperçut une femme d’une beauté merveilleuse qui lui dit :

— Viens ici afin que tu te souviennes mieux de tout ce que tu as vu.

Comme elle s’approchait avec une petite verge de fer rougie au feu, comme celle des peintres, une autre femme l’en empêcha. À ce même moment Thespesius fut poussé par un puissant courant d’air comme un jet de sarbacane, et revint dans son corps.

Quand il ouvrit les yeux, il fut comme un homme qui se relève de la tombe. Quand il revint à lui, il fut tellement changé dans toute sa conduite, que toute la Cilicie attesta qu’on ne connut de conscience plus délicate, ni de piété plus tendre, ni d’ami plus sûr.

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CES ÂMES QUI FONT DU BRUIT | D’Artigny 1756, Nouveaux mémoires d’histoire, critique &, vol. 7, p.221 h Steyert 1887, La merveilleuse histoire de l’esprit apparu à Saint-Pierre de Lyon œ Dom Calmet 1751, Traité sur les apparitions des esprits &, p.231

Récit que fit Adrien de Montalembert, aumônier du roi, dans une lettre au roi François 1er [1494‒1547, France]. Avant la grande réforme de 1518, il y avait de grands désordres dans l’abbaye des nonnainsnonnes religieuses de Saint-Pierre 586‒1789 de l’ordre de Saint-Benoit, à Lyon France près de la rivière Rhône : chacun vivait à son plaisir, il n’y avait aucun abbé ni abbesse ou évêque qui mette de l’ordre au gouvernement des dictes nonnains ; elles allaient et venait jour et nuit par la ville, et où leur plaisait sans nul contredit, appelaient qui bon leur semblait en leurs chambres privément, menant moult piteuse religion. Que vous dirais-je ? Chacun de la ville en était si scandalisé qu’on convint qu’elles fussent réformées ou jetées hors de là pour y en mettre de meilleures en leurs places. (Et de fait en furent amenées d’autres bonnes religieuses qui vivaient selon la vraie réformation, lesquelles y sont encore jusqu’à présent, et y servent Dieu jour et nuit dévotement). Et donc quand les évesques d’auparavant virent qu’il n’y avait plus de remède qu’elles ne furent réformées ou jetées dehors, elles délibérèrent de faire leur dernière main avant de partir de là ; si en eut telle qui emporta une croix garnie de pierreries, l’autre quelque aussi précieux reliquaire, l’autre de riches parements d’autels, les autres dérobèrent des ornements ou l’argent des reliques : chacune emporta ce qu’elle pouvait et s’en alla.

Entre toutes il y avait une nonnain nommée Alis de Tésieux [‒1521], secrétaine du lieu, détentrice des clefs des reliques et ornements de l’abbaye de Saint-Pierre ; cette dame ne consentit pas d’être réformée, se jeta dans le désespoir, abandonnant son honneur en tous points, et partit du monastère toute désolée, malheureuse que jamais, et depuis n’y rentra en vie. Elle saisit les parements d’autel et les engagea pour certaine somme. Je ne voudrais pour rien raconter de la vie qu’elle mena depuis, mais de tant je vous dirais qu’elle fut assez piteuse et dangereuse tant qu’elle continua à y prendre ses plaisirs, et pour seule rétribution elle y gagna des maladies dangereuses dont son pauvre corps fut mis en telle subjection qu’il n’en était aucune partie sans ulcère et douleurs, voire abominables et incurables. Elle en perdit toute la figure du visage, et fut longtemps gisant ainsi piteusement, privée de l’usage de tous ses membres.

Or voyez, sire, quelle pitié. Privée de l’usage de tous ses membres, celle qui était tant fraîchement belle, enlaidie de telle sorte qu’elle ne pourrait être reconnue de ceux qui l’avait vue auparavant. Ainsi longuement ternie et gisant par hideuse maladie, la pauvre soeur Alis, voyant qu’en elle n’avait pas espérance de guérison, et délaissée de ceux qui soulaientavaient coutume à priserapprécier et aimer ; pauvre de corps et de biens pleura beaucoup et soupira en pensant si notre-seigneur aurait encore pitié d’elle. Les tourments dont cette pauvre malheureuse souffrait, et dans les profondes angoisses de ce qu’elle pouvait souffrir, elle arriva aux extrêmes soupirs du cours naturel. Vous verrez maintenant comment notre-seigneur, par sa débonnaireté qui est bienfaisant, lui présenta sa grande miséricorde et l’inspirant, en ce qu’elle réclamait sa mère bénie Marie. Il fait bon avoir quelquefois servi notre-seigneur, car par temps en fait-il bonne récompense à l’heure que l’on en a plus grand besoin.

Cette douloureuse angoisse de soeur Alis dura longtemps, sans cesse malade, gisant alitée à prier Dieu qu’il voulut piteusement regarder ses graves douleurs et misères qu’elle souffrait, qu’il lui plut de les compter en allègement des peines qu’elle méritait, si qu’elle ne fut pas damnée. Tant fut-elle assez brisée par continuelle maladie qu’elle perdit toute vigueur corporelle, et rendit ainsi son esprit, abandonnée, et mourut aux champs en un village où elle fut enterrée misérablement, sans solennité quelconque, ni prière. (Elle était sortie de l’abbaye en 1516, et mourut en 1524). Par l’espace de deux ans, elle a été enterrée et consumée sans que la mémoire d’une créature au monde eut souvenance d’elle.

En icelle abbaye de Saint-Pierre, il y a une jeune religieuse d’environ de dix-huit ans nommée Antoinette de Grollée [?‒1541], gentilfemme native du Dauphiné : cette jeune dame avait été menée là-dedans avant la grande réforme, petite fille bien conditionnée de bonne condition, sage pour son petit âge, dévote et simple, qui a toujours bien persévérée en religion.Ladite défunte Alis depuis que partie du monastère et durant son mauvais gouvernement, s’était souvent de fois recommandée à la jeune Antoinette ; même en sa dernière maladie dont elle mourut elle parlait incessamment d’elle et l’appelait. Or il advint que ladite religieuse Antoinette était seule couchée en son lit en sa chambre, il advint que quelque chose lui souleva son couvre-chef bonnet de nuit et lui fit sur le front le signet de la croix suivi d’un léger baiser. Surprise, et ne voyant rien, ni bruit, elle crut à un songe et n’en parla à personne. Quelques jours après, elle ouit quelque chose autour d’elle, comme sous ses pieds, qui frappa plusieurs petits coups, ainsi qu’un bout de bâton qui heurtait dessous. Ce qui heurtait ainsi semblait profondément dedans terre et se faisait entendre quasi quatre doigts8 cm sous les pieds de ladite religieuse. Je l’ai entendu maintes fois qui me répondait sur ce que j’enquerrais en frappant autant de coups que je demandais.

Quand la religieuse eut plusieurs fois entendu tel son, étrange bruit inconnu, elle commença durement à s’ébahir et conta toute épouvantée à la bonne abbesse Antoinette d’Armagnac, laquelle sût moult bien la réconforter et remettre en bonne assurance, pensant non à autre chose qu’à la simplesse de la religieuse ; et pour mieux y pourvoir, ordonna qu’elle couche en une chambre proche d’elle.

Or sachez sire, que cette âme ne faisait aucun mal, ni frayeur. C’est ainsi que les dames de là le considéraient, et depuis comme grande consolation de ladite âme, faisait signe de grande joie quand on chantait le service divin et quand on parlait de Dieu, fut à l’Église ou autre part. Jamais n’était entendue si la religieuse n’était pas présente, car jour et nuit lui tenait compagnie, la suivait, ni jamais ne l’abandonnait en quelque lieu qu’elle fut.

Je vous dirais grande merveille de cette âme. Je lui demandais en la conjurant au nom de Dieu, à savoir si incontinent qu’elle fut partie de son corps elle suivit cette jeune religieuse ? L’âme répondit véritablement que oui, que ni ne l’abandonnerait jamais. Je sais cela bien véritablement, et depuis que je lui ai demandé, je l’ai entendu moult et maintes fois, et était familier. Par elle de grands cas ont été sus qui ne pourraient être connus des mortels, dont j’ai donné grande admiration et merveilles. Les secrets de Dieu sont inscrutables et incrédibles aux ignorants. Mais ceux qui ont vu, et entendu de telles choses, certes on doit les croire plus entièrement.

Tantôt que la bonne abbesse eut aperçu en vérité cette si merveilleuse affaire, comme véritablement aucune chose étrangère suivait cette religieuse, elle se tient moult pensive considérant à part soi que ce pourrait être et ne savait que dire, sinon continuellement ruminer comment il lui serait possible de savoir la pure vérité. Et pour ce, prit diligemment conseil qu’elle devrait faire.

Le bruit qu’une âme habitait en l’abbaye de Saint-Pierre fut moult grand par la ville de Lyon et des lieux circonvoisins. Maints hommes et femmes accoururent pour aller entendre quelque chose d’étrangeinhabituelle et à chaque fête des gens s’amassaient de tous états allaient en grande trombe et troupeaux audit monastère. Cependant ils perdaient leurs peines, car nul n’entrait dedans, seulement ceux qui y étaient nécessaire.

Les pauvres religieuses vinrent au refuge de notre-seigneur premièrement, se mirent toutes en bon état. La jeune religieuse fut interrogée diligemment, à savoir que lui semblait cette aventure, elle répond qu’elle ne sait pas ce que ce pourrait être, si ce n’était soeur Alix la secrétaine, pour autant que depuis son trépas l’avait souvent songée et vue en dormant. Alors l’âme fut conjurée pour savoir ce que c’était : elle répondit qu’elle était l’âme de soeur Alix véritablement, jadis secrétaine de là, et en donna signe évident. Et la chose fut assez facile à croire parce qu’elle avait toujours beaucoup aimé la jeune religieuse entrée là enfant.

Après s’être fait conseillée, l’abbesse délibéra d’envoyer quérir le corps de la trépassée. Mais pour ce, premièrement, l’âme fut enquise, à savoir si elle voulait que son corps soit enterré là ? Elle donna signe que moult le désirait, adonc la dame abbesse l’envoya déterrer et amener honnêtement en l’abbaye. L’âme mena bruit alentour de la jeune religieuse à mesure que sa dépouille approchait de plus en plus là. Et quand elle fut à la porte de l’Église du monastère, elle se démena moult en frappant et heurtant sous ses pieds ; et durant aussi que les dames faisaient le service de ses funérailles, elle ne cessait et n’avait aucun répit. Bonnement ne savait-on pourquoi ainsi cette âme se démenait, ou pour douleur qu’elle endurait, ou pour plaisir qu’elle avait de voir son corps en son abbaye dont jadis elle était partie. Le service achevé, le cercueil ou châsse qui contenait les ossements fut mis dans une fosse, en une petite chapelle de Notre-dame, sans les couvrir autrement qu’un drap mortuaire, ainsi me fut montré.

Le 16 février de l’an 1526,Barthelemy du Boisle révérend,évesque suffragant de Lyon, me fait savoir qu’il passait la rivière de la Saone pour venir en mon logis. Dès que j’en fus averti, j’allai au-devant de lui, le reçut du mieux possible. Plusieurs jours auparavant, plusieurs m’avaient demandé d’entendre cette âme, très pressés que je veuille aller sur le lieu pour entendre le son des cognements qu’elle faisait ; j’en fus à refuser pensant que ce fut autre chose. À tant, le révérend commença à tenir propos de cette affaire et me dit qu’il y avait été avec plusieurs religieuxFrères mendiants auxquels ladite âme n’a rien voulu répondre. Le révérend me pressa tel qu’il fut conclu que le lendemain, jour de la Septuagésime, 70e jour avant Pâques, nous irions ensemble.

Après avoir diné, nous sommes partis le plus secrètement qu’il nous fut possible, environ deux heures après midi, nous comptions d’aller très coyementtranquillement mais le peuple de Lyon nous aperçut tantôt et accoururent hâtivement, et cheminant en telle diligence au nombre de près de quatre mille personnes, tant hommes que femmes, lesquels avaient déjà gagné du paysterrain devant nous, car nous allions tout bellement sans monter sur nos mules. Sitôt que nous sommes arrivés là, déjà la presse était si grande que ne pouvions entrer en l’Église des religieuses, lesquelles étaient bien averties de notre venue. Incontinent leur père-confesseur vint à nous, auquel il fut chargé d’ouvrir un petit huisouverturepour entrer par le choeur. Ce fut fait ainsi, mais le peuple qui donnait gardesur le qui-vive de ce que nous deviendrons, aperçut que l’on voulait ouvrir quelque huis pour nous faire entrer, incontinent s’avancent par force au-dedans et voulaient entrer. Dès lors nous avons été contraints de demeurer encore en la chapelle où nous étions premièrement, tant la presse était grande.

Quand le peuple aperçut que nous ne faisions aucun semblant de nous mouvoir, prestement retournèrent en arrière de nous, et épiaient soigneusement notre conseil, moult bien garde de nous. S’étant constitués une telle perplexité, nous avons pris conseil que nous parlerions ensemble tout haut pour décevoir ce peuple importun, et dirions, Allons-nous-en. Cependant passions parmi eux, car meshuy aujourd’hui n’est possible d’entrer là pour la presse, et par ce moyen nous étions hors de l’Église. Là on nous avait ouvert une grande porte par où le charroyamène les nécessités du monastère, et sommes entrés devant sans avoir d’empêchement, et ladite porte fut vivement close. Incontinent les portières vinrent ouvrir leur grand’porte pour entrer dedans. Mondit seigneur le révérend entra, et nous avec lui, et autres vénérable gens d’église, auxquels fut fait commandement exprès de ne révéler aucune chose de ce qu’ils verraient ou entendraient là sur peine d’excommunication.

Dès lors nous trouvâmes madame l’abbesse accompagnée de ses religieuses en très-humble contenance, elles se mirent en très-grande humilité et saluèrent ledit révérent, aussi la compagnie ; après le salut rendu par nous, elles nous menèrent en leur chapitre section, là où le révérend fut assis, et nous à l’environ de lui, et les dames toutes à genoux, combien que monseigneur les ordonnait de se lever.

Incontinent la jeune religieuse fut présentée devant le révérend, il demanda comment elle se portait, et la jeune religieuse répond que bien, Dieu mercy ; outre lui demande de l’âme qui la suivait : incontinent ladite âme heurta sous les genoux de la jeune religieuse, comme si elle voulait dire quelque chose. Là fut parlé de maintes choses concernant la délivrance de cette pauvre âme : plusieurs disaient, mêmement les dames, qu’elle soutenait souffrait grande peine ; toutefois il leur était d’avis, quand on disait le service divin, mieux lui en était.

Par grande requête était entré un marchand, homme de bien, qui avait quelquefois accepté l’argent d’une croix rompue ou autres reliquaires. Faisant conscience, il craignait que ce ne fut de là par quoi l’âme de la défunte fut retenue et requiert en suppliant instamment d’interroger l’âme si ledit argent était venu des reliques de là. Ladite âme donna signe que non, ce dont le marchand fut bien aise. Plusieurs autres curieuses questions lui furent demandées dont elle ne donna aucune réponse.

L’heure était tardive et la nuit s’approchait, parce que nous avions été tenus à l’Église longuement, à cause de la presse du monde qui nous avait tenus en subjectionsujétion. Après que nous sommes demeurés assez longuement, nous avisions que premièrement on prierait Dieu pour la pauvre âme douloureuse : ledit seigneur se leva et commença De profundis, De l’abîme :

Du fond de l'abîme je t'invoque O Iehvah… Seigneur, écoute ma voix, que tes oreilles soient attentives au bruit de mes supplications… Qui pourrait subsister si tu gardais le souvenir des iniquités, Seigneur Iehvah ? Mais le pardon se trouve auprès de toi afin que tu sois craint. J'espère en Iehvah, mon âme espère et j'attends sa promesse : mon âme compte sur le Seigneur plus que les gardes comptent sur le matin, plus que les gardes comptent sur le matin. Israel, mets ton espoir en Iehvah : la miséricorde est près de Iehvah et la rédemption près de lui en abondance : c'est lui qui rachètera Israel de toutes ses iniquités. Psaumes 130

Les religieuses et nous répondions, Fiant aures &, Par votre entendement etc. Tandis que le psaume se disait, la jeune religieuse étant à genoux, l’âme heurtait incessamment sous elle, heurtant assez sec, en manière comme si elle fut sous terre. Après le psaume parachevé ainsi que les oraisons, il lui fut demandé si elle en était mieux : elle donna signe que oui.

Après le conseil tenu par les assistants, je fus chargé de mettre de l’ordre dans cette affaire et composer les cérémonies ; exorcismes, conjurations, et adjurations qu’il convenait pour savoir la pure vérité de cette âme, et connaître si c’était véritablement l’âme de la défunte, pour ne pas abuser les pauvres religieuses. (Puis il fut dit à la mère abbesse que nous reviendrons pendant certains jours en telle forme et solennité qu’il convenait en telle affaire, et suivant la charge qui m’avait été imposée, comme le moins suffisant de la bande).

Avant de partir du monastère, j’ordonnais que la religieuse que l’âme suivait, de choisir deux religieuses de là sans nulle contrainte, et qu’elle commence le Psautierde David premièrement, et en dit dix psaumes, et en suivant après, chacune des deux religieuses choisies par elle, en diraient chacune dix tous les jours, jusqu’à tant que tout le Psautier fut achevé : par ce moyen se payerait à notre-seigneur, chaque jour, trente psaumes pour les dettes de la pauvre âme détenue en la prison du purgatoire, en l’honneur des trente deniers dont Judas vendit aux juifs notre-sauveur. (Elles continuèrent de chanter lesdits trente psaumes et achevèrent tout le Psautier en cinq jours, présentant en peu de temps à notre-seigneur afin qu’il lui plût en l’honneur de ses plaies, d’abréger le temps de la peine que la pauvre âme endurait, condamnée par sa Justice divine). Il y eut de tels en la compagnie qui en firent autant tous seuls, de tels qui donnèrent des aumônes assez grandes pour leur état, d’autres qui firent chanter plusieurs messes pour la délivrance de la pauvre âme, et il n’y avait personne, ainsi que je crois, qui n’en fit son devoir, parce que la nécessité y était trop grande ; même qu’il y en eut plusieurs qui jeûnèrent et firent abstinence, qui marchaient humblement devant Dieu, et pleuraient moult pour la pauvre âme requérant notre-seigneur.

Le jour avant que nous devions aller avec solennité pour mettre en avant notre promesse et savoir de la vraie âme, je mandais par écrit à la dame abbesse et à ses religieuses tout entièrement ce qu’elles devaient faire pour appareillerpour notre venue. Et le matin environ six heures, nous étions près de la porte de l’abbaye le 22e de février 1526 - jour de la fête de la chaire de st Pierre, nous sommes entrés au monastère ; on nous attendait à la porte, et incontinent mondit seigneur le révérend, après qu’il fut confessé, s’appareilla de son rochetépiscopal manteau de cérémonie. Il est à entendre que tous ceux de l’assemblée s’étaient mis en bon état (par confession comme dit précédemment). Les dames portières vinrent ouvrir leur grand porte et ledit seigneur entra avec sa compagnie, qui étaient ceux là à pied surnommés ensemble ; l’official de Lyon et trois vénérables prêtres, aussi les deux pères confesseurs des religieuses.

Nous retrouvâmes la bonne-dame abbesse à l’entrée du cloitre toute prête pour recevoir, accompagnée de ses dévotes religieuses qui nous reçurent très-humblement, nous menèrent en leur cloitre, et de là en chapitre. (Audit chapitre est un petit autel qu’elles avaient très proprement orné et une chaise parée honorablement pour monseigneur, aussi de longues chaises honnêtement couvertes pour les gens de bien qui l’accompagnaient, mises en l’environ de la chaire dudit seigneur à dextre et à senestre à droite et à gauche.

Incontinent ledit seigneur arrivé devant ledit autel, après oraison faite, prit une étole qu’il mit à son col, fit l’eau bénite en la manière accoutumée, puis s’assit en sa chaise, et tous les assistants aux sièges apprêtés pour eux. Pareillement l’abbesse et ses religieuses s’assirent, chacune selon son degré ou antiquité ancienneté : quand tous furent assis et que silence fut fait, monseigneur le révérend se leva tout droit et commença à projeter l’eau bénite ça et là, en invoquant tout hautement l’aide de la Majesté divine, disant en latin : Te invocamus, te adoramus &.  Et nous lui répondions de même. Il dit l’oraison Omnipotens sempiterne Deus, Éternel Dieu tout-puissant :

Ta miséricorde sur notre pontife, et dirige-le selon ta bonté dans la voie du salut éternel, que par ton don il puisse toujours désirer ce qui te plaît et l’accomplir de toutes ses forces. Par Christ notre-seigneur, amen.Miserere famulo tuo Pontifici nostro, et dirige eum secundum tuam clementiam in viam salutis aeternae : ut, te donante, tibi placita cupiat et tota virtute perficiat. Per Christum Dominum nostrum, amen.

Après qu’on eut dit amen, il se rassit comme avant. Incontinent, madame l’abbesse et une religieuse des anciennes amenèrent la religieuse que l’âme suivait ; elle s’agenouilla devant monseigneur l’évesque très révéremment sur un large marchepied (apporté là tout exprès, afin que l’on puisse mieux entendre l’âme cogner). Quand elle fut à genoux là, les oreilles de chacun se dressèrent pour écouter ce qu’on pouvait. Et premièrement ledit seigneur imprima le signe de la croix au front de la religieuse, mettant les mains sacrées sur son chef, et la bénit, Benedictio super caput puellae, Bénédiction sur la tête de la jeune soeur :

— Que la bénédiction du Dieu tout-puissant Père, fils, & Saint Esprit, descende sur vous ma fille et y demeure toujours. Que par cette bénédiction soient repoussés les efforts et machinations de l’ennemi ; que par nos mains la vertu de Dieu le frappe jusqu’à ce qu’il s’enfuie et vous laisse repos et paix, à vous servante de Dieu qui devez bannir toute frayeur. J’ordonne l’ennemi par celui qui viendra juger les vivants et les morts, et le siècle par le feu, amen. Benedictio Dei omnipotentis Patris, & Filii, & Spiritus Sancti, descendat super te, filia & maneat semper: per quam adversae partis à te vires & machinamenta repellantur. Sitque per manus nostras ita divina virtute percussus inimicus : quaternus te famulam Dei ablatis terroribus universis, aufugiens relinquat, quo tibi quietis & pacis jura restituantur. Adjuratus per eum qui venturus est judicare vivos & mortuos, & saeculum per ignem, amen.

Puis tous dirent amen, et le révérend dit aux assistants :

— Mes chers seigneurs et frères. Il est tout notoire que l’ange des ténèbres se transmue souvent en espèce de l’ange de lumière, et par des moyens subtils déçoit et surprend les simples. De peur que par aventure il aurait occupé le lieu de ces femmes religieuses ; premièrement, nous voulons le redarguerconfondre et le jeter dehors, et quand il y est, de le trancher du glaive spirituel comme en convient sa cruelle heure, qu’il ne nous empêche et ne trouble plus notre intention en aucune chose.

Très âprement, le révérend se dressa contre le mauvais esprit, lui faisant et donnant maints reproches en latin (je l’ai mis ici en françois, car premièrement j’avais le tout composé en latin, et devez savoir que tout ce que fut dit, chanté et parlé en cette délivrance, était en latin) :

— Viens donc en avant ténébreux esprit si tu as usurpé un siège entre ces simples femmes religieuses ; entends-moi, prince de menterie envieilli de mauvais jours. Par la puissante autorité de Dieu, nous te commandons que si tu as bâti quelque trahison par tes cruautés, pour te moquer ou décevoir tromper des servantes de Jésus Christ : fuis subitement, va-t’en prestement, laisse servir Dieu paisiblement, adjuré par celui qui viendra juger les vifs et les morts, et le siècle par le feu, amen.

Quand le révérend eut ainsi conjuré tout mauvais esprit, aucune motion ne se faisait par notre âme, la religieuse étant toujours à genoux sur le large marchepied ; tous les assistants au guet les yeux fixés sur elle. Quand le révérend eut un peu repris son haleine, derechef il s’arma contre l’ennemi - si c’était ce qui suivait la religieuse, et prononça en excommuniant ce qui s’ensuit en latin :

— Maudit éjecté de la sainte-montagne de Dieu aux abîmes ténébreux de gouffres infernaux : quel que soit ta hiérarchie infernale pour te moquer de ces dévotes religieuses, nous invoquons le Père tout-puissant, nous supplions le fils notre-rédempteur, nous réclamons le Saint Esprit très-béni contre toi, que de sa puissante droite il commande que tu ne suives plus les pas de notre soeur Antoinette si par ci-devant les a suivis.

Nous serviteurs du tout-puissant Dieu, bien jaçoit étant que pécheurs, bien qu’indignes, toutes fois en nous confiants en son espéciale miséricorde : nous te commandons par la vertu en celui qui est notre-seigneur Jésus Christ que tu laisses en paix les pauvres religieuses, et vivement t’en départes outre. Mauvais ennemi, nous te conjurons et te condamnons antique serpent, en toi anathème nous t’excommunions en te détestant et renonçant à tes oeuvres, sous l’intermination du divin jugement au nom de notre-seigneur Jésus Christ qui viendra juger par le feu les vivants et les morts, et le siècle.

Incontinent tous répondirent amen. En signe de malédiction éternelle, les chandelles furent éteintes, la clochette fut sonnée en détestation, et l’évesque frappa la terre du talon plusieurs fois en détestant le diable, le chassant, s’il était autour de la religieuse. Il prit ensuite de l’eau bénite et la répandit, la jeta en l’air, sur nous, et sur terre, en criant à haute voix :

Discedite, omnes qui operamini iniquitatem! Éloignez-vous de moi vous qui faites l’iniquité. (Matthieu 7:23, Luc 13:27)

Ce, recourra-t-il à dire par trois fois. Et de ce ne fut pas encore content, il envoya aussi trois prêtres vêtus d’aubes longues chemises blanches ayant chacun l’étole au col, pour répandre l’eau bénite par tous les lieux de l’abbaye, et les chargea incessamment de dire tout haut Discedite omnes qui operamini iniquitatem !

Il leur dit afin qu’ils n’eussent pas peur, qu’ils fussent hardis, car ainsi le convenait ; lesquels furent longuement en ce labeur pour ce que le lieu de là est assez spacieux. Et sitôt que les trois prêtres furent entrés au dortoir desdites religieuses avec leur eau bénite, aspergeant et criant hautement :

Discedite, omnes qui operamini iniquitatem! Éloignez-vous de moi vous qui faites l’iniquité.

Voilà subitement plusieurs diables ou esprits mauvais fuyant du dortoir des dames chassés par ceux qui portaient l’eau bénite, vinrent prendre une jeune novice, gentilfemme, qui contre son gré, par ses parents avait été rendue là-dedans. Il ne faut pas enquérir si ces mauvais esprits la tourmentaient, car c’était horreur de la voir.

Tous ceux de l’assemblée, chacun à sa place, attendaient que les trois prêtres eussent achevé leur charge et à autre chose n’avait attente. Ils furent tous si épouvantés de merveille et troublés, qu’il n’y eut si hardi qui n’eut voulu être bien loin ; et ne sachant que dire, ils se regardaient l’un l’autre, près à chacun de suivre celui qui s’enfuirait le premier. Je crois qu’ils n’eurent jamais si grande frayeur, et pour tout vrai, le cas était assez épouvantable. Tous devinrent pâles et défaits comme gens presque morts, et ne savaient quel saint réclamer.

Que vous dirais-je ? Tant furent surpris que l’un à l’autre mot ne sonnait, ainsi tremblaient moult durement, et les pauvres religieuses pâlirent, ayant frayeur incomparable. Elles se serraient l’une contre l’autre comme pauvres brebis au troupeau desquelles le loup s’est subitement jeté, hors l’abbesse tant seulement qui moult vaillamment s’y porta, car elle tint ladite obsédée en sujétion par force jusqu’à temps que les trois prêtres furent retournés.

Que vous dirais-je de plus ? Tant furent tous mis hors d’haleine et d’avertissement qu’ils pensaient bien être morts, sans avoir aucun répit de plus jamais vivre. En cet instant que les choses étaient en si merveilleux trouble, je n’étais près des autres, ainsi étais un peu arrière, ordonnant que le corps de la défunte à être apporté là tantôt où nous étions, et en me détournant ça et là, j’aperçus la jeune novice, qui se démenait merveilleusement, dont j’étais ébahi. Si m’approchais, et tantôt j’aperçus que c’était le mauvais esprit qui la tourmentait. Mais la pauvre fille se défendait comme elle pouvait, en disant :

Maria mater gratiae, Mater misericordiae, tu nos ab hoste protege & hora mortis suscipeMarie, mère de grâce, mère de miséricorde, protégez-nous de l’ennemi et recevez-nous à l’heure de la mort.

Et ce, elle le disait en remuant, et se démenant horriblement, ainsi que le mauvais esprit la contraignait, car il était encore dedans son corps, ainsi était en toute partie d’elle, là où moult la tourmentait.

Je fus assez étonné de cette aventure, et plus fort quand je pris garde à mes compagnons qui étaient tant frappés. Toutefois, alors je convins de prendre hardiment, pour tant que j’avais la charge de toute l’affaire, et premièrement de réconforter les assistants était nécessaire, leur promettant assurance, et qu’en ce qu’ils voyaient n’avait aucun danger. Ainsi était l’ennemi d’enfer, qui par envie désespérée, s’efforçait de mettre empêchement à la délivrance de la pauvre âme qui est détenue prisonnière en purgatoire. Donc j’ordonnai hâtivement que l’on prit trois étoles et qu’elle fut liée d’icelles.

Ceux qui commettent l’iniquité tombent déjà : renversés ils ne peuvent se relever. Ibi ceciderunt, qui operantur iniquitatem, expulsi sunt, nec potuerunt stare. Psaumes 36:13

J’envoyai un message aux trois prêtres pour dire qu’ils s’avancent pour tenir en sujétion ce mauvais esprit, tandis que nous mettrions achèvement à notre première entreprise. Puis je vins audit révérend et lui dit qu’il commande au mauvais esprit de se taire, cependant que nous entendions à d’autres affaires : il se fit ainsi s’il se tint tranquille pour cette fois-là. Nos trois prêtres venus, je leur baillais la garde de ladite religieuse démoniale.

Cela fait, après quelques oraisons dites, l’évesque s’appareilla de tous ornements pour célébrer la messe. Quand il fut prêt, s’étant mis à genoux et tous les assistants, commença à chanter tout haut l’hymne Veni Creator Spiritus :

Viens Esprit Créateur visiter l’âme des tiens, combler par la grâce d’en haut le sein que tu as créé. Toi nommé Paraclet plus-haut don de Dieu, source de vie, feu, charité, et onction de l’Esprit. Toi aux sept dons, doigt à la droite du Père, toi promesse faite du Père qui inspire notre langue à parler. Allume nos sens de lumière, comble-nous d’amour, affaiblis notre corps, établis ton constant pouvoir. Repousse l’ennemi de loin, donne sitôt la paix, que sous ta guidance nous évitons toute faute. Par toi, connaître le Père, aussi connaître le fils, et à la fois ton Esprit, croire en tout temps. Gloire au Père Dieu, au fils ressuscité d’entre les morts, au saint Esprit Paraclet, à jamais pour toujours, amen. Veni, Creator Spiritus mentes tuorum visita, imple superna gratia, quae tu creasti pectora. Qui diceris Paraclitus, altissimi donum Dei, fons vivus, ignis, caritas et spiritalis unctio. Tu septiformis munere, digitus paternae dexterae tu rite promissum Patris sermone ditans guttura. Accende lumen sensibus, infunde amorem cordibus, infirma nostri corporis, virtute firmans perpeti. Hostem repellas longius pacemque dones protinus ; ductore sic te praevio vitemus omne noxium. Per te sciamus da Patrem noscamus atque Filium, te utriusque Spiritum credamus omni tempore. Deo Patri sit gloria, & Filio qui a mortuis Surrexit, ac Paraclito, in saeculorum saecula, amen.

Les religieuses répondaient à chaque verset. Lequel conclut, il commença la messe du saint Esprit, Introibo ad Altare Dei, J’irais à l’Autel de Dieu, et quand on vint à l’offrande, la religieuse que l’âme suivait se leva et vint offrir un pain blanc et un pot de vin, laquelle offrande fut incontinent donnée par amour pour Dieu. La messe accomplie, le révérend s’assit en sa chaise et tous les assistants prirent place, les dames aussi. Quand tous furent en paix et que bon silence fut fait, ledit seigneur parla aux assistants :

— Mes seigneurs et bons amis. En votre présence nous avons déjà grandement commencé à procéder à notre affaire ; premièrement, nous avons conjuré le mauvais esprit, excommunié et éjecté si d’aventure il y eut été le suivant cette jeune religieuse. Nous connaissons quasi évidemment que ce que c’est n’est que de la part de Dieu. Veuille savoir plus avant en interrogeant ladite âme à cette fin, que puisque par lui-même connaissons la vérité, nous, par votre bon conseil, puissions y pourvoir plus amplement.

Après qu’il eut ce dit, la religieuse fut assise sur une petite chaise basse, posée sur son large marchepied. Or ainsi que nous étions tous assis, voici quatre personnes qui apportèrent les ossements de ladite soeur secrétaine Alis dans un cercueil ou chasse de bois, recouvert d’un drap mortuaire.

Sitôt que ledit mauvais esprit qui était au corps de ladite religieuse novice aperçut lesdits ossements, va dire sans se faire autrement émouvoir :

— Ah tu es là pauvre méchante !

Puis se tint tout muet. Monseigneur se prépara de conjurer l’âme de ladite défunte dont les ossements étaient présents ; premièrement bénit le nom de Dieu, dit tout hautement en latin :

— Béni est le nom du Seigneur. Notre aide est dans le nom du Seigneur. Sit nomen Domini benedictum.Adjutorium nostrum in nomine Domini.

Et les assistants répondaient. Il commença ensuite à conjurer en cette manière :

— Âme ou esprit ! Qui que tu puisses être, d’adverse partie ou de Dieu, qui de longtemps a suivi cette religieuse : par celui qui fut mené devant Cayphe le prince des prêtres juifs, là fut accusé et interrogé, mais ne voulut rien répondre jusqu’à tant qu’il fût conjuré au nom du Dieu vivant, auquel incontinent il répondit que véritablement il était fils du tout-puissant Dieu ; à l’invocation duquel nom terrible, au ciel, en terre et en enfer, soit fait révérence par la vertu de celui-ci même, notre Seigneur Dieu, et Jésus Christ (tous alors s’agenouillèrent) : je te conjure et te commande que tu me répondes apertementouvertement ainsi que tu pourras, et qu’il te sera permis par la volonté divine, sur tout ce que je t’interrogerai, sans rien calercacher, tellement que je puisse entendre clairement toutes tes réponses, et tous les assistants, afin que chacun de nous ait occasion de louer et magnifier les hauts faits du Créateur Dieu qui règne à jamais et par tous temps infiniment.

Nous répondons amen. Alors tous les assistants désirant entendre les réponses de ladite âme se délibérèrent de prêter grand silence (tel que vous n’avez pas entendu créature qui fit aucun bruit en compagnie, tant petit peut-il), ainsi ouvraient les aureilleset fichaient les yeux sur la religieuse.

— Dis-moi si tu es véritablement l’âme de soeur Alis déjà morte, jadis de là secrétaine ? Elle répond que oui.

— Dis-moi si c’est de ton corps ces ossements qui ont été apportés ici ? Répond que oui.

— Dis-moi ouvertement puisque tu sortis de ton corps, si dès l’heure tu vins suivre cette religieuse ? Répond que oui.

— Dis-moi s’il y a un ange avec toi ? Répond que oui.

— Dis-moi si celui-ci ange est-il des bienheureux ? Répond que oui.

— Dis-moi, ce bon ange te conduit-il par tout où il te convient d’aller ? Répond que oui.

— Dis-moi, n’est-ce pas le bon ange qui a été député à ta garde par la Providence divine en ta vie ? Répond oui.

— Dis-moi comment a nom ce bon ange ? Rien n’a répondu.

— Dis-moi si ton bon ange est de la première hiérarchie ? Rien n’a répondu.

— Dis-moi s’il est de la seconde hiérarchie ? Rien n’a répondu.

— Dis-moi s’il est de la tierce et haute-hiérarchie céleste ? Répond que oui.

— Dis-moi si ce bon ange fut séparé de toi incontinent quand tu fus morte ? Répond que non.

— Dis-moi s’il t’a laissée quelquefois ? Répond que non.

— Dis-moi si ton bon ange te console dans tes afflictions et peines ? Répond que oui.

— Dis-moi si tu peux voir d’autres bons anges que le tien, et si tu en vois ? Répond que oui.

— Dis-moi si l’ange de satan n’est pas avec toi ? Rien n’a répondu.

— Dis-moi si tu vois le diable ? Répond que oui.

— Dis-moi, conjuré par le haut nom de Dieu, s’il y a véritablement un lieu appelé purgatoire où, quelque quelles puissent être, toutes âmes sont là condamnées par la Justice divine ? Répond que oui. (Par cette réponse, la fausse assertion des hérétiques luthériens est confuse et condamnée).

— Dis-moi, as-tu vu punir des âmes en purgatoire ? Répond que non.

— Dis-moi, as-tu vu au purgatoire des personnes que tu as connus en ce monde ? Répond que oui.

— Dis-moi s’il y a une douleur en ce monde qui puisse être comparée aux peines du purgatoire ? Sur ce n’a rien voulu répondre.

— Dis-moi, n’y-a-t-il pas avec toi une lumière par laquelle tu puisses voir ou connaître ?Rien ne répond.

— Dis-moi, quand on fait quelques oeuvres pieuses pour ton allègement, connais-tu tant le personnage que le bien fait pour toi ? Répond que oui.

— Dis-moi si tu as été sans peine quelques peu d’espace depuis le temps que tu es morte ? Répond que oui.

— Dis-moi si tu as eu repos le vendredi adorépour la révérence de la Passion de notre-seigneur ? Répond oui.

— Dis-moi si tu fus en repos le béni jour de Pâques pour l’honneur de la glorieuse Résurrection ? Répond oui.

— Dis-moi si repos te fut octroyé le jour de l’Ascension ? Répond que oui.

— Dis-moi si le jour de la Pentecôte ? Répond que oui.

— Dis-moi si le jour de Noel ? Répond que oui.

— Dis-moi si pour l’honneur de la bénite vierge Marie tu as eu du repos aux fêtes ? Répond que oui.

— Dis-moi si tu as eu allégement à la Toussaint ? fête de tous les saints le 1er nov.Répond que oui.

— Dis-moi si les âmes de purgatoire reposent en la fête des trépassés défunts ? Répond que oui.

— Dis-moi, connais-tu bien le temps quand tu seras délivrée de ta peine ? Répond que non.

— Dis-moi, depuis le temps que tu t’en allas de ce monde en l’autre, as-tu pas été quelque fois transférée aux joies des saints glorieux par la volonté divine ? Répond que oui.

— Il reste à savoir par quoi tu pourrais être rachetée des peines du purgatoire : dis-moi si tu pourrais être délivrée par jeûnes ? Répond que oui

— Dis-moi si tu pourrais être délivrée par oraison ? Répond que oui.

— Dis-moi si par aumônes tu serais délivrée ? Répond que oui.

— Dis-moi si par pèlerinage tu réchapperais ? Répond que oui.

— Dis-moi si par les prières mêmes de cette religieuse à laquelle tu as été envoyée, pourrais-tu être délivrée ? Répond que oui.

— Dis-moi, le pape a-t-il puissance de te délivrer par son autorité papale ? Répond que oui.

— Dis-moi au nom de Dieu si tu as pris quelque corps ou instrument par lequel tu fasses tel son par l’ordonnance divine ? Répond promptement que non.

À sire, il vous convient savoir que à chaque réponse de oui un coup ou de non deux coups, ledit évesque avait encre et papier pour signer et marquer ce que l’âme répondait. Et tout ce que vous avez ouy, je l’ai diligemment recueilli, car j’étais auprès dudit seigneur et lui baillaisprêtais la plume pour le signer quand il était l’heure. Après que le révérend eut ainsi interrogé et examiné ladite âme, il lui dit en cette manière :

— Ma chère soeur. Aperçois ici comme cette honorable et dévote compagnie est assemblée pour prier notre Créateur Dieu qu’il lui plaise de mettre fin aux peines des douleurs que tu souffres, et veuille te recevoir en la compagnie de ses bénis anges et saints de paradis.

Tandis que ledit seigneur disait ces paroles, elle cognait très-fort.

Je vous ay déjà dit comment les ossements de la défunte avaient été apportés où nous étions, maintenant je vais vous parler du service et des suffrages d’oraisons, et des cérémonies, car grand était le désir des assistants de voir la manière comment on procéderait à la délivrance de cette pauvre âme. Or quand ledit seigneur eut achevé ses demandes et interrogation, et que véritablement eut connu que c’était l’âme de soeur secrétaine Alis, il loua Dieu ; ainsi firent tous ceux de l’assemblée, qui le remerciaient très dévotement de la grâce qu’il fit à la pauvre âme qui souffrait, et si débonnairement se montrer aux vivants pour être délivrée par leurs oraisons et bienfaits ; ils tenaient cela en grandes merveilles. Après que le révérend eut ôté ses ornements, hors l’aube et l’étole, il commença le psaume Miserere mei Deus, Dieu, Aie pitié de moi :

Aie pitié de moi, Dieu, dans ta bonté, selon ta grande miséricorde : efface mes transgressions, lave-moi complètement de mon iniquité, et me purifie de mon péché. Car je reconnais mes transgres-sions et mon péché est constamment devant moi ; j’ai péché contre toi seul et ai fait ce qui est mal à tes yeux, de sorte que tu seras juste dans ta sentence, sans reproche dans ton jugement. Voici je suis né dans l’iniquité, ma mère m’a conçu dans le péché, mais tu veux que la vérité soit au fond du coeur : fais pénétrer la sagesse au dedans de moi ! Purifie-moi avec l’hysope et je serais pur, lave-moi et je serais plus blanc que la neige : annonce l’allégresse et la joie, et les os que tu as brisés se réjouiront, détourne ton regard de mes péchés, efface toutes mes iniquités. O Dieu, crée en moi un coeur pur, renouvelle en moi un esprit bien disposé, ne me rejette pas loin de ta face, ne me retire pas ton Esprit de sainteté, rends-moi la joie de ton salut et qu’un esprit de bonne volonté me soutienne… J’enseignerais tes voies à ceux qui les transgressent et les pécheurs reviendront à toi. O Dieu ! Dieu de mon salut ! Délivre-moi du sang versé et ma langue célébrera ta miséricorde. Seigneur, ouvre mes lèvres et que ma bouche publie ta louange. Si tu voulais des sacrifices je t’en aurais offert, mais tu ne prends pas plaisir aux holocaustes : les sacrifices agréables à Dieu, c’est un esprit brisé, car tu ne dédaignes pas un coeur brisé et contrit. O Dieu, répands tes bienfaits sur Sion צִיּוֹן par ta grâce, bâtis les murs de Jérusalem יְרוּשָׁלִָם : tu agréeras alors des sacrifices de justice, des holocaustes et des victimes tout entières, on offrira alors des taureaux sur ton autel. Psaume 51

Nous et les religieuses répondons. Tous étaient en pieds et ordre, les dames aussi. La religieuse fut ordonnée à se tenir au chef du cercueil de la trépasséeAlis qui était au milieu des dames. Cependant que l’on disait ces suffrages, cette pauvre âme faisait grand signe de joie, connaissant et sentant ses peines s’alléger. Car sachez pour tout vrai qu’il n’y avait à la bande aucun qui ne désirait pas de tout son coeur être cause de la délivrance de la pauvre âme. Si chacun priait très dévotement, pleuraient de pitié quand ils virent la grande humilité que mit en avant la bonne religieuse, au nom et lieu de la défunte qui la suivait. Et quand ledit psaume Miserere mei, Deus, Dieu aie pitié de moi, fut parachevé, incontinent la religieuse va commencer à voix angoisseuse très piteusement pour la personne de ladite défunte le Libera me, Domine, de morte aeterna, qui est autant dire, Délivre-moi de la mort éternelle :

Délivre-moi, Seigneur, de mort éternelle en ce terrible jour quand les cieux et la terre seront ébranlés, quand tu viendras juger le monde par le feu. Je suis tremblante de crainte du jugement contre nous, de la colère à venir quand les cieux et la terre seront remués. Ce jour-là, jour de colère, de catastrophe et misère, jour grand et extrêmement amer, quand tu viendras juger le monde par le feu. Seigneur aie pitié, Christ aie pitié, seigneur aie pitié ! Libera me, Domine, de morte aeterna in die illa tremenda, quando coeli movendi sunt et terra dum veneris iudicare saeculum per ignem. Tremens factus sum ego et timeo, dum discussio venerit, atque ventura ira. Quando caeli movendi sunt et terra. Dies illa, dies irae, calamitatis et miseriae, dies magna et amara valde. Dum veneris iudicare saeculum per ignem. Kyrie eleison, Christie eleison, kyrie eleison !

Les religieuses chantèrent très dévotement ladite réponse, suivant ce que la religieuse en avait commencé. Après cette réponse chantée, la religieuse se retourna vers la mère de Jésus en chantant un verset avec une autre religieuse, O Maria, stella maris,Marie, étoile de la mer :

Salut étoile de la mer, mère nourricière, toujours vierge, bienheureuse porte du ciel. En recevant ce salut de la bouche de Gabriel, changeant le nom d’Ève, établis-nous dans la paix : enlève les liens des coupables, donne lumière aux aveugles, chasse nos maux, réclame tout bien ; montre-toi notre mère, qu’il accueille par toi nos prières, celui qui né pour nous, voulut être ton fils. Vierge sans égale, douce entre tous, quand nous serons libérés de nos fautes, rends-nous doux et chastes. Accorde-nous une vie innocente, rends notre chemin sûr, pour qu’en voyant Jésus nous nous réjouissions éternellement. Louange à Dieu le Père, gloire au Christ-roi, et à l’Esprit saint ; la Trinité entière, un seul hommage, amen.Ave, maris stella mater alma, atque semper virgo, felix coeli porta. Sumens illud, Ave, Gabrielis ore, funda nos in pace, mutans Evae nomen. Solve vincla reis, profer lumen caecis, mala nostra pelle, bona cuncta posce. Monstra te esse matrem, sumat per te precem, qui pro nobis natus, tulit esse tuus. Virgo singularis, inter omnes mitis, nos culpis solutos, mites fac et castos. Vitam praesta puram, iter para tutum, ut videntes Jesum, semper collaetemur. Sit laus Deo Patri, summo Christo decus, Spiritui Sancto, tribus honor unus, amen.        

Puis la religieuse réclama dévotement la glorieuse Magdeleine. Après que les dames eurent répondu à la religieuse selon ce qu’il fallait, le révérend dit en donnant de l’eau bénite au corps :

A Porta inferi! Aux portes de l’enfer.

Et puis dit deux belles oraisons, lesquelles achevées, la religieuse s’agenouilla en chef du cercueil et tous les assistants pareillement s’agenouillèrent, et lors la religieuse commença très doucement Creator omnium rerum Deus qui, Dieu créateur de toutes choses :

Dieu Créateur de toutes choses qui m’a formé du limon de la terre et merveilleusement racheté par le sang : bien que mon corps se décompose maintenant, tu le feras ressusciter du tombeau au jour du jugement : écoute-moi, écoute-moi, écoute-moi, mon Dieu, afin que tu ordonnes à mon âme d’être placée dans le sein d’Abraham. Creator omnium rerum Deus qui me de limo terrae formasti et mirabiliter sanguine redemisti corpusque meum licet modo putrescat de sepulcro facies in die judicii resuscitari exaudi exaudi exaudi me ut animam meam in sinu Abrahae patriarchae tui jubeas collocari.

Ce qui s’ensuit le paracheva très bien avec sa compagnie. Sachez que la religieuse ne fit, ni ne chanta aucune chose que ce fut, qu’en la personne de la défunte. Et après que le révérend eut dit en chantant Requiem aeternam dona eis, Domine, et lux perpetua luceat eis, Éternel donne-leur le repos éternel et laisse-les briller d’une lumière perpétuelle : la religieuse recommença Libera me &. Et donc le révérend adressa ces paroles à l’âme en lui souhaitant repos et joie perpétuelle, disant en latin Commendamus te omnipotenti Deo, Soror charissima & :

Nous te recommandons à Dieu tout-puissant, chère soeur, dont tu es la créature et te confions à sa miséricorde : en livrant ton âme au paiement de la dette commune tu pourras retourner chez ton Créateur qui t’a formé de terre. Puisse la noble compagnie des anges rencontrer ton âme à ton départ, que l’assemblée des apôtres te reçoive, que l’armée triomphante des glorieux martyrs te rencontre, que la foule des joyeux confesseurs vous entoure, que la chorale des vierges bienheureuses aille devant toi, et puisse un repos heureux soit votre part dans la compagnie des patriarches ; que st Joseph le plus tendre patron des mourants vous inspire grand espoir, que la bienheureuse vierge Marie, mère de Jésus, vous regarde avec bonté ; que Jésus Christ vous apparaisse avec douce mine et vous donne une place parmi ceux qui doivent rester à jamais en sa présence. Puisses-tu être étranger à tous ceux qui sont condamnés aux ténèbres, punis de flammes et punis de tourments. Que Dieu ordonne à ton ennemi et tous ses mauvais esprits de s’éloigner de toi. Commendamus te omnipotenti Deo, carissima soror et ei, cuius es creatura, committo ; ut, cum humanitatis debitum morte interveniente persoveris, ad auctorem tuum qui te de limo terrae formaverat, revertaris. Egredienti itaque animae tuae de corpore splendidus Angelorum coetus occurrat: iudex Apostolorum tibi senatus adveniat: candidatorum tibi Martyrum triumphator exercitus obviet: liliata rutilantium te Confessorum turma circumdet: iubilantium te Virginum chorus excipiat: et beatae quietis in sinu Patriarcharum te complexus astringat: sanctus Ioseph, morientium Patronus dulcissimus, in magnam spem te erigat: sancta Genetrix Virgo Maria suos benigna oculos ad te convertat: mitis atque festivus Christi Iesu tibi aspectus appareat, qui te inter assistentes sibi iugiter interesse decernat. Ignores omne quod horret in tenebris, quod stridet in flammis, quod cruciat in tormentis. Cedat tibi teterrimus satanas cum satellitibus suis.

Ledit seigneur dit plusieurs autres bonnes paroles pour l’allègement de la pauvre âme (lesquelles je ne traduirais pas à cause de la brièveté).

Nous étions ainsi embesoignésoccupés, il nous fut dit qu’il était déjà midi, que les jeunes religieuses souffraient beaucoup. Mais il n’y eu oncquespersonne qui voulut bouger pour ce. Sur ces paroles, chacun s’assit en sa place, et les religieuses aussi, chacune de son degré ; quant à la religieuse, elle demeura agenouillée en chef du cercueil comme est dit. Quand tous furent en silence, monseigneur révérend se dressa en pieds et dit tout haut :

— Mes bonnes dames, mes soeurs, et mes filles. Notre pauvre soeur Alis ne peut être en repos si vous ne lui pardonnez pas toutes d’abord de bon coeur. Mes bonnes dames soeurs et filles, je vous fais savoir que votre soeur Alis ne peut être en repos si préalablement nous ne pouvons l’absoudre pleinement. Vous madame l’abbesse, et toutes vous autres entièrement, mes chères soeurs, lui pardonnez libéralement et de bon coeur, et lui acquitté tout ce que de là elle pourrait avoir pris ou emporté, ou qu’elle a permis d’emporter en quelques manière que ce puisse être ; en tant qu’il vous appartient, pouvez, savez, et devez. Aussi il convient que vous consentiez à son absolution.

Incontinent que le révérend eut dit cela, voilà la religieuse qui se lève pour la personne de la défunte, s’en va premièrement en très-grande humilité aux pieds de l’abbesse s’agenouiller, et très piteusement lui cria mercy :

— Ma révérende mère. Ayez pitié de moi, en l’honneur de celui qui fut pendu sur la croix pour nous racheter : veuillez consentir à mon absolution...

Ces piteuses paroles émurent si fort le coeur de tous les assistants, qu’il n’y eut aucun qui ne pleurait pas amèrement. Après que la bonne-abbesse reprit la parole, elle lui répondit très débonnairement :

— Ma fille, ma mie, je vous pardonne et consens en votre absolution.

La religieuse s’en alla particulièrement se mettre en terre aux pieds de chacune des religieuses, très humblement, en leur criant pitié, et pleurant, requérant qu’elles veuillent lui pardonner et consentir à son absolution. Ce qu’elles firent en lui répondant chacune en pleurant :

— Ma bonne soeur, ma mie, je vous pardonne et consens en votre absolution.

Il faisait très pitié de voir cette noble religieuse qui faisait office si humblement de la trépassée. Et donc quand elle eut requis pardon à toutes entièrement, monseigneur le révérend se leva de sa chaise, adressa les yeux et les mains au ciel en grande affection, et dit tout hautement :

— Ah sire Jésus qui êtes loyal témoin, prince de tous roys terriens, qui nous avez tant aimés, que vous nous avez lavé de nos péchés en votre précieux sang. Je vous appelle en témoin de vérité, au nom de votre pauvre créature. Et vous aussi bénie vierge Marie, et vous glorieux anges et archanges, ensemble toute la cour céleste de paradis, le ciel, et la terre, universellement toute nature et créature : je vous invoque à témoin de vérité, contre le faux, ennemi accusateur de notre soeur, comment la mère abbesse présentement et toutes les religieuses lui ont pardonné et consenti à son absolution.

Puis il dit :

Amen. Que le Seigneur rétribue en ta faveur chère soeur. Dominus retribuat pro te harissima soror.

La religieuse qui était à genoux se leva incontinent, joint les mains et chanta hautement :

Dieu merci ! Deo gratias.

Le révérend commanda à la religieuse qu’elle s’agenouille au lieu qu’elle avait accoutumé, en chef du cercueil, et qu’elle dit tout haut son Confiteor :

Je confesse Dieu, vierge Marie bénie à toujours,archange Michel béni, Jean le-baptiste béni, les saints apôtres bénis, Pierre, Paul, les saints,Eleutherius, Cassian, Juvenal avec tous les saints, et vous prêtre. Par ma faute, par ma faute, par ma faute, j’ai péché par ma pensée de superbe, perverse, inique, odieuse, en discours, pollution, suggestion, délectation, consentement, parole et acte, parjure, adultère, sacrilège, meurtre, vol, faux témoignage. J’ai péché par la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat, le toucher, dans mes vices et mon comportement porté au mal. Je vous prie de me bénir Marie toujours-vierge, ces saints et tous les saints, et vous mon prêtre, prier et intercéder pour moi, pécheresse auprès de notre-seigneur Jésus Christ. Confiteor Deo et beatae Mariae semper virgini, et beato Michaeli archangelo et beato Iohanni baptistae et sanctis apostolis Petro et Paulo et beato Leutherio et Cassiano et beato Iuvenale cum omnibus sanctis et tibi patri mea culpa, mea culpa, mea culpa, peccavi per superbiam in multa mea mala iniqua et pessima cogitatione, locutione, pollutione, sugestione, delectatione, consensu, verbo et opere, in periurio, in adulterio, in sacrilegio, omicidio, furtu, falso testimonio, peccavi visu, auditu, gustu, odoratu et tactu, et moribus, vitiis meis malis. Precor beatam Mariam semper virginem et omnibus sanctis et isti sancti et te pater, orare et intercedere pro me peccatore Dominum nostrum Iesus Christum.

Et sitôt qu’elle eut achevé, ledit seigneur joignant les mains et les étendant au ciel dit tout haut :

— Le Dieu tout-puissant aye mercy de toy, très-chère soeur, te veuille pardonner tous tes péchés et en te délivrant de tout mal, veuille toy mener en la vie éternelle.

La religieuse répondit amen. Tantôt après, ledit seigneur étendit la dextre droite sacrée sur le cercueil, disant :

— Que notre-seigneur Jésus Christ par sa sainte et très-pieuse miséricorde, et par le mérite de sa Passion, vous absolve ma soeur : et moi par l’autorité apostolique qui m’a été confiée, je vous absous de tous vos crimes et péchés et de tous autres excès, quoique graves et énormes, vous donnant pleine absolution et générale, vous remettant les peines du purgatoire, vous rendant à votre première innocence baptismale, autant que peuvent s’étendre les clefs de la sainte église notre mère au nom du Père, fils, Saint Esprit. Dominus noster Jesus Christus per suam sanctam et piissimam misericordiam, et per meritum suae benedictae passionis, te absolvat : et ego auctoritate Apostolied, qua sungor, mihi commissa, te absolvo ab universis criminibus et peccatis tuis, et excessibus, quantiemcunque gravibus sint et enormibus. Dando tibi panariam omnium peccatorum tuorunt absolutionem, et remissionem generalem. Remittendo tibi paenas Purgatorii. Restituendo te primae innocentiae, in qui baptisata es, in quantum claves sanctae Matris Ecclesiae se extendunt. In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti.

La religieuse répondit à voix haute amen. Puis le révérend donna sa bénédiction accoutumée, et les pardons de sa puissance ordinaire. Tous ainsi s’en allèrent en paix.

Je, qui tant avait pris de labeur jour et nuit à procurer la délivrance de cette pauvre âme Alis, ne pouvais avoir entière joye au coeur, ni repos ; pourtant que je ne savais encore véritablement si elle était hors des tourments du purgatoire, combien de bonne foy et d’espérance en Dieu me rapportaient qu’elle était délivrée. Non pourtant ; je voulus satisfaire à mon désir et partis de mon logis après la messe, et vins en l’abbaye. Tantôt que je fus entré là-dedans, les dames qui incontinent furent averties de ma venue, vinrent parler avec moy au parloir.

Je vous dirais merveilles. Sitôt que l’on tira à la clochette pour me faire ouvrir, ladite âme qui était avec la religieuse commença en l’Église à mener joye, dont elle s’émerveillait grandement et toutes celles qui étaient avec elle : si elles ne pouvaient penser d’où procédait cela, cela dura tant que l’on alla dire à l’abbesse que j’étais au parloir. Adoncques elle connut évidemment que cette âme savait pour tout vrai ma venue, combien toutefois la dame abbesse ne permit encore venir vers moy la religieuse, jusqu’à tant que la demanderais expressément. Ça ne cessait de cogner et soulever la religieuse de terre jusqu’à ce que madame l’abbesse la manda de venir à nous ; et ladite dame me conta comment cette âme avait connu ma venue.

Cependant que nous devisions, la religieuse arriva en la compagnie où déjà plusieurs des principales dames du lieulitt. de léans étaient. Incontinent on me fit savoir qu’elle était présente, dont je fus moult aiselitt. lie et joyeux. Je la salue honorablement à mon pouvoir, et la bonne-âme qui était avec elle, au nom de Dieu, et la religieuse me rendit le salut moult humblement. Je n’avais pas entendu ladite religieuse à qui je tenais propos, jusqu’à tant que madame l’abbesse me dise :

— N’entendez-vous pas comment notre bonne-soeur Alis vous salue, et quelle fête elle mène pour l’amour de vous ? Je vous promets, dit-elle de bonne foy, qu’elle mène grande joye qu’elle soulève de terre notre soeur Antoinette.

Je fus tout réjoui alors, et entendais très bien comment elle cognait inellementjoyeusement, et elle ne semblait pas qu’elle fut sous terre comme auparavant ; pareillement me dirent les dames ainsi que la religieuse, qui trop mieux que les autres savait et tenait pour vérité que ladite âme était maintenant sur terre depuis le jour qu’elle fut absoute. Cela me donna confort et pourtant ne me releva aucunement le coeur. Non, j’en voulus en savoir plus qu’avant, et lui demandai et requis en l’honneur de la Passion de notre-seigneur Jésus Christ, qu’elle me dise sans aucune fiction, à savoir si elle était parfaitement hors des peines de purgatoire. Et pour signe de vérité, je lui priai qu’en souvenance des neuf ordres bénis de paradis, elle heurtait neuf coups distinctement. Incontinent elle heurta neuf coups bien différents et éloignés les uns des autres que l’on peut compter à loisir ledit nombre. Encore ne me tenais-je pas à tant, et derechef lui dit :

— Ma chère soeur. Êtes-vous donc pour vrai hors de toutes peines ?

Elle répondit que oui véritablement. Pour cette heure-là, je ne m’enquis plus avant, pour ce qu’il était temps aux dames de diner, et m’en retourna en mon logis.

Deux jours après, monseigneur l’évesque suffragant dépendant de l’archevêque de Lyon dont est fait souvent mention ci-dessus, vint me voir et demanda s’il serait bon d’aller visiter et savoir comment se portent nos religieuses de Saint-Pierre : je lui dis que tout cela plairait. Nous sommes partis de mon logis sans grand compagnie et sommes allés audit lieu. Rentrés à l’Église où les dames et religieuses se trouvaient, nous avons parlé avec elles par la grille. Après qu’assez long propos eut été tenu avec l’âme de la défunte, nous lui avons soigneusement demandé pourquoi elle était retardée de la vision éternelle ?

La conclusion fut telle par elle que : bien que la peine du tourment du purgatoire lui soient cessés, toutefois il convenaitavant qu’elle entre en paradis plusieurs choses être accomplie pour elle ; que présentement elle ne manifesterait que pour certaines causes, desquelles il requiert si instamment à l’âme d’être manifestées seulement à vous sire…

Et donc le révérend, madame l’abbesse, la religieuse, toutes les religieuses ensemble en la manière du bon esprit, me commandent et prient de prendre la charge de vous le faire savoir. Et pour ce, je m’en acquitte présentement, très-cher sire, vous présentant ce petit livre, auquel est contenu la pure vérité de ce qui en advint entièrement.

Vers neuf heures de nuit,le 20e de mars 1526 un mois après, veille de fête du glorieux st Benoit, patron et chef primerain dudit ordre, la religieuse du lieu retournant se coucher en sa petite chambre aperçoit une dame religieuse assez de grande stature (ladite défunte) qui tourna la face vers la religieuse, mais ne peut bien la voir ouvertement à cause de son voile si bas, son visage ne pouvait être bonnement connu (et la religieuse n’osa regarder ouvertement). Elle se tourna vers la religieuse, changea de place par trois fois, puis s’évanouit à un coin de chambre. La religieuse s’était mise à genoux, considéra la façon de cette apparition, que c’était la trépassée soeur Alis qui apparaissait ainsi à elle. La religieuse n’eut guère dormi qu’elle s’éveille, environ de onze heures de nuit, et subitement voicy une voix assez faible qui l’appelle et dit en cette manière :

— Chère soeur Antoinette. Ma bonne-amie Antoinette ! Au nom de Dieu, par son ordre je viens à vous pour vous faire certaine de mon état, et prendre congé de vous et de toutes les religieuses de là et faire signe évident de mon allée, ainsi me fut ordonné après que je fus absoute pleinement. Donc cette nuit à matines je ferais si grand bruit, si grand cognement que jamais ne fut entendu de tel, ni de si merveilleux, quand on chantera les louanges du très-haut Sire notre Créateur, qui de par sa bonté m’a respitéemise au répit de mort éternelle. Droit à l’heure que le bon-évesque me donna sa dernière bénédiction et que vous aviez clairement répondu amen, à telle heure il me fut convenu laisser ce présent chétif monde, et monter là en joye qui me durera toujours ! O chère soeur, vous ferez savoir cela à toutes nos bonnes-soeurs des signes que je ferais pour qu’elles ne s’épouvantent aucunement. Sachez ma chère amie, premièrement que pour les prières de la bénite mère de Jésus, je suis mise hors du danger d’éternelle damnation et remise en voye de perpétuelle salvation. Car à l’heure que je trépassais de ce monde en l’autre, je ne fus pas brûlée litt. arsée par le feu austère du purgatoire, ni ne fus plongée aux puits de l’enfer, ainsi fus envoyée en l’air ténébreux pour accomplir là ma dure pénitence par l’espace de trente-trois ans, ainsi condamnée par juste Sentence divine : là j’ai, jusqu’à l’heure que je fus absoute, tant souffert de peines d’austérité qu’il n’est créature qui peut le raconter.

Mais je vous fais savoir que oncquejamais pour ce mon bon ange ne m’abandonna, et me consola incessamment en ma terrible affliction, ainsi que pour me délivrer tant de cette peine, procura envers Dieu que par certains signes, je vous fasse savoir la grande nécessité en quoy j’étais, et ce qui m’en prenait de bien : car le terme de toutes mes douleurs est maintenant achevé, à l’aide de vous ma chère soeur, à qui j’ai été spécialement envoyée, comme mon désir et requête, ensemble par les continuelles oraisons des bonnes soeurs de ces lieux, et aussi par le travail et grand instance de deux personnes qui m’ont vigoureusement et hardiment tirée et arrachée du purgatoire où j’étais, quasi par autorité piteuse et charitable. Béni soit le Créateur, qui leur donne si grande hardiesse et courage de révoquer la juste sentence qui avait été proférée sur moy. Certes, chère soeur, par tous les siècles en seray souvenante, et en mon possible envers Dieu par mes prières les compenserais. Or aller maintenant m’en convient, chère soeur, et ne parlerais plus à vous ; sortant seulement je vous dirais quel service je fais à la très-sainte mère de Jésus, que tant lui a plu que pour ce obtenu envers notre-seigneur son cher fils, que je ne fusse pas damnée selon que méritaient et requéraient les offenses de ma vie. Sachez chère soeur, que jadis le glorieux st Jean l’évangéliste, secrétaire et garde de la bienheureuse mère de Jésus, composa cinq belles oraisons, chacune commençant par une des lettres du très-excellent nom Maria, qu’il fit en l’honneur et recordation mémoire des plus grandes douleurs qu’elle souffrit pour notre-seigneur. O chère soeur, je vous dis véritablement que icelles oraisons pour le record des afflictions que la piteuse mère souffrit pour son béni enfant, tant luy plaisent, que moult grand récompense en sera à celluy ou celle qui les dira, et déjà ne sera en damnation éternelle pour la révérence de sa bénite mère. Ce commence ainsi :

Médiatrice entre les hommes et Dieu, fontaine vive versant des flots incessants de grâce, Maria.
Aidante envers tous, sel de paix éternelle, Maria.
Réparatrice des faibles, médecine très-efficace pour les blessés, Maria.
Illuminatrice des aveugles, lampe salutaire de grâce, Maria.
Allègement des miséreux, condamnés sous le fardeau des vices, et fin de notre misère, Maria.Mediatrix Dei & hominum, & fons vivus indefinenter rivos fundens copisae gratiae, Maria.
Auxiliatrix omnium, & pacis aeternae condimentum, Maria.
Reparatrix debilium, & vulnera-tiae animae efficacissima medicina, Maria.
Illuminatrix peccatorum & lucerna salutiferae gratiae, Maria.
Alleviatrix miserorum, quos damnabiliter moles deprimit vitiorum, finsque nostra miseriae, Maria.

Ladite âme parla encore à la religieuse en moult faible loquence vers la fin, et semblait qu’elle était moult lasse et se hâtait fort, et parlait vitement en dernier (ainsi que m’a dit la religieuse). Tellement que la religieuse avait grand soin de bien écouter ses paroles qui allaient toujours en affaiblissant, et combien qu’elle fut bien près de la religieuse toutefois la voix qui parlait était loin d’elle, parlait comme enrouée, et mieux semblait une personne qui parle comme à l’article de la mort que autrement (ainsi que luy semblait). Adonc lui dit :

— Il est temps que je m’en aille, chère soeur, je prends pourtant congé de vous en vous remerciant de ce que avez fait pour moy, et tous ceux qui s’y sont employés, vous faisant savoir que je prierai notre-seigneur qu’il vous dointdonne grâce, de briefvite venir là où m’envoie. Je recommanderais mes dévotes soeurs et tous ceux qui ont pris travail pour ma délivrance.

La parole lui faillait petit à petit et elle disparut subitement et ne fut plus ouie dès que l’on cogna à la chambre de la religieuse pour aller à matines ; il pouvait bien être près de minuit.

La religieuse demeurait fort consolée des bons propos que luy avait tenu celluy bon-Esprit, et plusieurs autres bonnes paroles lui dit que la religieuse ne peut bonnement souvenir, ou ne le veut dire présentement. Et tantôt se leva et s’en alla à matines ; elle n’eut guère été en l’Église que l’on commençait matines. Les dames, chacune en son degré, tiraient outre en chantant jusqu’au Venite.

Venez, chantons avec allégresse à Iehvah. Poussons des cris de joie vers le rocher de notre salut. Allons au-devant de lui avec des louanges, faisons retentir des cantiques en son honneur, car Iehvah est un Dieu grand, Il est grand roi au-dessus de tous les dieux. Il tient dans sa main les profondeurs de la terre et les sommets des montagnes sont à lui : la mer est à lui, c'est lui qui l'a faite, la terre aussi, ses mains l'ont formée. Venez et prosternons-nous, humilions-nous et fléchissons le genou devant Iehvah notre Créateur ! Car il est notre Dieu, nous sommes le peuple de son pâturage, le troupeau que sa main conduit. Si vous pouviez écouter aujourd'hui sa voix, n'endurcissez pas votre coeur comme à Mériba, comme à la journée de Massa dans le désert où vos pères me tentèrent, m'éprouvèrent, quoiqu'ils voyaient mes oeuvres : pendant quarante ans j'eus cette race en dégoût et je dis, Ce peuple dont le coeur s’égare ne connait pas mes voies ; alors je jurai dans ma colère qu’ils n'entreront pas dans mon repos. Psaumes 95

Quand subitement furent surprises par si merveilleux bruit et cognement qu’il semblait proprement mille personnes être embesognées à faire tel son.

Que vous dirais-je ? Tant fut ce cognement excessif qu’il était d’avis au jugement de chacune des dames, que non seulement tous ceux de Lyon l’entendaient, mais d’aussi lointain pays se pouvait entendre.

À cet instant la religieuse, toute résolue de spirituelle liesse joie débordante, regarde les autres trembler d’incomparable frayeur et pâlissant, se prit doucement à sourire. Chacune se serrait et s’approchait d’elle comme à singulier refuge, et qui se tenait plus près d’elle était plus assurée ; elle qui tant est débonnaire, les consola tantôt bénignement, et les remit en bonne contenance en leur disant :

— Mes bonnes soeurs, n’ayez aucunement peur, car c’est notre soeur Alis de Tésieux qui commence à prendre congé de nous aujourd’hui. Elle sera jointe aux bienheureux de paradis à sauvementau salut. Naguères elle m'a longuement parlé cette nuit et m’a fait savoir son départ. Assurez-vous donc mes dames et soeurs et louez Dieu de tels signes évidents.

À ces paroles tant humbles et gracieuses, la peur des dames s’en alla et elles furent remises en assurance. Ce bruit n’était pas horrible mais tel autrement qui provoquait en chacun admiration et dévotion ; et tant que matines durèrent, les dévotes dames en furent toutes consolées. Ce bon esprit moult se réjouissait qu’il allait aux joyes perdurables, et désirait que chacune des dames en si haute solennité de sa naissance au Royaume célestiel fut participant de sa liesse.

Le 21e mars 1526, jour de fête de st Benoit, le service avait été un peu long et assez prolixe qui se répand abondamment à cause de la solennité de leur patron. Les dames étaient à table au réfectoire et la lecture commencée, quand la bonne-âme de soeur Alix de Tésieux, jadis secrétaine de céans, prochainement d’être reçue en la triomphante cité de Hierusalem et faire son entrée perdurable au Royaume des bienheureux, vint au réfectoire et cogna subitement trente-trois (33) coups bien distincts, séparés l’un de l’autre, si grands et si merveilleux que c’était une chose moult étrange à ouir ; signifiant par ce nombre de trente-trois coups, le temps de sa pénitence changée être mué et abrégé de trente-trois (33) ans en trente-trois (33) jours, par la Clémence divine.

Ensuite au milieu dudit réfectoire parut une lumière si brillante et éclatante, qu’à peine les bonnes dames pouvaient la souffrir supporter, et ladite lumière dura près d’un demi-quart d’heure : elle leur donna tant de joye que merveilles que quand la dernière clarté fut entièrement dissipée, elles allèrent et issirent sortirent dudit lieu promptement à l’Église, avec leur bonne-abbesse, leur grande prieure madame de Tourelles, madame Magdeleine de Grollée, et madame Gabrielle de Dizimieux sous-prieure, et toute cette dévolte communauté, et chantèrent moult dévotement et sagement en présence d’une infinité de peuple assemblé au son de leurs cloches :

Dieu nous te louons, Seigneur nous t’acclamons, Père éternel, toute la terre te vénère. C’est pour toi que tous les anges d’une voix ininterrompue, pour toi que toutes les puissances du ciel, pour toi que les chérubins et les séraphins, chantent : Saint, saint, saint Seigneur Dieu Sabaoth. Les Cieux et la terre sont remplis de ta grande gloire. C’est pour toi que le choeur glorieux des apôtres, toi que le nombre illustre des prophètes, toi que l’armée radieuse des martyrs louent. toi que la sainte église acclame par toute la terre : Père à la majesté infinie, ton unique vrai fils, et aussi le saint Esprit Paraclet, toi Christ-roi de gloire, fils éternel du Père, toi qui a assumé la nature humaine pour délivrer, tu n’as pas redouté la matrice de la vierge, toi qui, en vainquant l’aiguillon de la mort, as ouvert aux croyants le Royaume des cieux, toi assis à la droite de Dieu dans la gloire du Père, toi dont on croit que tu es le juge à venir, nous t’en prions donc : Viens au secours de tes serviteurs que tu as rachetés d’un précieux sang, fais qu’ils soient comptés parmi tes saints dans la gloire éternelle. Te Deum laudamus te Dominum confitémur. Te aetérnum Patrem omnis terra venerátur. Tibi omnes Angeli ; tibi caeli et univérsae potestátes. Tibi Chérubim et Séraphim incessábili voce proclamant : Sanctus, Sanctus, Sanctus, Dominus Deus Sábaoth. Pleni sunt caeli et terra majestátis gloriae tuae. Te gloriosus Apostolorum chorus ; Te Prophetárum laudábilis númerus ; Te Mártyrum candidátus laudat exércitus. Te per orbem terrárum sancta confitétur Ecclésia : Patrem imménsae majestátis ; Venerándum tuum verum et únicum Filium ; Sanctum quoque Paráclitum Spiritum. Tu Rex gloriae, Christe. Tu Patris sempitérnus es Filius. Tu ad liberándum susceptúrus hominem, non horruisti Virginis úterum. Tu, devicto mortis acúleo, aperuisti credéntibus regna caelorum. Tu ad déxteram Dei sedes, in gloria Patris. Judex créderis esse ventúrus. Te ergo quaesumus, tuis fámulis súbveni, quos pretioso sánguine redemisti. Aetérna fac cum sanctis tuis in gloria numerári.

Certes sire, voyez comme ladite âme fut délivrée et sa peine tranchée, muée et arrêtée, par l’autorité que notre-seigneur a donné à son église. Car sitôt que ladite âme fut absoute de peine et de coulpe culpabilité, la justice divine lâcha les griffes, cruelles serres, chaisnes et liens, dont étaient liée cette pauvre âme, qu’il ne fut possible aux puissances infernales de retenir ce que l’autoritéecclésiastique commandait être mis en liberté.

Très-cher sire, très-magnifique et souverain prince, je, votre très-humble orateur et aulmonier, vous supplie qu’il vous plaise de votre bénigne grâce avoir agréable ce petit et mien travail. Et malgré que le langage soit assez rude et mal orné, toutefois il est véritable ; car en tout ce présent traité, je n’écris chose que je n’aye pas ouye par moy-mesme, ou appris sur et par la religieuse même : en par fin à la gloire, honneur, louange, triomphe et magnificence à Dieu, le Père Créateur, le Fils, et le saint Esprit, amen.

Montalembert 1712, La merveilleuse histoire de l’esprit qui apparu au monastere des religieuses de Saint-Pierre de Lyon en 1528. Imprimé par privilège du roy François 1er

···

Quand on m’écrivit de Constance en fin de l’année 1746, c’est parce qu’on entendait des soupirs venant d’un coin de l’imprimerie du sieur Lahart, conseiller de la ville de Constance. Au commencement les garçons de l’imprimerie n’en firent que rire, mais l’année suivante on entendait plus de bruit qu’avant ; ça frappait rude contre la muraille (dans le même coin où on avait entendu les soupirs). On en vint même jusqu’à donner des soufflets aux imprimeurs et à jeter leurs chapeaux par terre. Ils eurent recours aux capucins, qui vinrent avec les livres prévus pour exorciser, et s’en retournèrent ; et le bruit cessa pendant trois jours. Au bout de ce terme, le bruit recommença plus fort qu’avant ; l’âme jetait les caractères d’imprimerie contre les fenêtres. On fit venir de l’extérieur un exorciste réputé qui exorcisa l’âme pendant huit jours (durant lesquels elle donna un soufflet à un jeune garçon, et de nouveau les caractères d’imprimerie étaient jetés sur les vitres). N’ayant pu rien faire, l’exorciste étranger s’en retourna chez lui.

L’âme continua à donner des soufflets aux uns, jeter des pierres et autres objets aux autres, en sorte que les compositeurs furent obligés d’abandonner ce coin de l’imprimerie et se rangèrent au milieu de la pièce ; mais ils n’y furent pas plus en repos. On fit donc venir d’autres exorcistes dont l’un avait une particule de la vraie croix qu’il mit sur la table. L’âme ne se laissa pas d’inquiéter et souffleta si violemment le frère capucin qui accompagnait l’exorciste qu’ils furent tous deux contraints de se retirer dans leur couvent. Il en vint d’autres qui mêlèrent une grande quantité de sable et de cendres dans un sceau plein d’eau, puis ayant béni l’eau ils en aspergèrent dans toute l’imprimerie, et en répandirent aussi sur le pavé. Les assistants se mirent à frapper l’air avec des épées, à droite à gauche, dans toute la pièce, pour voir s’ils pourraient atteindre le revenant, et remarquer s’il laisserait quelque trace de ses pieds sur le sable ou sur la cendre qui couvrait le pavé. On remarqua enfin sur les angles des traces, de pieds et de mains, imprimées là et on s’aperçut qu’il s’était perché sur le haut du fourneau. On vint à bout de le dénicher de là et on s’aperçut bientôt qu’il s’était glissé sous la table (ayant laissé sur le pavé des marques de pieds et de mains). La grande poussière qui s’était levée parmi tous ces mouvements dans l’imprimerie fit qu’on cessa de le poursuivre et chacun se dispersa.

Le principal exorciste avait arraché un aix axe de l’angle d’où le bruit s’était fait entendre et trouva un trou dans la muraille où se trouvaient des plumes et trois os enveloppés dans un linge sale, des morceaux de verre, une aiguille de tête épingle à cheveux. Il bénit un feu qui fut allumé et y jeta le tout. Mais à peine rentré dans son couvent, un garçon de l’imprimeur vint annoncer au religieux que l’aiguille de tête s’était d’elle-même tirée des flammes par trois fois, et le garçon qui remit l’aiguille dans le feu (à l’aide d’une pincette) fut frappé sur la joue avec violence. Les restes de ce qui avait été trouvé furent apportés au couvent des capucins et brûlèrent sans résistance ; cependant, le garçon qui les apporta dit avoir vu une femme nue dans la place publique. Ce jour-là et les suivants, on entendit de grands gémissements sur la place publique de Constance Konstanz.

Après quelques jours, les infestations recommencèrent ; la revenante donnait des soufflets, jetait des pierres, maltraitait les domestiques de différentes manières dans l’imprimerie. Le maître, sieur Lahard, reçut une grande blessure à la tête, et deux garçons furent renversés par terre : on abandonna la maison donc durant la nuit. Un jour de dimanche, une servante qui emportait quelques linges de la maison fut attaquée à coups de pierre. Une autre fois, deux garçons furent jetés au bas de l’échelle. Le religieux qui m’écrit se mit à exhorter ceux qui veillaient dans la maison avec lui de mettre leur confiance en Dieu et d’affermir leur foi ; et on passa la nuit dans la maison. Sur les dix heures du soir, un compagnon de l’exorciste capucin se jeta à ses pieds en larmes et lui avoua avoir été envoyé, par ordre du sieur Lahart, consulter les bourreaux dans le Turgau avec un de ses compagnons, cette même nuit. Cet aveu surprit le capucin qui déclara ne pas pouvoir continuer à exorciser (malgré qu’ils se défendèrent de n’avoir pas parlé aux bourreaux). Le père capucin fit ramasser tout ce qui se trouvait de choses enveloppées et empaquetées dans la maison et les rapporta dans son couvent.

La nuit suivante deux domestiques voulurent passer la nuit dans la maison de l’imprimeur mais ils furent renversés de leurs lits et contraints d’aller coucher ailleurs. On fit venir un paysan du village d’Ahnaustorf Naustorf qui passait pour bon exorciste. Il passa la nuit dans la maison, buvant et chantant ; mais il reçut des soufflets ainsi que des coups de bâton, et fut obligé d’avouer qu’il ne pouvait rien contre cette âme. On appela le curé de Valburg Hollande qui passait pour habile exorciste. Il vint accompagné de quatre curés séculiers non-réguliers et continuèrent durant trois jours les exorcismes, sans succès. Il se retira dans sa paroisse en imputant l’inutilité de ses prières au peu de foi des assistants. Cependant, un des quatre curés fut frappé d’un couteau et d’une fourchette, sans être blessé, et le fils du sieur Lahart reçut un coup de cierge pascal sur la mâchoire, sans aucun mal. À son tour, la veuve d’un bourreau se présenta pour des exorcismes. Elle usa de fumigations fumées dans tout le logis pour en chasser le mauvais ; mais avant qu’elle eut terminé, voyant le maître du logis se faire frapper au visage et au corps, elle se sauva hors sa maison sans demander son salaire. On fit alors venir les bourreaux du voisinage. Deux de ceux qui allèrent les quérir furent battus et accablés de pierres, un autre se sentit la cuisse extrêmement serrée en sorte qu’il en fut incommodé assez longtemps. Les bourreaux ramassèrent avec soin tous les paquets et tout ce qu’ils trouvèrent d’enveloppé dans la maison et en mirent d’autres à la place ; mais l’âme les retira et les jeta sur la place publique. Par la suite, les bourreaux persuadèrent le sieur Lahart de rentrer dans sa maison avec ses gens (ce qu’il fit). La première nuit durant le souper, un des ouvriers nommé Salomon fut blessé au pied avec grande effusion de sang. Quand on envoya chercher le bourreau, il parut fort surpris que la maison ne fut pas entièrement délivrée, et au même instant lui-même reçut une grêle de pierre, des soufflets, et autres coups qui le contraignirent promptement de se sauver. Deux hommes de Constance étant entrés dans la boutique du libraire par pure curiosité, l’un fut aussitôt renversé par terre, l’autre se sauva au plus vite. Un autre y étant entré de même par curiosité reçut une quantité d’eau qu’on lui jeta au corps. Une fille d’Ausbourg, parente du sieur Lahart imprimeur, en fut chassée à grands coups et poursuivit jusque dans la maison voisine où elle se réfugia. Les infestations cessèrent le 8e jour de février 1748 après 420 jours. Ce jour-là, la revenante ouvrit la porte de la boutique avec dérangements et sortit en refermant la porte ; et depuis ce temps, on n’y a rien entendu.

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CES ÂMES DE VOLEURS | Duparay 1862, Pierre le-vénérable abbé de Cluny au XIIe siècle, p.147

C‘est pourquoi toute une population, avide de paix, accueillit Humbert comme un envoyé de Dieu, et l’appela de tous ses voeux et désirs. Et déjà la preuve qu’on n’eut pas tort de concevoir des espérances : en peu de temps il apaisa si bien les guerres qui grondaient dans notre contrée, calma si bien par sa seule parole le bruit des camps et le tumulte des gens d’armes, que la crainte qu’il inspira rétablit la paix parmi eux et rendit la sécurité aux églises et aux pauvres qui redoutaient leur tyrannie. Déjà les marchands sur les places publiques, les laboureurs dans les champs, n’eurent plus rien à craindre. Déjà presque toute cette contrée située entre la Saône et la Loire goûte les douceurs d’une paix qui semble la couvrir de ses bienfaisants rayons. Un tel secours était rare, et plus souvent la tyrannie et l’oppression avaient champ libre, le voleur marchait la tête haute et le front levé, les nobles exerçaient leurs rapines avec autant d’audace que s’ils le faisaient sans crainte ni danger ; s’ils peuvent bien échapper à la justice humaine, la Justice divine leur impose des châtiments terribles après leur mort, quelquefois pendant leur vie. Le monastère est faible et les moines impuissants à repousser les violences qu’on exerce contre eux, mais Dieu veille sur les siens et un jour inévitable et terrible viendra où la justice sera faite contre les violences des oppresseurs.

Guichard de Beaujeu, à peine mort, ne tarda pas à reparaitre pour faire savoir qu’il endurait les plus cruelles peines, et que les bonnes oeuvres de son fils ne pouvaient pas à elles seules le délivrer. Bernard le-gros, détrousseur de grand chemin, n’échappa pas aux flammes vengeresses : après sa mort il revint annoncer qu’un feu dévorant consumait ses membres ; il n’a pas d’autre espoir de salut que par la clémence miséricordieuse de l’abbé de Cluny dont il fut l’ennemi spoliateur voleur sur terre. Guillaume de Mâcon, le comte tyran des monastères, et des églises, écoutez ce qu’il advint : Un jour de fête, le comte étant assis dans son palais de Mâcon, entouré d’une foule de soldats et gens de différentes qualités ; un inconnu franchit à cheval la porte du palais en présence de tous les assistants étonnés. Arrivé près du comte, le cavalier inconnu lui annonce qu’il veut lui parler et lui donne l’ordre de se lever et de le suivre. Entraîné par une force invisible, contre toute résistance, le comte marche jusqu’à la porte du palais où il trouve un cheval qu’il doit monter sur ordre de l’inconnu. À peine en a-t-il-saisit les rênes que le cheval part aussitôt, il se met à voler à travers les airs aux yeux de tous, malgré les clameurs et les cris lamentables du comte. Les habitants qui accourent l’entendent crier au secours. Ils virent le comte suivre ce cavalier en chevauchant en l’air jusqu’à perte de vue. Il disparut à jamais de la vie des hommes (en compagnon des démons).

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PURIFICATION PAR LE FEU | Dantier 1867, monastères bénédictins d’Italie, vol.1, p. 296 h Martin 1834, Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en juillet 1830 par les principaux historiens, p.127

Quand un moine du 9e siècle nommé Vétin Wettin tomba malade, il vit une légion de démons entrer dans sa cellule, emportant ce qu’il faut pour les préparatifs à un mort (il comprit que sa fin était proche) ; effrayé à leur aspect, il s’adressa vivement à Dieu et à ses saints et aperçut aussitôt des personnes vêtues d’habits religieux, s’avançant avec gravité, qui chassèrent les démons. Et un ange entouré de lumière entra, s’approcha de son lit et il lui prit la main pour le relever et le conduire sur un chemin agréable, le long d’un large fleuve de feu où grand nombre de pécheurs gémissent dans les tourments d’après la gravité de leurs péchés. Il reconnut plusieurs hommes et femmes qu’il avait connus, certains brûlaient attachés sur des poteaux : un moine adonné à l’avarice, qui avait amassé l’or, expiait son péché dans un cercueil de plomb jusqu’au dernier jugement ; certains prélats ecclésiastiques qui eurent comme seule considération leurs intérêts terrestres en leurs évêchés, et parmi eux l’empereur Charle Carloman [751‒771] jeune frère de Charle Magne, fils du roi Pépin : leur purification par le feu allait se terminer. Puis l’ange conduit le moine au séjour des bienheureux. Il y aperçut les élus de Dieu placés dans les parvis éternels léhastérot Iehvahלְחַצְרוֹת, d’après leurs mérites honorables, ainsi que notre-seigneur a dit : Il y a plusieurs demeures dans le Royaume de mon Père. (Jean 14:2). Lorsque Vétin revint à lui, il rapporta le détail de sa vision à son monastère et on l’écrivit, en prose d’abord puis en vers (prose par l’abbé Heiton, en vers par Walafrid Strabon, religieux de la même abbaye). Puis Vétin dit qu’il n’avait plus que deux jours à vivre. Et après s’être recommandé à ses frères religieux, pour leurs prières, il mourut au couvent d’Aiguebelle le 31 octobre de l’an 824.

Vision de Vétin, moine de l’abbaye bénédictine de Reichenau, Constance,AL En 824, avant de mourir, ayant enseigné avec succès au monastère, Vétin rêva qu’un ange le transportait près d’un grand fleuve de feu où des personnes étaient plongées en multitude infinie, et reconnut certaines d’entre elles ; notamment des évêques simoniaques trafic de vente et d’achat des choses saintes, biens spirituels ou charges ecclésiastiques, des prêtres incontinents non chastes, adonnés à la chair, ainsi qu’un grand prince naguère souverain d’Italie et de Rome condamné à tellement de souffrance. L’ange dit que les bonnes oeuvres de ce prince n’avaient pas racheté ses nombreuses fautes commises contre la pureté des moeurs observation des règles morales. Charle aurait eu mauvaise grâce de n’avoir pas réprouvé sévèrement chez autrui des faiblesses qu’il partageait, la passion immodérée pour les femmes, c’est l’unique reproche qu’on puisse adresser à sa vie privée. Plus tard, encore transporté en esprit dans le purgatoire, le moine Vétin vit l’empereur Charle au fond de ce triste lieu où il devait expier ses plaisirs coupables sous la griffe d’un vautour. Martin 1834, Histoire de France : depuis les temps les plus reculés jusqu’en juillet 1830, par les principaux historiens, p.127

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FIL LUMINEUX | Paris 1837, Les grandes chroniques de France, vol.3, p.59 h Bouquet 1870, Recueil des historiens des Gaules et de la France, vol. 7, p.148, mss de l’abbaye de St-Germain-des-prez nos 603, 646, ms 5296 Bibliothèque du Roi

Vision que vit l'empereur Charles le-gros [839‒888, Allemagne], roi de France et d'Italie, comment il fut ravi en esprit dans les tourments de l’enfer, comme lui-même raconte, comment l’esprit retourna au corps, et que ce advint avant qu’il meurt. C’est ici qu’il convient de retracer les grands dons et grands bénéfices qu’il fit à l’Église en son vivant, pour l’honneur et l’amour des glorieux martyrs, avant de nous évertuer à mettre la merveilleuse vision que notre-seigneur voulut qu’il eut en sa vie, pour son amendement, comme dit de sa propre bouche : nous ne devons pas l’oublier pour mettre en ordre les faits de sa vie.

Par le don de notre-seigneur, de Charles le-gros, roi de Germanie, patrices des romains et empereur de France. Ici à la tierce personne. Après le service des matines de la nativité de notre-seigneur, s’étant couché pour se reposer, au point qu’il dut s’endormir, une voix moult horriblement descendit à lui, qui lui dit :

— Ton esprit maintenant partira de ton corps et sera mené en un lieu où il verra les jugements de notre seigneur et les signes des choses qui sont à advenir ; et après un peu d’heure retournera au corps.

Sitôt fut ravi son esprit, et celui qui le ravit était une chose très-blanche qui tenait un luisant luissel peloton de fil, aussi resplendissant que la trace de ce que nous voyons au ciel, que les gens croient que ce soit étoiles voie lactée. Lors cette chose blanche dit :

— Prends le chef bout de ce fil, lie-le fermement au pouce de ta main destre droite, car je te mènerai par lui au lieu des peines d’enfer.

Et quand il eut dit cela, il s’en alla devant lui en distordant le fil du luissel resplendissant et le mena en par très profondes vallées qui étaient pleines de puits embrasés, remplis de poix, de soufre, et de plomb, et de cire.

En ces puits, il trouva les évesques et les prélats qui furent du temps de son père et ses aieulx. Alors il leur demanda en grande peur pourquoi ils souffraient si gravement des tourments. Ils lui répondirent :

— Nous avons été évesques de ton père et de tes aieulx, quand nous aurions dû amonester avertissement accompagné souvent d'un jugement sévère ou d'un blâme la paix et la concorde entre les princes et leur peuple, mais nous avons semé et épandu les discordes et les guerres : nous avons été causes et émouvemens de mouvoir, mettre en mouvement de maulx. Et pour ce ardons-nous de enharder, lier avec une corde à ces tourments, et nous, et ceux qui aimions homicides et rapines meurtres et vols. Et sache qu’ici viendront tes évesques et tes gens qui orendroit encore se délitent travaillent à te faire des maux.

Et endementrespendant qu’il les écoutait en grande paorpeur et en grande angoisse, il vit venir des diables noirs qui avaient de grands crocs de fer embrasé, qui s'efforçaient moult durement de sachierattacher et de tirer à eux le fil qu’il tenait : mais ils ressortirent et reculèrent arrière, ne le pouvaient atteindre pour la grande clarté qu’il rendait. Alors ils coururent derrière et le voulaient sachierattacher à cros, et trébucher dans les puits embrasés ; quand celui qui le conduisait jeta le fil en doublant par-dessus ses épaules, et le sacha attacha fermement après lui.

Lors ils montèrent une haute montagne de feu. Au-dessous du pic de ces montagnes sourdaient des palus bourbiers et fleuves tous bouillants de toutes manières de métaux. En ces tourments il trouva des âmes sans nombre, des princes de son père et de ses frères plongés dedans aussi, l’un jusqu’aux cheveux, l’autre jusqu’au menton, et l’autre jusqu’au nombril. Alors ils commencèrent à crier et hurler, disant :

— Charles ! Pour ce que nous amasmes rassembler des masses à faire homicides et guerres et rapines par convoitise terrienne au temps de ton père et de tes frères, et du tien même, pour cela nous sommes en ces fleuves bouillants punis par les tourments de divers métaux.

Tandis comme il entendait en grande paor et en grande tribulation d'esprit ce qu’ils lui contaient, il vit par derrière soi les âmes qui trop horriblement criaient :

— Les puissants puissamment souffrent tourments.

Lors se retourna et vit sur la rive du fleuve des fournaises en fer remplies de dragons et de serpents, de poix et de soufre, et là il reconnut aucuns quelques-uns des princes de son père et de ses frères, et des siens même, qui commencèrent à lui crier :

— Kalle. Ha ! Tu vois comment nous sommes tourmentés pour notre malice et pour notre superbe, et pour les desloyaux mauvais conseils que nous avons donnés à nos rois, et à toi-même, par desloyauté et par convoitise.

Et comme il écoutait ce en grande douleur et grand gémissement, il vit accourir contre lui de grands dragons, les gueules ouvertes pleines de feu et de poix et de soufre pour l’engloutir. Il fut en trop grande paor et celui qui le conduisait lui jeta le tierce déployment du fil par-dessus les épaules, qui était si clair et resplendissant que les dragons furent surmontés et éteints par sa clarté ; et il commença fortement à sachier attacher après lui.

Lors ils descendirent en une vallée merveilleusement grande ; en une partie était si obcure et ténébreuse et où il y avait grand rez bucher de feu ardent ; une partie était en soi resplendissante et si délicieuse qu’il n’est nul qui le peut conter ni retraire. Se tournant alors devers la partie qui était obcure, il vit quelques rois de son lignage qui souffraient là grands tourments. Il eut trop merveilleusement grand paor, car il présuma tantôt être plongé en ces tourments par grands jaians géants noirs et horribles qui embrasaient ces fournaises de cette vallée de diverses manières de feux.

Comme il était en cette grande paor, à la clarté du feu qui sortait du fil, il vit son feu qui enlumina un des côtés de cette vallée en un point de lumière, éclairant deux fontaines courantes ; l'une était merveilleusement chaude bouillante, l’autre claire tiède, aussi étaient illec deux tonneaux. Alors il regarda à la clarté du fil et vit son père le roi Loys sur le tonel tonneau en l’eau bouillante, dedans l’eau bouillante jusqu’au gros des cuisses. Alors ses pères moult tourmentés et aggravés lui dirent :

— Kalle Charles, beau fils, n'aie crainte. Je sais bien que tes esprits retournent encore à ton corps et que notre-seigneur t’a donné grâce de ça en venant pour que tu voies pour quels péchés moi et les autres souffrent tels tourments.

Un jour je suis en ce tonel plein d’eau bouillante, un autre jour suis mis à tremper en cet autre qui est d'eau tiède. Cette grâce que me fait notre-seigneur par les prières de st père Pierre, st Denys et st Rémi, par lesquels trois notre royale lignée a régné jusqu’ici.

En ce tu veux m’aider, toi et tes évesques et tes abbés et tous les ordres de la sainte église, en messes, en oblations offrandes, en vigiles veilles, en psalmodies psaumes et en aumônes ; et je serais tôt délivré du tourment de ce tonel d'eau bouillante : puisque par les mérites du st père Pierre, de st Denys et st Rémi, mon frère Lothaire et son fils Loys sont déjà délivrés de ces tourments et portés en la joie du paradis.

D’après ce que lui dit de regarder à senestre gauche, il se tourna et vit deux grands toniaus pleins d’eau bouillante.

— Ceux-ci, dit-il, te sont apareillés si tu ne t’amendes pas et si tu ne fais pénitence de tes dolereus péchés.

Lors il eut grand paor. Et quand ses conduisierres conducteur vit qu’il était à tel mesaise malaise, il lui dit :

— Viens après moi à la destre droite partie de la délicieuse vallée de paradis.

Quand il l’eut mené là, il vit son oncle Lothaire assis à grande clarté avec les autres glorieux rois sur un topaze merveilleusement grand, et était couroné d’une précieuse couronne, son fils Loys qui delez à côté de lui assis aussi couronné. Quant il vit Kalle, ainsi l'appela et il dit moult doucement :

— Kalle mon successeur, qui maintenant est le tiers après moi en l’empire des romains. Viens près de moi. Je sais bien que tu es venu par les tourments où ton père, mon frère, est tourmenté en bains bouillants, mais il sera tôt délivré de ces peines par la miséricorde notre-seigneur - comme nous sommes aussi par les mérites de st père Pierre et par les prières de st Denys et st Rémi à qui notre-seigneur a donné grand pouvoir d’apostre sur tous les rois et sur toute la gente de France. Et s’ils ne soutenaient et gardaient notre lignée, elle faudrait cèderait assez tôt. Saches que l’empire sera assez tôt oté de tes mains et que tu vivras désormais assez peu de jours.

Alors Loys se retorna vers lui et il dit :

— L’empire des romains que tu as tenu jusqu’ici doit par droit recevoir après toi à Loys le fils de ma fille.

Et quand il eut dit cela, il lui sembla qu’il vit devant lui cet enfant Loys ; et Lothaire son aieul le prit et dit ainsi :

— Tel est cet enfant comme était celui que notre-seigneur établit au milieu de ses disciples quand il leur dit : À tel est le règne des cieux. Adonc, lui dit Lothaire, rend-lui maintenant le pouvoir de l’empire par ce fil que tu tiens en ta main.

Alors Kalle délia le fil de son pouce, et par le fil lui rendit la monarchie de tout l'empire. Et tout maintenant le luissel du fil resplendit comme un rai de soleil qui s’amoncela, tout en la main de l’enfant. Après ce fait, l’esprit de Kalle retourna au corps moult las et moult travaillé.

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RIGOUREUSE JUSTICE | Butti 1711, Vie et miracles de st Nicolas archevêque de Myre, livre 6e, c.VI, p.501 | Welters 1882, Denys le Chartreux, vie et ouvrages, p.38

Récit d’un moine anglais que Pierre le-vénérable abbé de Cluni et Denis le-chartreux ont partagé. Denis le-chartreux assure que st Nicolas [270‒343, Lycie] avait été vu diverses fois dans le purgatoire consoler les âmes qui l’avaient honoré dans leur vie et délivrer de ces peines pour les conduire dans la Gloire éternelle avec lui. Il rapporte aussi que durant un ravissement, du jeudi saint au vendredi Pâque, st Nicolas conduit un moine anglais dans divers lieux du purgatoire et lui fit voir les horribles tourments que les prisonniers subissaient (afin que la vision de ces châtiments de la rigoureuse justice de Dieu soit un aiguillon guide pour avancer dans la perfection de son état). Alors moine, j’avais st Nicolas [280‒345] pour guide lorsqu’il me fit découvrir, au bout d’un chemin plat, un immense espace peuplé de défunts, qu’on tourmentait d’affreuses manières. J’entendis que c’était le purgatoire, et que ces gens-là n’étaient pas damnés mais leur supplice finirait avec le temps. Dans les gémissements ces malheureux pleuraient profusément. Un peu plus loin j’aperçus une vallée où coulait un fleuve de feu, d’où s’élevaient des tourbillons d’une hauteur considérable. Il faisait au bord de ce fleuve un froid si glacial, impossible à concevoir, et st Nicolas qui me conduisait me fit remarquer combien de malades s’y trouvaient et que c’était encore le purgatoire.

Plus avant, nous sommes parvenus en enfer ; c’était comme un champ sec recouvert de très épaisses ténèbres, entrecoupé de ruisseaux bouillants de soufre. On ne put faire un pas sans marcher sur de très gros insectes difformes dont le feu sortait de leurs narines. Là le supplice des coupables est d’être tourmenté par les démons qui les attrapaient avec des crochets et les jetaient ensuite dans des bouilloires, pour les faire dissoudre dans des matières liquides ; on leur rendait ensuite leur forme et de nouvelles tortures commençaient. Tout se faisait en bon ordre et chacun était tourmenté suivant son crime.

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D'ÉNORMES POIDS AUX TALONS | Guizot 1823, Collection des mémoires de France, de Normandie par Orderic Vital, p.322 | Vitalis 1845, Historiæ ecclesiasticæ libri tredecim, libri tredecim, p.373

Moine bénédictin, et chroniqueur anglais, Orderic Vital [1075‒1142] a retenu cette belle histoire de son temps. En l’an 1091 de notre-seigneur, peu avant le remarquable mouvement en Europe qui décida la première croisade, un prêtre de la ville de Bonneval, en Beauce France, nommé Gauchelin Galchelmus fut appelé pour admi-nistrer un malade de la campagne dans la nuit, en début janvier. Il se rend promptement et donne au malade les derniers recours, et consolations suprêmes de la religion chrétienne. Au chemin du retour, en un lieu coupé de ravins comme il y en a tant en Beauce et loin de tout habitat, il entend le vacarme d’une grande armée, que ce pouvait être les gens de Robert de Bellême allant assiéger l’Église de Courci. La lune à son 8e jour d’avril jette un vif éclat - ce qui rend le chemin facile, le jeune prêtre s’émeut à entendre cette marche, bien que hardi et de grande taille, incertain s’il doit fuir pour ne pas se faire dépouiller par une vile soldatesque, ou s’il doit déployer la vigueur de son bras dans le cas où il est attaqué. Apercevant quatre néfliers dans un champ, il souhaite s’y cacher promptement mais un homme d’une stature démesurée, et armé d’une large massue, le devance et dit en levant son arme par-dessus sa tête :

— Arrête-toi. N’avance plus !

Glacé d’effroi, le prêtre s’immobilise, appuyé sur son bâton. L’homme à la massue se tient près de lui sans mal, attendant le passage de l’armée. Vint à passer une grande troupe de fantassins qui portent au cou et aux épaules des moutons, des habillements, des meubles et ustensiles de toutes sortes, comme les brigands ont coutume de faire, néanmoins, tous gémissent et s’encouragent à redoubler de vitesse. Parmi eux, le prêtre reconnait plusieurs voisins récemment morts ; il les entend se plaindre de la cruauté des supplices qu’ils endurent à cause de leurs crimes. Le colosse rejoint la troupe de ceux qui portent des cercueils, une cinquantaine, chacun soutenu par deux porteurs, où sont assis dessus des nains à la tête aussi grosse qu’un tonneau. Deux lugubres personnages portent un énorme tronc d’arbre sur lequel quelqu’un est enchaîné ; il hurle à cause de la cruauté qu’il endure ; il y a un démon qui lui frappe les reins et le dos jusqu’au sang, de ses éperons enflammés. Gauchelin reconnut le meurtrier du prêtre Étienne. Il le voit souffrir d’une manière insupportable pour le sang innocent (il y avait deux ans qu’il était mort avant de faire pénitence pour ce grand crime). Vint ensuite passer une troupe innombrable de femmes à cheval, assises sur des selles percées de clous brûlants ; le vent les soulève d’une coudée ±50 cm et les fait aussitôt retomber ; les clous font souffrir leur chair horriblement écorché de piques brûlantes. Elles hurlent :

— Hélas ! Hélas !

Elles avouent publiquement les péchés qu’elles souffrent, punies par le feu et la puanteur (et plus encore). Elles confessent d’une voix plaintive les douleurs qu’elles endurent pour s’être livrées sans retenue aux plaisirs obscènes durant leur vie. Le prêtre Gauchelin reconnait quelques femmes de noblesse, il voit aussi des poneys, des mules avec litière de plusieurs femmes encore vivantes. Il voit passer une nombreuse troupe d’ecclésiastiques ; des moines et leurs supérieurs, des évêques portant la crosse pastorale bâton de pasteur, des abbés vêtus de capes noires, des moines avec un capuchon de même couleur : tous se plaignent et gémissent. Quelques-uns l’interpellent par son nom et le supplient de prier pour eux en raison de leur ancienne amitié. Il voit beaucoup de gens de grand respect, considérés saints par la population : Hugues évêque de Lisieux, les abbés Mainier de Uticensem et Gerbert de Fontinellensem et d’autres.

La perpétuelle lumière éclaire toutes choses de la sainteté parfaite dans le Royaume de l’éternelle Béatitude : rien de désordonné ne s’y opère, aucune souillure ne s’y introduit, rien ne s’y rencontre d’impur ni contraire à l’honnêteté. Tout ce que la sciure charnelle a conservé d’inconvenant est consumé par les feux du purgatoire qui purgent, par diverses épurations, selon les dispositions de l’éternel juge. Comme un vase placé dans le trésor qui a été nettoyé de la rouille qui s’en détache, soigneusement purifié dans toutes ses parties, ainsi nette de la contagion du vice, l’âme est admise au paradis où elle se réjouit sans crainte en possession de la félicité.

Tremblant, appuyé sur son bâton, le prêtre Gauchelin s’attend à des choses encore épouvantables quand il voit une grande armée s’avancer. Le noir et un feu scintillant dominaient tous ces cavaliers armés au combat, montés sur des chevaux gigantesques. portant des enseignes noires. Parmi eux Richard et Baudouin, les fils du comte Gislebert Ricardus et Balduinus, filii Gisleberti morts depuis peu, ainsi que d’autres sans nombre dontLandri d’Orbec Landricus de Orbecco tué cette année. Ce dernier s’adresse au prêtre dans d’horribles cris et le prie instamment de se charger de porter ses ordres à sa femme. Mais les troupes qui suivent et celles qui précédent l’empêchent de parler, et disent à Gauchelin :

— Ne croyez pas Landri, cet imposteur ! Vicomte d’Orbec et avocat, il s’éleva au-dessus de sa naissance par le mérite de son âme, puis il a jugé tout au gré de son caprice et des présents qu’il reçut dans les affaires des plaidoiries : adonné au mensonge cupide plus qu’à l’exercice de la justice, il a prononcé des jugements injustes. C’est à bon droit qu’il est voué à la honte des supplices, et appelé menteur en public par ses complices. Personne de cette troupe ne le flatte, ni n’est séduit par son ingénieuse éloquence. Comme il lui était coutume de fermer son oreille au cri du pauvre tant qu’il pouvait, maintenant il est tourmenté de détestation et indigne d’être entendu.

Voyant ces nombreux chevaliers passer, le prêtre dit en lui-même : Sans doute est-ce la maison Herlechini Hennequinque j’ai entendu dire les avoir vus. Je moquais cela mais maintenant je vois vraiment les âmes de ces morts… Personne ne croira sans preuve, à moins de saisir un de ces chevaux qui suivent pour l’amener le montrer à mes voisins. Il prit un cheval noir par la bride mais il se dégagea vigoureusement de la main qui voulut le saisir et s’enfuit vers la troupe des lugubres ; voyant un autre cheval venir, le prêtre tendit sa main et saisit les rênes, mit la main sur la selle et le pied à l’étrier, mais il sentit une vive chaleur sous son pied et un froid glacial sous sa main. Quatre effroyables cavaliers surgirent en hurlant terriblement, disant :

— Aucun de nous ne vous fait de mal, pourquoi vous saisir de nos chevaux ? Si vous saisissez ce qui nous appartient vous allez venir avec nous !

Le prêtre lâche le cheval en voyant trois des chevaliers qui veulent le prendre, et le 4e chevalier dit :

— Laissez-le ! Laissez-moi lui parler. Je veux me servir de cet homme pour transmettre mes ordres à ma femme et à mes enfants. Je vous prie de m’écouter, dit-il au prêtre, et de rapporter à ma femme ce que je lui demande.

— Je ne sais pas qui vous êtes, je ne connais pas votre épouse, dit le prêtre Gauchelin.

— Je suis Guillaume de Glos Guillelmus de Glotis, fils de Barnonis, autrefois fameux sénéchal chargé de l’adm. et des domestiques de Guillaumede Breteuil et son père le comte Guillaume William de Hertford : J’ai commis toutes sortes de larcins criminels contre les mortels, tant péché que je ne peux rapporter… Le plus que je suis tourmenté, c’est à cause de l’usure, pour avoir prêté à un pauvre et reçu son moulin en gage : j’ai retenu ce gage toute ma vie et l’ai laissé à mes héritiers, dépouillant ainsi celui qui devait en hériter par succession légitime. Voyez ce fer rouge du moulin que je porte à ma bouche… il est sans doute plus pesant que la tour de Rouenlieu où Jeanne d’Arc fut emprisonnée. Dites à Béatrix ma femmeillégitime et mon fils Roger de me porter vite assistance en restituant le gage au successeur légitime, car ils ont déjà reçu plus que ce que j’ai prêté, dit le chevalier.

— Guillaume de Glos est mort depuis longtemps, et le message que vous voulez me charger ne saurait être accepté par un fidèle. Je ne sais qui vous êtes, ni qui sont vos héritiers… Si je prenais sur moi de raconter de telles choses à Roger de Glos ou à ses frères, ou à leur mère, ils riraient de moi comme d’un insensé, dit le prêtre.

Cependant Guillaume le pria en insistant fortement et prit le soin de se faire connaître par de nombreux signes remarquables. Le prêtre fit semblant d’ignorer, puis il consentit vaincu par tant de sollicitudes, et promit de se charger du message (Guillaume fit un long récit de tout ce qu’il voulait demander par le prêtre, cependant ce dernier dit qu’il n’oserait dire à personne les messages détestables de ce trépassé).

— Je ne rapporterai à personne ces choses qui ne sont pas convenables de faire connaître !

Guillaume entra aussitôt en fureur et saisit la gorge du prêtre, l’entraînant avec lui à terre avec des menaces. Sentant un feu brûlant de la main qui le saisit, le prêtre cria dans l’angoisse :

— Sainte Marie, glorieuse mère du Christ, secourez-moi !

Notre-seigneur manifesta son assistance des ordres du Tout-Puissant et aussitôt un chevalier vint en brandissant une épée à la main comme s’il voulait frapper, disant :

— Pourquoi frapper mon frère, vous maudits ! Laissez-le et partez.

Les chevaliers rejoignent sitôt le lugubre rassemblement et reprennent leur marche. La troupe partie, le chevalier étant resté sur le chemin avec le prêtre, lui demande :

— Me connaissez-vous ?

— Non, dit Gauchelin.

— Je suis Robert le-blond, fils de Raoul Rodbertus filius Rodufi cognomentoBlondi. Je suis votre frère.

Piqué par cet imprévu, le prêtre se met à douter de tout ce qu’il vient d’entendre et voir, mais le chevalier évoque des particularités de leur enfance bien connues de lui, en nombre et en tout point remarquable, bien que le prêtre nie tout (il se rappela parfaitement mais n’osa en convenir ouvertement).

— Je m’étonne de la dureté de votre stupidité, dit le chevalier. Après la mort de notre père et mère, je vous ai nourri, vous aimant plus que tout au monde ; je vous ai envoyé aux écoles de France, vous ai fourni abondamment en vêtements et argent, cherchant à vous être utile de bien des manières. Et vous faites semblant de ne pas vous souvenir, daignez même ne pas me reconnaître ?

Après des explications véridiques si abondantes, enfin convaincu des faits, le prêtre éploré convint publiquement de ce que dit son frère, le chevalier. Ce dernier ajouta :

— Après notre entretien en Normandie où j’ai pris congé de vous, je passais en Angleterre par ordre du Créateur pour compléter ma carrière ; j’y ai souffert d’affreux supplices à cause des péchés dont j’étais surchargé. Ces armes de feu que nous portons ont une intolérable puanteur qui nous fait souffrir, leur poids excessif nous accable, et nous brûlons d’une chaleur que rien ne peut éteindre. J’ai souffert jusqu’ici des supplices que je ne saurais rapporter… Mais lorsque vous avez été ordonné prêtre en Angleterre et que vous avez chanté votre 1e messe aux défunts, les peines que votre père Raoul endurait lui furent soustraites, et moi aussi je fus libéré du bouclier qui m’accablait. Voyez le poids de cette épée que je porte, je m’attends avec confiance d’en être débarrassé dans un an. Vous auriez dû mourir de bon droit et souffrir avec nous les peines que nous endurons pour avoir porté la main, par un courage criminel, sur des choses appartenant aux morts (nul autre que vous n’a eu l’audace de faire chose pareille). Mais la messe que vous avez chantée aujourd’hui au mourant vous a sauvé de la mort, et il m’a été permis de vous apparaître pour vous faire connaître ma misère.

Le prêtre prêtait maintenant grande attention aux choses que le chevalier disait, et remarque à ses talons, près des éperons, un grumeau de sang de la forme d’une tête humaine.

— Qu’est-ce cette boule de sang à vos talons ? demande Gauchelin.

— Ce n’est pas du sang, c’est du feu dont le poids m’est plus lourd que le mont Saint-Michel. Je porte ces énormes poids à mes talons, car je me servais d’éperons fort-pointus pour répandre le sang plus vite, dit le chevalier. J’en suis tellement accablé que je n’arrive pas à décrire mon supplice. Les mortels devraient penser à ces choses-là de crainte de s’exposer par leurs fautes à d’affreux châtiments. Mon frère, Il ne m’est pas permis de vous entretenir plus longtemps, je suis forcé de suivre en hâte cette déplorable troupe ; mais souvenez-vous de moi, je vous prie, secourez-moi par des prières pieuses et des aumônes pour que de Pâques fleuries à d’ici un an j’ai espérance d’être sauvé, délivré de tous mes tourments par la clémence du Créateur. Quant à vous, occupez-vous de votre sort et usez de prudence, en vue de corriger votre vie, car sachez qu’elle est souillée de plusieurs vices et ne sera pas longue. Gardez silence maintenant, taisez-vous sur les choses que vous avez entendues et vues de manière inespérée, n’ayez pas l’audace d’en parler à personne d’ici à trois jours.

À ces mots le chevalier partit précipitamment. Le prêtre resta malade toute la semaine, puis en vue de se rétablir il se rendit à Lisieux où il rapporta à l’évêque Gislebert ce qu’il avait vu, point pour point. Il obtint de lui les remèdes nécessaires et par la suite il vécut bien portant près de quinze ans. C’est de sa propre bouche que j’ai appris ce que je viens d’écrire, j’ai vu aussi sa figure meurtrie du toucher de l’effroyable chevalier Guillaume de Glos.

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GRANDE PUANTEUR | Bland 1925, Autobiography of Guibert, Abbot of Nogent-sous-Coucy, (latin, Dom Luc D'Achery, 1651) | Migne 1853. Patrologiae latina, p.879 (Ven. Guiberti: De vita sua) | Guizot 1825, Histoire des croisades de Guibert de Nogent & sa vie, livre 1, c.18

Guibert, abbé de Nogent-sous-Couci ven. Guiberti, abbatis st Mariae de Novigento [1053‒1124] venait d’une puissante famille d’un village du diocèse de Beauvais France ; il perdit son père, Everard Everardus, n’ayant encore que huit mois et sa mère se retira dans un monastère lorsqu’il eut douze ans, quand il entra dans l’abbaye de Saint-Germer. En 1107, alors historien bénédictin, moine de l’ordre de Saint-Benoit, Guibert de Nogent écrit l’histoire de la première croisade des francs dans Gesta Dei per Francos, les Actes de Dieu par les francs, ainsi que sa vie où on retrouve la révélation divine que sa mère reçut.

Ravie de mes heureux progrès, mais redoutant pour moi les égarements de l’âge, ma mère me pria sans cesse que je suive son exemple (elle, que Dieu avait donné tant de beauté, se moqua bien des louanges que le mérite attache à la beauté, et chérit le veuvage en raison de sa répulsion aux douloureux devoirs de femme). Pourtant O seigneur, tu sais quelle loyauté, quel amour elle rendit à son défunt mari ; les sacrifices quotidiens, en prière et en larme, l’aumône non négligeable dont elle s'efforçait sans cesse pour libérer son âme qu'elle savait être en prison en raison des péchés… Par la merveilleuse disposition de Dieu, il advint qu’elle eut de fréquentes visions des douleurs endurées dans son purgatoire.

On ne pourrait douter de telles visions venant de Dieu, lorsqu'aucun trait pervers, ni prétention sur la beauté de la vraie vie, mais seul un adon à la prière et à l'aumône à la vue des souffrances et du châtiment. Quand le recours aux divins offices sont clairement sollicités par les morts et par les anges même qui se préoccupent des fidèles défunts, cela prouve suffisamment que ces choses viennent de Dieu (car les esprits impurs ne conseillent pas à l'homme de sauver son âme). Ainsi à ces signes annonçant les flammes qui tourmentent les âmes, l’attention de sa bonne âme s’alluma de nouveau dans un effort constant d’intercession envers son défunt mari.

Un été, aux matines, après une nuit d’un dimanche, allée se reposer sur son petit banc et tombée endormie, son esprit quitta son corps (sans perdre ses sens), elle fut aspirée comme dans un couloir (et sachant avoir quitté son être mortel, sa prière à Dieu fut de l’autoriser à retourner dans son corps). Enfin sortie du couloir, elle approcha au bord d'un gouffre. Elle vit des êtres bondir hors des profondeurs, les cheveux pleins de vers qui tendaient la main pour se saisir d’elle et l’entraîner dedans. Elle en fut effrayée, mais derrière elle une voix leur cria :

— Ne la touchez pas.

Déboutées par cet ordre, les ombres replongent aussitôt dans le puits. Ma mère voit alors mon père sortir. Il a les mêmes traits que lorsqu’elle se maria avec lui. Elle lui demanda s’il était Éverard, son regretté mari. Mais mon père répondit par la négative, et pourtant ma mère en était certaine. Elle lui demanda alors où il habitait, et il fit comprendre qu’il n’habitait pas loin, puis il lui découvre le bras, ainsi que le côté, pour montrer combien ils étaient si déchirés et meurtris de lacérations. Elle lui demanda si la prière, l'aumône, et la messe lui apportaient quelque soulagement (vu qu'elle l'offrait fréquemment pour lui) ; il répondit que oui. Mon père dans sa jeunesse s’éloigna de la relation légitime avec ma mère par les mauvais conseils de gens, qui voulaient qu’il ait de possibles relations avec d'autres femmes ; il suivit leurs conseils et eut un enfant qui mourut avant de se faire baptiser. (Par le déchirement du côté, on entend la rupture du voeu de mariage, et par les cris stridents de l'enfant, le péché transmis par le parent. O Seigneur, bonté inépuisable, car tel est ton châtiment sur l'âme du pécheur). Ma mère aperçut aussi un jeune enfant qui pleurait très amèrement et dit :

— Seigneur, comment peux-tu supporter les pleurs de cet enfant ?

— J’endure, que je veuille ou non.

Ma mère, qui se consacrait à apporter de l'aide à mon père, prit conscience que les cris d'enfant de la vision s'accordaient aux faits.

Similia ergo, similibus objectans, aux similitudes, même remède. Elle choisit donc un enfant de quelques mois ayant perdu ses parents, décidée de se soumettre à tout inconvénient qui en découlerait. Le haineux de toutes bonnes intentions des fidèles, harcela ma mère (autant que les servantes) par les pleurs enragés de l'enfant ; on pouvait à peine dormir dans la même pièce que lui la nuit (les recrues infirmières secouaient le hochet nuit après nuit) ; mais le jour fut bon pour jouer et dormir tour à tour. Plus ma mère endurait l’épreuve du nourrisson irrité, plus l’emprise des démons sur son mari était combattue.

Everard lui dit aussi :

— Mais en votre vie quelque Leodegard Leodegarius.

Elle comprit à ce nom et pratiqua cela comme lui fut demandé en mémoire dudit Leodegard.

Par la suite ma mère aperçut, au-dessus du gouffre, un certain chevalier Rainold Rainaldum, de réputation insignifiante, qui fut tué en ce même jour de dimanche par les chanoines de Balvaci Belvaci Beauvais. Dans la vision, il était à genou, les joues saillantes en avant, entassé, d'où un feu s’élevait. Effectivement, il décéda à midi, condamné dans les flammes qu'il avait allumées par ses désertions (ma mère fut avertie le jour même de la mort du chevalier et son assignation au bas lieu du châtiment). Elle vit également une aidante, morte longtemps après mon frère l’enfant qui crie, qui avait prêté serment de manière abominable par le saint-sacrement du divin corps et sang (on entend par là jurer en vain, prenant à faux le saint nom des mystères sacrés).

Dans la même vision, elle aperçut une vieille femme qu’elle connaissait (et avec qui elle avait vécu), qui de son vivant mortifiait s’infliger souffrance en condition de pénitence sans cesse son corps par des croix, mais uniquement de l'extérieur. Il fut dit à ma mère qu’elle n’avait pas été assez sur ses gardes contre l’envie de vaine gloire.

Sur le point de mourir, la vieille femme se vit avec d'autres aller dans un temple (semblant porter une croix sur les épaules), arrivée au temple en cette compagnie, les portes lui furent fermées, ce qui la contraint de rester à l'extérieur. Elle vit aussi au pied de son lit un diable d’une horrible forme, aux yeux redoutables, et de taille monstrueuse, à qui elle dit de fuir par le saint-sacrement. Cet accusateur fut mis dans la confusion et repoussé (ceci au moment même de sa mort). Du vivant de cette vieille femme, elles avaient discuté de la mort et s’étaient engagées d’apparaître à la survivante, suivant le bon plaisir de Dieu, pour faire connaitre sa condition, bonne ou mauvaise ; elles confirmèrent cela dans une prière, qu'après la mort, l'une ou l'autre se découvrirait par révélation ou vision. À sa mort, ma mère vit cette femme comme une ombre se faire emporter par deux esprits noirs. Quelqu'un d'autre l’a aperçue au milieu d'une grande puanteur ; elle la remerciait de ses prières pour lui avoir épargnée le supplice la décomposition.

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CAVERNE DU PURGATOIRE | Morner 1917, Le purgatoire de st Patrice de Bérol | Montalvan 1677, Vida y Purgatorio de San Patricio, cap. 6

En Irlande Hybernie du 4è siècle, les barbares habitués de pillage et de sang vols et assassinats étaient sans retenue, ni raison, et c’est grâce à une prodigieuse merveille qu’ils se convertirent en cours de vie de Patrick [372‒496, Écosse], au point que le siècle qui suivit, cette petite île d’Irlande fut appelée l’île-des-saints Saint’s Islandparce qu’elle couvrit l’Europe toute entière de missionnaires convertis.

Sur cette île située au coeur de l’Irlande, près du lac Loch Dearg, c’est là que Patrick était demeuré, où il se retira pour méditer dans une caverne, et prier Jésus de lui préparer un peuple. Il prêcha à ces barbares idolâtres que ni les menaces de l’enfer, ni les promesses du paradis n’émouvaient.

— Montre-nous ce que tu annonces ! lui criaient-ils.

Il pria Dieu de lui accorder les preuves de ce qu’il disait à ce peuple. Et leur disait plein de confiance :

— Au nom du Dieu tout-puissant que j’annonce, va invoquer mon Dieu du fond de cette caverne pour qu’il t’ouvre les yeux et que tu crois…

Le barbare entra dans la caverne : il vit, et il crut. Les nombreux pèlerins se rendent à la caverne l’appellent la caverne du purgatoire ou la caverne de Patrick.

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Au début 15è siècle, lorsque le savant moine Denis le-chartreux [1402‒1471, Belgique] rapporta ce récit dans son traité du purgatoire, on fit fermer la caverne en 1497 à cause de quelques scandales ; elle fut réouverte peu d’années après et la croyance y habite toujours. Des quelques récits de pèlerins encore conservés [Owein Oenus en 1153 ; Ramon de Perellos en 1397], on retrouve Ludovico Enio dans la vie de Montalvan, qui avait passé sa jeunesse dans les grands désordres : Lorsqu’il quitta la France pour revenir en son pays d’Irlande, la providence le conduit aux environs de la caverne. Il se décida de tout faire pour expier ses péchés sur terre et entra dans la caverne. Durant les vingt-quatre heures qui suivirent, il vit des hommes souffrir, flagellés des mains de tortionnaires bourreaux, d’autres dans le feu ou la glace, d’autres cloués à terre, attachés à des roues, aussi encerclés par des reptiles. À la sortie de la caverne, ses cheveux étaient devenus blancs (il choisit de finir ses jours dans un monastère).

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ÂMES COUVERTES D'UN CILICE | Dante 1321, Commedia dell'arte h De Plancy 1862, Légendes de l’autre monde pour servir à l’histoire

Neuf cercles ou régions, c’est ainsi que le poète philosophe Dante Durante degli Alighieri [1265‒1321, Italie] divise le purgatoire et l’enfer à l’époque du moyen-âge : le purgatoire est donc le second royaume après la terre où l’âme humaine subit sa purification, avant d’être jugée digne de monter au ciel – à moins que la purification de l’âme se soit produite sur terre, de manière volontaire. Voici la descente au purgatoire de Dante présentée par Collin de Plancy [1794‒1881, France].

Après la visite de l’enfer, Dante se rend au purgatoire guidé par un ange, tandis que des anges chantent le beau psaume, In exitu Israel de Aegypto :

Quand Israel sortit d’Égypte, que la maison de Jacob s’éloigna du peuple barbare, Judah devint son sanctuaire, Israel fut son domaine. La mer rouge le vit et s’enfuit, le Jordan retourna en arrière, les montagnes sautèrents’élevèrent comme des béliers, les collines comme des agneaux ! Qu’as-tu mer à t’enfuir, et toi Jordan à retourner en arrière ? Qu’avez-vous montagnes pour sauter comme des béliers, et vous collines comme des agneaux ? La terre tremble devant le Seigneur, devant le Dieu de Jacob qui change le roc en étang, le roc en source d’eaux. Psaumes 114

En quittant la barque, Dante voit les âmes pâlir d’étonnement par la vue d’un vivant respiré. Il aperçoit l’âme de Casella [1250‒1299, Italie] compositeur musical, un de ses amis, qu’il veut embrasser par trois fois mais les ramène vides. Une foule d’âmes viennent à lui sans marcher, étonnées de voir un vivant, il rencontre Manfred le roi excommunié [1232‒1266, Sicile] dernier roi de Sicile, excommunié par trois papes successifs qui lui dit :

— Quand mon corps fut percé par deux coups mortels, je me confiai en larmes à celui qui pardonne même les horribles péchés. Car l’infinie Bonté de Dieu a de si grands bras qu’elle prend tous ceux qui se tournent vers lui. Il est bien certain que celui qui comme moi meurt envers la sainte-église par contumace condamné à mort en l'absence de l’accusé, bien que repenti à la fin, doit rester dehors c’est-à-dire au purgatoire trente fois plus de temps qu’il a persisté dans son obstination - à moins que cet arrêt ne soit abrégé par des prières secourables.

Manfred le prie de le recommander aux prières de sa fille Constance de Sicile, épouse du roi Pierre III d’Aragon. Partout on fait de pareilles demandes, et ce ne sont encore que les alentours du purgatoire. Il y a des préparatifs expiatoires à faire pour certains pécheurs avant d’être admis dans l’enceinte autre niveau du purgatoire.

Il aperçoit Pierre de BrosseBroce [1230‒1278, France] surnommé le-camus, indigne favori de Philippe le-hardi [1245‒1285, France] 2e fils de st Louis (IX) et Marguerite de Provence. La Brosse voulut perdre Marie de Brabant mais son crime fut reconnu et on le fit mourir par pendaison. Il rencontre Philippe le-hardi qu’il accuse de lâcheté, et d’autres princes qu’il traite mal en général. Il aperçoit Rodolphe de Habsbourg [1218‒1291, Allemagne] roi des romains 1273-1291 à qui il reproche de n’avoir pas guéri toutes les plaies d’Italie.

Arrivé au mur d’enceinte du second domaine du purgatoire (on monte plutôt que descendre comme en enfer), à la porte se tient un portier une épée en main dont les traits éblouissent la vue, et il y a trois marches couleurs blanc, vert et rouge. Assis sur le seuil de pierre de diamant, faisant office de portier, est un ange de Dieu. À son humble demande d’ouvrir cette porte, l’ange trace sept P portes sur son front avec la pointe de son épée, en disant :

— Fais-en sorte que ces traces disparaissent en ce lieu sacré.

Il tira de sa robe cendrée deux clefs qu’il tenait de st Pierre et poussa par-devant la sainte porte en disant :

— Entrez, mais sachez qu’ici celui qui regarde en arrière est condamné à sortir.

Il rencontre des malades qui transportent de lourdes pierres, qu’ils ne peuvent pas déposer. Il nomme des italiens (inconnus hors de leur pays). Il monte vaillamment, s’étonne de se trouver si léger. Virgile lui dit :

— Quand les P sur ton front (déjà presque effacés) auront entièrement disparu, tes pieds ne sentiront plus la fatigue.

Il entend au loin des âmes couvertes d’un grossier cilicetissu de poil porté en pénitence qui prient en gémissant et se soutenant les unes les autres, les paupières cousues afin que leurs âmes ne voient pas : c’est par ce châtiment et les fouets que l’envie s’expiait dans ce centre. On trouve des toscansde Toscane dans plusieurs hymnes, et au 20e hymne du purgatoire, Dante voit Hugues Capet [939‒996, France] roi des francs 987‒996, chef de cette suite de rois capétiens qui ont gouverné la France jusque dans notre siècle : il le fait fils d’un boucher de Paris et le place avec les avares. Le 9e hymne aussi traite assez mal des princes français.

— Je vois les Fleurs-de-lysé entrer dans Anagni et le Christ prisonnier en la personne de son vicaire que j’aperçois une fois encore livré à la dérision, et où se renouvelle le vinaigre et le fiel entre deux larrons vivants que je vois mourir.

C'est la lutte odieuse du pape Boniface VIIIBenedetto Caetani [1230‒1303] contre Philippe le-bel [1268‒1314] le nouveau Pilate selon Dante : ce pape meurt entre les deux larrons Nogaret et Colonna. Au 22e hymne, Dante rencontre le poète Stace[40‒96, Italie], à la joie de Vigile qui prit son modèle dans l’énéide, sans l’égaler : il se réjouit de voir son maître, qui lui confesse être au purgatoire pour n’avoir pas osé se déclarer disciple de Jésus, dans le règne des empereurs qui persécutaient la vraie foi ; bien qu’il reçut le baptême et fut chrétien avant de faire son poème thébaïde : il était depuis longtemps en purgatoire pour expier sa lâcheté. On vit plus loin les gourmands subir la faim et la soif. Après avoir compati envers d’autres âmes malheureuses dans les flammes et autres épurations, les pèlerins entrèrent dans une campagne gracieuse où sont réunies les âmes qui ont fini leur pénitence, et ils entendirent chanter :

— Venez, bénis de mon Père !

Vingt-quatre vieillards (Apocal.4:10) apparurent couronnés de fleurs de lys, marchant deux à deux, puis quatre animaux avec des couronnes de feuilles vertes, chacun ayant six ailes recouvertes de plumes, elles-mêmes couvertes d’yeux : entre eux s’avance un char de triomphe entouré des bienheureux venus du ciel.

L’espérance est une attente certaine de la gloire future que produisent la grâce divine et le mérite précédent. De plusieurs étoiles me vient cette lumière mais celui qui fut le suprême chantre du chef suprême la versa le premier dans mon coeur. Qu’espèrent en toi, dit-il, ceux qui connaissent ton nom ? Et qui ne le connaît s’il a ma foi. Lamennais 1910, Divine comédie, chant xxv

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CATERINA | De Bussierre 1854, Les oeuvres de sainte Catherine de Gènes | De Plancy 1862, Légendes de l’autre monde pour servir à l’histoire

Un jour que Caterina Fieschi[1447‒1510, Italie] surnommé Caterina da Genova Catherine de Gênes se trouva si grièvement malade au point que les médecins désespéraient pour sa vie, ne trouvant aucun remède qui pût la soulager, elle reçut une lumière d’en haut qui lui fit savoir que trois communions suffiraient pour lui rendre une parfaite santé. Le père confesseur lui administra ce remède divin et elle se trouva entièrement guérie après la 3e communion. Le 22 mars 1473 marque la date où Dieu révéla à Caterina da Genova, âgée de 26 ans, un accablant sentiment d'amour pour elle, et se convertit dès cet instant et lui voua son entière dévotion. Caterina commence ainsi son traité sur le purgatoire.

···

Feu d’Amour divin que la grâce a allumé dans mon coeur ! Il me fit comprendre la nature et la manière des tourments du purgatoire. Ce feu d'amour efface les taches de mon âme afin qu'au sortir de cette vie (me trouvant entièrement purifiée), mon Dieu veuille m'admettre en sa présence. Voilà ce qu'opère ce même feu du purgatoire en les âmes qui n’ont pas été entièrement purifiées : il dévore les taches du péché qui les déforment afin de leur donner cette pureté qui leur ouvre ensuite la porte du paradis.

L’âme qui n’est pas nette comme lorsqu’elle a été créée, voit un empêchement qui peut lui être ôté au moyen du purgatoire : elle va volontairement s’y jeter bien que la peine qu’elle va subir soit extrême (aucune langue qui peut l’exprimer, ni aucune intelligence le saisir si Dieu ne lui découvre) ; la grandeur de la peine est égale à l’enfer. L’expiation des âmes du purgatoire s’allège par l’intercession des vivants.

L'origine et fondement de toutes les peines vient du péché originel, puis le péché présent dans la volonté de l'homme opposée à la Volonté de Dieu ; le péché continue d'exister tant que cette mauvaise volonté persiste.

Ceux qui perdent la vie dans cette condition sont damnés ; leurs péchés ne sont pas remis, ni ne pourront l'être, car la mort a rendu cette volonté inchangeable, et l'âme se fixe à jamais dans le bien ou dans le mal au moment de sa mort d’après sa volonté ; c'est le moment décisif où Dieu la juge.

La sentence est irrévocable une fois prononcée : l'âme demeure éternellement dans la position où la mort l’a trouvée, car la liberté s’arrête avec la vie. Voici la différence entre les âmes en purgatoire et les âmes damnées :

- Si la mort surprend les âmes dans l’amour de leurs péchés, elles seront damnées et plongées aux enfers ; il n'y aura pas de fin de la coulpeculpabilité, ni de la peine, leur supplice sera éternel même si leurs souffrances ne sont pas autant qu'elles mériteraient.

- Pour ceux qui ont reconnu leur culpabilité, et ont eu leurs fautes effacées par une sincère pénitence, les prisons du purgatoire les garderont que pour la peine qui leur reste à faire, qui va s'abréger avec le temps.

Tenez pour certain que Dieu ne fait aucune remise aux âmes qui ont mérité leur peine : elles ne sortent de leurs cachots qu'après avoir payé la dernière obole de ce qu'elles doivent à sa justice. Dieu l'a voulu et décrété ainsi.

Il est dit au mauvais, meurt, il est dit au bon, vit : je te jugerai comme tu seras trouvé. Malefa-cienti dictum est, morieris ; bene agenti dictum est, vives, et ubi invenero, ibi te judi-cabo.De anima corpore jam exuta, Hugo Etherianis [1115-1182, Italie]

 

Des conversations

Redonner joie à une âme est plus beau que rendre les gens heureux.

 

MES CONVERSATIONS AVEC LES PAUVRES ÂMES | Journal de la princesse Eugénie von der Leyen, du 9 août 1921 au 17 décembre 1928.

1921

9 août 1921 à5 h, j’ai vuUNE NONNE debout dans le jardin entre deux arbres qui semblait m’attendre. J’ai alors pensé que c’était une religieuse que je connaissais et me dépêchais d’aller à sa rencontre, mais elle disparut soudainement sans laisser de trace. J’ai refait la route pour voir si ça pouvait être un jeu d’ombre, mais à l’espace à l’endroit des arbres était le même.

13 août. Je l’ai revue, elle est venue à ma rencontre sur la route qui mène à l’Église.

19 août. Je l’ai vue passer à côté de moi dans le jardin et j’ai clairement vu qu’elle avait l’habit Mallersdorf.

25 août. Vue dans les escaliers de l’oratoire pièce aménagée à l'usage d'une communauté pour la prière.

30 août. Elle m’attendait à l’entrée de la porte de l’oratoire.

11 septembre. Vue dans le jardin.

14 septembre. À l’oratoire, avant la sainte messe, j’ai vu un reflet dans la fenêtre devant moi et pensé que la fenêtre derrière moi était ouverte et bougeait, et quand je me suis retournée elle était juste derrière moi. J’ai très bien vu son visage aux grands yeux noirs comme une personne vivante (non livide) avec une expression de tristesse ¦, elle ressemblait àune silhouette sans bras et était très près de moi ‡.

17 septembre. Dans le jardin à côté de moi.

19 septembre. Je jouais au ballon avec un enfant quand elle est passée au milieu. J’ai dû avoir un air effrayé car le garçon m’a demandé ce que j’avais vu.

22 septembre. Elle était assise sur les escaliers de l’oratoire.

2 octobre. Je cueillais des fleurs quand elle était devant moi, immensément grande, mais je ne me décidai pas à lui parler. Et quand je pris courage, elle était déjà repartie.

7 octobre. Elle est venue dans ma chambre. Je me suis réveillée avec une étrange sensation et j’ai allumée la lumière, elle était à côté de mon lit. Je ne pouvais pas parler ‡, je me suis défendue avec de l’eau bénite. Elle est passée au-dessus moi et a disparu dans le mur. Quelle panique…

11 octobre. À 10 h quand je suis allée me coucher, je ne pensais pas du tout à elle car je m’amuse beaucoup en cette période de chasse. J’ai allumé la lumière de ma chambre et elle était là. Je suis passée devant elle prendre l’eau bénite, je l’ai aspergée, et j’ai demandé :

— Que voulez-vous de moi ?

Elle m’a regardé droit dans les yeux et a dit sans même ouvrir la bouche :

— Je ne vous ai pas envoyé 20 marks pour les missions.

Je ne peux dire si sur le moment j’ai fait signe que oui ou si j’ai promis de fournir, mais elle fut contente et très près de moi, comme si elle voulait me dire autre chose. J’étais impressionnée ‡, je l’ai aussitôt aspergée d’eau bénite, puis elle a disparu par la fenêtre. J’ai très bien pu me reposer par la suite. Les 20 marks ont été remis aux missions et des messes ont été célébrées pour les pauvres âmes du purgatoire.

12 octobre-3 novembre. J’avais une grande joie et la paix lorsque je suis allée me coucher à 11 h. J’ai vu ma chambre éclairée de l’intérieur et pensé que quelqu’un avait laissé la lumière électrique allumée. J’entrai et voici, la nonne au même endroit que la dernière apparition, à la seule différence qu’il émanait d’elle une telle lumière que sa robe noire semblait couverte de splendeur et l’expression de son visage brillait plus encore. Ses yeux avaient certainement vu le bon Dieu ; elle me regardait avec un sourire bienheureux, son visage était comparable à une opale (je ne trouve pas d’autre expression), et pour la première fois je voyais ses mains, croisées sur sa poitrine. Je fus joyeusement surprise et pétrifiée en même temps que je n’ai pu dire que :

— Quel est votre nom ?

Elle a fait le signe de la croix avec joie, puis elle devint sombre et elle partit. Sa taille m’a semblé plus grande que d’habitude et elle ne se tenait pas sur le sol non plus. Ainsi, la lumière n’était pas restée allumée : l’illusion est à exclure, car personne ne peut ressentir ce que j’ai ressenti. Ce fut la dernière apparition de la nonne, peut-être qu’elle a ouvert mes sens pour une autre vision. [9 août—3 novembre 1921]

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27 décembre 1921, j’ai vu le curé SCHMUTTERMEIER venir à ma rencontre dans le jardin, il était comme un chiffon (aucune erreur).

 1922

9 janvier.Lecuré Schmuttermeier m’attendait à l’oratoire, il n’était pas beau à voir.

— Monsieur le curé ? Puis-je vous aider ?

Il m’a demandé de vite faire célébrer une messe. Je l’ai revu le même jour en soirée.

25 janvier. Je l’ai revu pour la dernière fois le soir lorsque j’étais à l’Église. Une manche blanche d’accès au confessionnal était suspendue, j’étais étonnée puisque l’Église était vide mais j’ai pensé que des gens viendraient. Je me suis agenouillée sur un banc pour réfléchir si je n’en profiterais pas pour me confesser aussi. Environ cinq minutes plus tard, j’ai entendu la porte du confessionnal s’ouvrir et le curéSchmuttermeier en sortir, il m’a dépassée en me souriant amicalement et a remonté l’allée du milieu, puis il s’est agenouillé devant l’autel, sous la lampe. Au bout d’un moment, le sacristain est venu sonner l’Angélus clochette qui annonce la messe, j’avais l’impression qu’il tombait sur le curé, bien que la lumière était allumée et qu’il pouvait très bien tout voir. Je pouvais tous deux les distinguer : c’était étrange comment le sacristain pouvait passer à travers le curé, son apparence était comme une mosaïque à carreaux. Après son départ, je ne l’ai pas revu. [27 décembre 1921–25 janvier 1922]

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4 février. À 9 h du matin ¦UNE DAME est venue à ma rencontre, elle portait une sombre robe à col de dentelle blanche et un bonnet à bord large à la mode des années 1850.

17 février. De nouveau sur l’escalier.

Mars-avril. Je suis allée à Oberostendorf où une de mes proches parents était décédée et j’ai logé dans sa cham-bre (que je n’avais jamais vue). Étant allée me promener dans un pré, je l’ai vue venir à ma rencontre : elle était très échauffée et me souriait en portant un râteau sur les épaules. Je n’en croyais pas mes yeux, elle était comme toujours, j’aurais crié de joie si je n’avais pas été avec d’autres. Et elle a aussitôt disparu. Je n’en ai pas parlé. Quand je suis retournée dans la maison et dit où je suis allée, ils ont dit :

— Oh, Ortensia aidait toujours une pauvre dame à ramasser du foin là.

Ortensia semblait ne pas avoir besoin de ma prière, j’ai plutôt vu cette apparition comme un signe, car j’avais une grande confiance en elle. Je lui avais écrit cette histoire sur la nonne, lui laissant la liberté d’y croire ou pas, elle avait répondu qu’elle ne pouvait croire sans d’abord parler avec moi. Cela n’arriva pas puisqu’elle est morte.

21 mai. Jour de retour à la maison. J’ai vue la dame entrer dans la bibliothèque du deuxième étage. De retour de la communion du dimanche, j’ai eu le courage de la suivre, j’ai ouvert la porte de la bibliothèque, elle était là devant à moi comme si elle m’attendait. J’ai demandé :

— Qui êtes-vous ?

Maria Schönborn (je n’ai pas connue cette grand-tante soeur de grand-parent).

— Que voulez-vous de moi ? Pourquoi ne pouvez-vous avoir la paix ?

— J’ai péché là.

Elle a disparu. J’ai beaucoup prié pour elle, je ne l’ai plus jamais revue. [(†1856)4 février—21 mai 1922]

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4 juillet. Première fois que j’ai vu ONZE OMBRES. Je les ai aperçues sur la terrasse en avant, au bas de la montagne vers la brasserie, elles paraissaient comme des colonnes de brouillard de différentes tailles. Quelques fois elles passent très près de moi, on ne distingue pas de personne, mais une enveloppe de brouillard qui ressemble à des asperges géantes. Je les vois si souvent que je n’écris pas de date, mais à la fête de la Nativité Visitation, après la messe du matin, ils sont venus très près de moi et je leur ai dit :

— Si vous êtes des âmes, priez l’enfant Jésus.

Ils se sont fermés d’un coup, comme un couteau de poche, et sont partis. Étrange, car ils n’avaient eu aucun réaction à tout ce que je leur avais dit jusqu’à présent.

1923

31 janvier 1923. J’ai passé quelques jours dans une chambre du troisième étage. Une fois, lorsque je me suis regardée dans le miroir en journée, j’ai vu sortir une tête de femme, et quand je me suis retournée, une DAME EN ROSE se tenait derrière moi, mais elle est repartie aussitôt. Sa robe était du 16e siècle. J’ai été frappée du fait que sa coiffure ne concordait pas avec la robe. Le soir je me suis couchée avec un pressentiment peu agréable, j’ai entendu dans la pièce vide d’à côté une voix qui parlait (si vous l’entendez une fois, vous n’oublierez jamais). J’ai bien dormi jusqu’à 3 h mais je me réveillais dans un sentiment de peur, je savais qu’elle était là. J’ai allumé la lumière, elle était là, et près d’elle à la porte se tenait un homme en tenue de cavalier. Je me suis dirigée vers l’eau bénite, et j’ai demandé :

— Qui êtes-vous ?

— Barbara.

— Que voulez-vous ?

Elle a mis un doigt sur ses lèvres et m’a fait signe de sortir, c’était si naturel que j’ai eu honte de sortir du lit devant l’homme. Quand ils sont sortis, j’ai alors remarqué la blessure en arrière du cou de Barbara, d’où l’étrange coiffe de ses cheveux. Je me suis bien gardée d’aller avec eux. Quand ils sont sortis, j’ai regardé en arrière et les ai vus entrer dans la pièce vide, présumée être une chambre à coucher, qui était verrouillée.

5 février. J’étais occupée à l’étage, et dans le couloir voici, Barbara entra de nouveau dans la chambre. J’ai couru descendre prendre la clé pour la suivre, je l’ai trouvée adossée au mur qui m’attendait. J’ai demandé :

— Êtes-vous Barbara von Landau ?

Nous avions regardé l’histoire dans l’intervalle et il y avait une Barbara.

— Oui.

— Voulez-vous prier avec moi ?

Elle hocha la tête que oui avec un regard dur. J’ai récité Anima Christi.

ÂME DU CHRIST sanctifiez-moi. Corps du Christ sauvez-moi. Sang du Christ enivrez-moi. Eau du côté du Christ lavez-moi. Passion du Christ fortifiez-moi. O doux Jésus exaucez-moi. Cachez-moi dans vos plaies. Ne permettez pas que je sois à toujours séparé de vous. Défendez-moi contre la malice de mes ennemis. Appelez-moi à l'heure de ma mort et ordonnez-moi d'aller avec vous afin que je louange avec vos saints dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. ANIMA CHRISTI, sanctifica me. Corpus Christi, salva me. Sanguis Christi, inebria me. Aqua lateris Christi, lava me. Passio Christi, conforta me. O bone Iesu, exaudi me. Intra tua vulnera absconde me. Ne permittas me separari a te. Ab hoste maligno defende me. In hora mortis meae voca me. Et iube me venire ad te, Ut cum Sanctis tuis laudem te in saecula saeculorum.

Quand j’ai dit, eau du côté du Christ lave-moi, elle s’est mise à pleurer de désespoir et sanglotait dans ses mains. Puis elle m’a de nouveau regardé avec des yeux perçants et elle est partie vers la tour. Je ne l’ai pas revue depuis longtemps car je ne monte plus. Puis un peintre est venu à l’étage et nous montons souvent le voir, mais je ne vois pas Barbara.

21 février, 1 h du matin, je me réveille avec la nette sensation que Barbara et l’homme se tiennent là. J’allais me mettre en colère, car je me sentais en sécurité au rez-de-chaussée. J’ai dit :

— Pourquoi ne restez-vous pas à l’étage ?

— Les gens ne peuvent pas voir.

Je demande à l’homme :

— Comment vous appelez-vous ?

— Tomas, répondit Barbara.

— Que voulez-vous encore de moi ?

— Une sainte messe.

J’ai prié avec eux. Puis j’ai dit :

— Ne venez plus. Je vous promets qu’on priera pour vous.

Ils sont alors partis et je ne les ai jamais revus. [(†1600) 31 janvier—21 février 1923]

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Je m’étonne de la force que les âmes émanent pour me réveiller du plus profond sommeil. Et au réveil, ce qu’il y a de particulier c’est que je comprends subitement ce qui m’attend. Une apparition dans le noir est encore exclus, j’ai même essayé une fois pour Barbara, j’ai fermé les yeux, mais rien à voir. Il y a eu une autre apparition en même temps que Barbara.

1 février 1923. Alors que je me trouvais avec le cuisinier dans le garde-manger, tout à coup DEUX FEMMES se tenaient parmi nous : je reconnaissais Crescente notre cuisinière qui est restée 42 ans chez nous, qui mourut en 1888 ; et à côté d’elle une étrangère avec un air peu agréable. Crescente avait un très bel aspect exactement comme dans la vie, très sympathique.

3 février. Deux jours plus tard, je les ai rencontrées dans le couloir du bas, mais je n’ai pu leur parler car il y avait quelqu’un avec moi.

24 février. Réveillée à 4 h, j’allume la lumière et la voici avec l’étrangère à côté de mon lit. J’ai dit :

— D’où viens-tu, chère Crescente ?

— De l’espace.

— Comment m’as-tu trouvée ?

Elle a fait un mouvement en l’air avec sa main. Je leur ai dit :

— Ne venez plus vers moi. Je vous promets qu’on priera pour vous. Remerciez Jésus Christ.

Elle est partie et l’étrangère aussi. [1 février—24 février 1923]

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28 février. À 4 h 30, UNE INCONNUE arrive en panique et ne reste pas plus de 10 minutes. Je lui donne de l’eau bénite et cela lui plaisait. Elle n’a bougé pas et regarde avec colère ‡ (je ne sais pourquoi elle ne dit rien), et enfin elle part. Elle était pauvrement habillée d’un foulard et un tablier d’ouvrière, elle ne m’est pas agréable et me fait penser à la femme que j’ai vue dans A. lieu. Je crains cette expression de femme dévergondée (je ne peux pas l’exprimer différemment).

3 mars. Il est 2 h du matin, je me réveille avec le sentiment de savoir ce qui m’attend (mais je suis si lâche que je n’allume pas de suite la lumière). Mais le Seigneur Dieu me donne de force et je l’allume. Et voici, le repoussant visage de l’inconnue quasi courbé sur moi. Elle s’écarte.

— Au nom de Jésus, je vous ordonne de me répondre, pourquoi venez-vous autour ?

— J’ai retiré mon bébé du chemin.

— Comment vous appelez-vous ?

— Margarete.

— Une sainte messe sera célébrée pour vous, je ne vous oublierai pas. Vous n’avez plus besoin de venir.

J’ai prié avec elle, puis elle a disparu. [28 février—3 mars 1923]

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Pénible à supporter mais c’est comme Dieu le veut. Dans la journée je me sentais mieux disposée s’ils devaient venir. Dans le domaine, j’ai vu trois fois une FEMME DE LA VILLA aller et venir avec un air d’une tristesse inoubliable. Je l’ai interrogée et elle a répondu :

— Personne ne prie pour moi.

Pas de réponse aux autres questions. L’apparition n’a pas duré longtemps. On ne m’avait pas dit que je devrais prier pour elles. Prier est aussi un soulagement pour moi, j’ai ensuite moins peur.

11 mars. J’étais au lit à 11 h du soir quand quelque chose est entrée. Je pensais que c’était ma soeur et n’ai pas allumé la lumière, mais j’ai aussitôt senti ce que c’était, MICHAL le menuisier et ancien sacristain se trouvait à la porte (je ne sais pas quand il est mort). Je lui ai aussitôt dit :

— Menuisier Michal, que voulez-vous de moi ?

Il a crié et a disparu. C’est mon bébé maintenant dont je dois m’occuper. Il vient tous les soirs (il fait peur si on ne sait pas quoi faire de lui), il reste une demi-heure de 4 à 4 h 30 à marcher dans la pièce en soupirant pas très joliment. Le Seigneur l’aidera.

13 mars. 11 h 30 mardi, il est de retour. Je lui dis :

— Une messe sera célébrée pour vous samedi, laissez-moi en paix. Qu’avez-vous fait ? Répondez une bonne fois.

— Vol sacrilège voler une église. (il a crié).

— Je peux vous aider ?

Il acquiesce puis il disparaît.

21 mars.VIKTOR est venu vers moi dans la nuit et m’a regardé avec tristesse. Il n’a donné aucune réponse et est parti.

22 mars 1923. Réveillée à 1 h, je me suis entendu dire :

— Voulez-vous les aider comme m’avez-vous aidé ?

Ayant allumé la lumière, j’ai vu le curé Schmuttermeier à côté de mon lit. Il était déjà parti. Je ne peux pas dire pourquoi avec certitude, mais pour la première fois j’ai vu ce qui était là, de NOMBREUX HOMMES ET FEMMES, je ne pouvais compter combien, Viktor aussi de retour. C’était très lourd ¦ mais ils sont vite partis.

23 mars. Le soir encore, ils étaient seize et ils sont restés longtemps.

— Nous prions pour vous, vous ne devez plus venir.

Viktor a répondu :

— Nous le devons.

— Et qui le veut ?

Sans réponse. Ils se sont tous un peu arrêtés pour me regarder, puis ils sont partis. Ils viennent chaque nuit, rien à faire avec eux. Je prie, et après un moment ils partent.

26 mars. Ils ne sont que neuf.

— Où sont les autres ?

Je n’ai pas obtenu de réponse. Ils sont neuf maintenant et viennent chaque soir, ce n’est pas lourd. Je prie, et après un moment ils partent.

29 mars.Les seize encore ici ¦. UNE PARMI EUX s’est approchée de moi et m’a dit :

— Merci !

Elle m’a tendu les deux mains (que je n’ai eu pas le courage de toucher). J’ai demandé :

— Pouvez-vous faire Pâques au ciel ?

— À la lumière très clairement.

Elle n’a rien dit d’autre. Elle était très jeune avec une expression amicale, portant une robe noire et un foulard blanc. [22—29 mars 1923]

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Puis ils sont venus, tous incommodés, près de moi, je les ai aspergés d’eau bénite et ils ont disparu. Étrange que les seize occupent si peu d’espace, ils étaient devant moi en un petit amoncellement bien que c’était de grandes et petites figures, toutes habillées pour le travail.

Depuis quelque temps je vois le serviteurNIKOLAAS qui a passé beaucoup de temps avec mon grand-père, je ne l’ai vu au rez-de-chaussée qui se promenait dans les chambres, il semblait chercher quelque chose (je n’ai pas pu lui parler car jusqu’à présent je n’étais pas seule).

Durant la nuit, depuis Pâques 1 avril 1923 jusqu’ici, je passe de mauvaises nuits, je sens quelque chose près de moi mais je ne vois rien, j’entends marcher près de moi, soupirer et murmurer, aussi un son indéfinissable comme frapper à la porte. C’est plus pénible que de voir quelque chose. Une fois cela a commencé à 11 h et a duré jusqu’à 5 h (impossible de dormir). Je me suis levée m’assoir dans le couloir et le bruit m’a suivie. J’ai demandé :

— Ne pouvez-vous pas vous faire comprendre ?

Quelque chose m’a touché les épaules, j’ai sursauté.

21 avril 1923. Aujourd’hui pour la deuxième fois, à l’Église j’ai vu DEUX FEMMES AGENOUILLÉES pendant le saint rosaire du shabat prières du premier samedi du mois, elles ont disparu et ont réapparu plus tard quand je suis entrée avec le curé (j’espérais qu’il les voit). Elles étaient là quand j’ai voulu leur parler et elles ont disparu. Rencontré Nikolaas quatre fois, il passait devant moi en courant. Le soir j’ai eu de la fièvre pendant quelques jours, je n’ai pas pu dormir mais je n’ai rien vu, ni entendu. Ils reviennent maintenant que je vais bien.

26 avril. À 1 h, ici LA GOUVERNANTE dont je ne connais pas le nom décédée il y a un an, elle avait une expression très triste. Elle n’est pas restée longtemps, elle n’arrêtait pas d’aller de haut en bas.

27 avril. La voici encore, elle est restée longtemps en me fixant sans rien dire. Aucune réponse. J’ai vu deux fois Nikolaas qui cherchait encore.

29 avril. La gouvernante de 3 à 4 h 30 à côté de moi, très triste, elle voudrait parler mais ne le peut pas. Je ne la regarde pas volontiers à cause de ses grands yeux qui me regardent toujours. J’ai vu lesonze colonnes de brouillard.

1 mai. Elle était déjà dans ma chambre quand je suis allée me coucher. Je lui ai tendu un mouchoir et elle est venue très près, mais ne l’a pas pris.

4 mai. Elle est venue à deux reprises dans la nuit et se penchait sur moi ‡. Aussi vu Nikolaas. J’ai demandé plusieurs fois à la gouvernante quel était son nom, sans réponse. Puis un son effrayant qui sonnait ‘ba’ très tristement. Elle fut très contente avec l’eau bénite (elle est très agitée jusqu’à ce que je lui en donne).

5 mai. Elle est encore là, je sais maintenant qu’elle s’appelle Babete. Elle me fatigue de rester si longtemps. J’ai vu qu’elle avait un costume très usé, et il y a quelque chose dans sa bouche qu’on ne voit pas bien.

9 mai. Elle est revenue deux fois dans la nuit. J’ai vu les onze aussi.

12 mai. J’ai rencontré Nikolaas dans le couloir, il avait l’air très content.

13 mai. La gouvernante est encore là, je suis inconfortable lorsqu’elle se penche sur moi, car sa bouche est aussi repoussante qu’un abcès, sa lèvre inférieure est toute noire, et elle a également des yeux d’une brute. Je serais heureuse de réussir à faire brèche avec elle, mais rien ne vient (elle ne peut pas encore parler).

14 mai. Elle encore. Elle a ouvert la porte que je suis seule à ouvrir.

15 mai. J’ai revu Nikolaas.

18 mai. La gouvernante est restée de 1 h à 3 h 30 près de moi, elle m’a réveillé par un gémissement, je tiens devant elle la sainte relique de la croix depuis que j’ai reçu ce conseil. Je lui ai demandé :

— Êtes-vous damnée ?

Elle a secoué la tête dans la négative.

— Je vous ordonne à me dire ce que vous voulez. Je ne veux plus vous voir.

Avec des sons difficiles à comprendre, elle a dit :

— Toujours trompé le curé.

N’en comprenant pas le sens, je lui ai demandé de répéter, mais elle est repartie en ouvrant la porte.

22 mai. Elle était bouleversée comme quelqu’un qui fuit et avait un air effrayant. J’ai dit :

— Je vous ordonne de me dire pourquoi vous continuez à venir me voir ?

Elle est venue vers moi, m’a montré sa bouche ‡, et elle disparut.

23 mai. Je venais de m’endormir qu’elle vint de nouveau ici. J’ai dit :

— Si maintenant vous ne me dites pas ce que vous voulez, je ne prie plus pour vous.

Longtemps elle n’a pas dit mot, puis un murmure incompréhensible.

— Dites-moi une bonne fois, quels mensonges avez-vous dit ?

Elle s’est approchée près de moi et dit très clairement :

— Je dois souffrir. Beaucoup menti, calomnié, parlé au curé.

— Pourquoi n’allez-vous pas vers lui ?

Pas de réponse.

24 mai. Elle est venue avec une autre figure que je n’ai pu reconnaître ‡. J’ai placé devant elles la sainte relique de la croix et dit :

— Ne venez plus je vous prie, vous recevrez une messe.

J’ai revu les deux femmes à l’Église.

28 mai. J’ai vu une FEMME DANS LE POULAILLER qui cherchait un tas de branches, j’ai pensé qu’elle était mendiante et suis allée vers elle, elle a fait quelques vers moi et a disparu dans les airs soudainement. En après-midi, durant la Couronne des cinq plaies prière en forme de couronne, UN HOMME ressemblant à un accapareur vint à ma rencontre avec un paquet, et a disparu soudainement à quelques pas de moi. J’ai revu les deux femmes à genoux dans l’Église. Quand une vraie femme est venue sur le même banc et qu’il y avait peu de place, j’ai bien pu voir que les deux figures en forme de voile n’occupaient pas de place.

29 mai. Encore la femme du poulailler mais pas longtemps.

30 mai. J’aidais les soeurs à préparer les fleurs à l’hôpital, et dès que je fus seule, BENOIT est arrivé et s’approcha de moi, il était aussi joli que de son vivant, avec son tablier bleu à manches. J’ai demandé :

— Benoît, souffrez-vous beaucoup ?

Il a secoué la tête.

— Serez-vous bientôt au paradis ?

Il a hoché la tête, puis il a pris par la porte et sortit de la maison. Dieu merci, je peux dormir à nouveau, la gouvernante ne vient plus. [(†1922) 26 avril—30 mai 1923]

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31 mai. Procession du corpus Christi.

Présentons à Dieu les pasteurs de notre Église catholique : que la fÊte du saint-sacrement célébrée aujourd’hui soit pour chacun d’eux un moment de communion intense et de joie avec Jésus, dans le mystère de l’Eucharistie. Présentons à Dieu les pays en quête de justice et de liberté : que Jésus, don de Dieu, puisse y être accueilli comme nourriture pour la vie du monde. Présentons à Dieu les hommes et les femmes qui cherchent un sens à leur vie : que le Christ les soutienne et les comble de sa vie. Présentons à Dieu notre communauté chrétienne : qu’elle trouve en Jésus, pain de vie, la vraie nourriture dont elle a besoin pour témoigner de la bonne nouvelle. Dieu très bon, toi qui as fait jaillir l’eau du rocher dans le désert et qui nous fais don du pain venu du ciel, veuille accueillir nos humbles demandes et les exaucer, par Jésus, ton fils, notre-seigneur. Amen.

Alors que nous étions à genou devant l’autel de la maison du menuisier Fischer, le menuisier Michal est arrivé par la porte avec un air très différent que vu auparavant, il y avait du bonheur dans ses yeux et quelque chose de brillant sortit de lui, et sembla l’envelopper comme dans un mouchoir blanc. Il s’est tenu juste devant moi pendant l’Évangile (sans que les autres remarquent) et est resté presque jusqu’à la fin, puis il s’est en allé en me faisant signe parmi les gens. [11 mars —31 mai 1923]

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4 juin. La femme du poulailler de retour, le visage vraiment triste. Cette nuit il y a eu un peu de bruit près de moi, des bruits de pas et des craquements du plancher et des meubles, rien vu (même si j’aurais préféré le contraire).

7 juin. J’ai revu la femme du poulailler. Elle me regardait avec des yeux de feu (je ne l’avais jamais aussi bien vue, mais n’ai pas pu lui parler). Cette nuit le murmure allait jusque dans les pièces voisines et les murs. Rien d’autre de toute la nuit.

11 juin. À mon réveil, une longue FIGURE SOMBRE toute enveloppée de brouillard était penchée sur moi (je ne sais pas si c’est un homme ou une femme). Les bruits ne se font plus entendre ‡.

14 juin. Encore la longue figure dans la pièce quand je suis allée me coucher, elle semblait être sans bras comme un arbre de forêt. Elle s’est approchée quand j’ai récité mes prières du soir à haute voix. Elle a cessé environ 20 minutes, puis revenue à 4 h.

16 juin. Elle s’est mise à me secouer les épaules (quelle douleur, c’était terrifiant). Je l’ai frappée en disant :

— Vous ne pouvez pas me toucher.

Elle a reculé jusqu’au coin. C’était comme un mouchoir mouillé d’eau chaude quand je l’ai frappée. J’espère ne pas avoir à supporter souvent une telle frayeur.

18 juin. Encore ce monstre qui voulait me prendre par le cou, les yeux exorbités ; j’ai prié d’angoisse et pris ma sainte relique de la croix, alors il s’est tenu devant moi, grand et large. Il ne répondait pas à mes questions et est sorti par la porte qu’il a laissée ouverte.

19 juin. Je comprends maintenant que c’est un homme. Il est peu resté. J’ai revu les deux femmes dans l’Église, elles semblent d’un autre siècle. Je leur ai demandé si elles avaient peut-être volé des bougies (aucune réponse).

21 juin. Le monstre est resté plus d’une heure dans ma chambre, il a des cheveux noirs hérissés et des yeux qui font peur et dégoûtent. Dans la nuit il a continué à aller de haut en bas. Aussi lafemme du poulailler assise à me regarder ; elle devient de plus en plus aimable, cependant elle ne parle pas encore. Alors que je la regardais depuis le poulailler, un chat de la rue venant en sa direction a fait un bond sur le côté lorsqu’il l’a vue. Je suis contente que le chat au moins l’ait vu comme moi.

22 juin. Resté près de moi dans la pièce de 1 à 5 h (c’était lourd), il s’est penché plusieurs fois sur moi et s’est assis sur mon lit (j’ai pleuré d’angoisse). Pour ne plus jamais le revoir j’ai récité la prière des heures prière répartie sur les heures composée de psaumes et de cantiques ; il s’est mis à courir de long en large et à gémir affreusement. Maintenant il est un peu plus reconnaissable, mais ne sais toujours pas qui ça peut être. Je dois faire un effort pour aller dans ma chambre ‡, et pourtant je m’endors bien et je dors bien.

24 juin. Il est revenu et m’a prise par les épaules. J’ai dit :

— Dites-moi ce que vous voulez et ne venez plus vers moi.

Aucune réponse. Il s’est remis à courir dans la pièce et est parti (mais le calme avait disparu). Il est revenu à 6 h du matin (il est plus effrayant de jour). Résister et combattre. Il appartient à la plus misérable classe d’âmes qui sont arrivées jusqu’ici. Je lui ai dit :

— Ne me dérangez pas, je dois me préparer pour la sainte communion.

Il s’est approché près de moi et a levé les mains comme pour prier. Cela a touché ma compassion et je lui ai promis beaucoup de choses. Puis j’ai demandé :

— Vous ne pouvez pas parler ?

Il secoua la tête pour non.

— Souffrez-vous beaucoup ?

Il a gémi avec peur. Je l’ai aspergé avec beaucoup d’eau bénite puis il est parti.

27 juin. Il est revenu cette nuit, il n’est pas agréable, je me casse la tête à penser qui c’est.

28 juin. Vu les deux femmes à l’Église.

29 juin. Quand je suis allée me coucher, il était dans la chambre, ce pourrait être Fritz le berger assassiné. Je lui demande aussitôt, aucune réaction. J’ai prié avec lui, puis il eut un regard dur, alors je lui ai demandé de partir ‡et il est vraiment parti.

30 juin. Il est venu peu de temps, ses sanglots m’ont réveillé, son visage était noir et méconnaissable, cependant la stature, le nez, et les yeux sont à lui (je l’avais vu quelques fois de son vivant).

2 juillet. Il est une nouvelle fois revenu, il n’a plus le regard aussi affreux et vilain, n’est pas resté longtemps. Je lui ai parlé en tant que Fritz le berger et il semble avoir trouvé cela naturel.

3 juillet. Venu quelques minutes, je lui ai demandé :

— Êtes-vous Fritz le berger assassiné ?

— Oui.

Il avait parlé très clairement.

4 juillet. Il est venu me voir le matin et m’a regardé tristement, puis il est reparti sans me répondre.

5 juillet. J’ai l’impression que tout est plus lumineux en lui, il a fait le signe de la croix durant la prière.

6 juillet. Je suis très contente, il peut maintenant parler.

— Pourquoi venez-vous toujours vers moi ?

— Parce que vous avez toujours prié pour moi.

Ce pauvre m’avait toujours tellement désolée depuis l’enfance avec ce regard si étrange.

— Qu’est-ce qui vous a sauvé ?

— Repentance et reconnaissance.

— Vous n’êtes donc pas mort sur-le-champ ?

— Non.

— Serez-vous bientôt libéré ?

— Non, longtemps encore.

Je lui ai dit qu’il pouvait revenir si ça lui fait du bien. Comme c’est étrange qu’une personne si grossière de son vivant vous parle ainsi une fois séparée de son corps, je voudrais l’aider de toutes mes forces maintenant qu’il ne fait plus peur. Comme Dieu est miséricordieux.

7 juillet. Voici ce qu’il m’a dit aujourd’hui :

— Je brûle.

Il a pressé un doigt sur ma main et m’a laissé une brûlure rouge.

8 juillet. Venu peu de temps.

9 juillet. Venu à 6 h, il m’a donné une tape à l’épaule pour me réveiller.

— Êtes-vous tant intéressé que j’aille à la messe ?

— Vous pouvez beaucoup m’aider.

11 juillet. Peu resté.

12 juillet. Nous avons prié ensemble.

— Que devez-vous souffrir ?

— Je brûle.

Il s’est approché de moi, et avant même me regarder il a pressé un doigt sur ma main (ça faisait si mal que j’ai crié). J’ai maintenant une tache rouge qui j’espère disparaîtra vite. Quelle chose si inhabituelle et exceptionnelle d’avoir ce signe de l’autre monde.

15 juillet 1923. Après trois jours d’absence, il est revenu ce soir. Je lui ai dit de ne plus me toucher sinon je ne prierais plus pour lui. Je lui ai aussi dit d’aller une fois au moins chez le curé de la paroisse

18 juillet. Je l’ai trouvé dans la chambre quand je voulais aller me coucher, il semblait avoir une AUTRE SILHOUETTE à côté de lui, mais je ne peux le dire avec certitude. Il prie avec moi, maintenant il murmure quelque chose. Il n’a pas répondu quand je l’interroge.

21 juillet. Ils viennent à deux maintenant, je ne peux imaginer qui est l’autre car il est horriblement sale et négligé et ne parle pas. J’ai vu les deux femmes à l’Église, je me suis agenouillée à côté d’elles (il semblait n’avoir pas de place pour moi). Elles ne cessaient de me regarder (je n’ai rien pu dire car le chapelet était récité). J’ai vu la femme du poulailler, elle parle enfin, elle s’appelle Adelgonde, elle a le regard aimable et un aspect très fin, elle porte une robe cintrée d’époque. À ce qu’elle voulait de moi, elle a dit :

— Priez.

24 juillet.Le berger Fritz et l’autre deux fois dans la nuit, silencieux (mais pas agréables).

29 juillet. Rien de spécial. Les deux viennent chaque soir. Le berger Fritz devient plus clair, l’autre a l’aspect effrayant. À la question combien de temps elle était aux alentours, Adelgonde a dit :

— Trois fois quatre-vingt 3 x 80.

1 août. Je reconnais l’autre maintenant, c’est Georg. Je l’ai demandé au berger Fritz à ce sujet, il a dit :

— Voyez vous-même.

Quand il vint près de moi, j’ai vite caché mes mains pour ne pas les donner.

4 août. Les deux sont restés longtemps. J’ai demandé pourquoi Georg était venu me voir.

— Il vous a cherché, a répondu Fritz.

9 août. Pas de paix toute la nuit, ils n’arrêtaient pas de venir, Georg est si effrayant que je lui ai demandé de me laisser tranquille ‡, alors le berger Fritz a dit :

— Offrez des sacrifices pour nous.

(Comme j’ai honte d’être si dure de coeur).

10 août.Le berger Fritz s’est approché de moi, il avait un beau visage si amical, je lui ai demandé :

— Vous n’avez plus autant à souffrir ?

— Non.

— Où êtes-vous tout le temps ?

— Dans l’abandon.

— Reviendrez-vous encore souvent vers moi ?

— Non.

— Pourquoi non ?

— Je ne peux plus.

— Ai-je pu vous aider ?

— Oui.

Il a disparu. [11 juin—10 août 1923]

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Georg était laissé seul (pas agréable), il gémit et regarde d’une manière brutale, mais si je peux aider je serais contente. J’ai oublié de mentionner qu’à l’hôpital, deux fois j’ai vu une ANCIENNE SUPÉRIEURE au visage très triste.

11 août. Georg est venu quatre fois dans la nuit, il ne répond rien, il ne peut pas rester en place, il n’arrête pas de courir. Je regrette que le berger Fritz ne vienne plus, après tout il était une sorte de défense. Je n’aime pas Georg mais je veux volontiers l’aider. Mes nerfs vont mieux dans l’ensemble, je m’habitue à ces non-invités, et après leur départ je peux dormir en paix.

12 août. Très bref.

12 août 1923. J’ai eu une grande joie. Alors que je cueillais des groseilles rouges, tout à coup la VIEILLE D'HOLZMANN était à côté de moi.

— Oh chère holzmannin, vous ne m’avez pas oubliée, comment ça va ?

— Je suis heureuse.

Elle est partie. Ce fut une apparition très agréable. Nous nous sommes réunies dans le jardin plusieurs fois et nous avons ri ensemble, je lui avais dit : Revenez me voir. Et une fois elle m’a répondu : Je vais encore me promener dans ce jardin, c’est certain. Elle l’avait vraiment fait.

14 août. À l’Église j’ai vu un CHEVALIER EN ARMURE agenouillé devant l’autel. Au début j’ai pensé à une illusion et j’ai quitté l’oratoire et passé près de lui pour l’observer. Il s’est laissé observer un moment puis a disparu. Georg longtemps avec moi, il est terriblement agité.

17 août. Georg revient ici, il porte plus d’attention quand je prie maintenant.

19 août. Deux fois dans la nuit. Quand je suis à l’oratoire, maintenant il frappe à la porte, je vais à chaque fois mais il n’y a rien.

20 août. J’ai revu le chevalier dans l’Église, debout près de l’autel, il a la stature d’un géant, c’est peut-être l’homme enterré dans le choeur de l’Église qu’on a retrouvé en faisant le nouveau revêtement, il avait un squelette exceptionnellement grand.

23 août. Nuit inconfortable, je savais que Georg était ici. La lumière électrique ne fonctionnait pas (je n’avais pas eu le courage de me lever chercher des allumettes). Sans pouvoir voir, j’ai eu la sensation de sa présence douloureuse. Une heure après environ j’ai compris qu’il était parti, plus par intuition qu’en écoutant, ce qui est tout-à-fait nouveau.

24 août. Les coups à la porte de l’oratoire continuent. Quand je regarde dehors, il n’y a rien, dès que je rentre le bruit reprend, c’est dérangeant, j’aimerais avoir la paix là au moins. Georg ici longtemps, il a accompagné les litanies de s. Barthélémi apôtre avec attention, il allait un peu mieux, moins sombre aussi.

Introit Iehvah règne, il est revêtu de majesté, Iehvah est revêtu et il est ceint de force, aussi le monde est ferme, il ne chancelle pas. Ton trône est établi dès les temps anciens, tu existes de toute éternité. O Iehvah, les fleuves élèvent, les fleuves élèvent leur voix, les fleuves élèvent leurs ondes retentissantes. Plus que la voix des grandes et puissantes eaux, des flots impétueux de la mer, Iehvah est puissant dans les lieux célestes. Tes témoignages sont entièrement véritables. La sainteté convient à ta maison, O Iehvah pour toute la durée des temps. Ps 93. ||Ps 96||OmnipotensDieu tout-puissant et éternel qui nous inspirez une sainte joie dans la solennité de l’apôtre s. Barthélémi : donnez à votre Église d’aimer les vérités qu’il a crues et de publier ses enseignements, par notre-seigneur Jésus Christ. || Lecture Actes des apôtres 5 || Psaumes 45:16-17 || Évangile de Mathieu 19:28 || Suite de l’Évangile de Luc 6:12-19 || 1Corinthiens 4:9 || Beatiapostoli En célébrant la fête de s. Barthélémi, nous vous supplions Seigneur, de nous accorder vos bienfaits à l’intercession de ce bienheureux apôtre, en l’honneur duquel nous vous offrons des hosties de louanges. || Préface des apôtres p.47 Il est véritablement juste. Seigneur qui êtes notre pasteur éternel, de ne point abandonner votre troupeau, mais de le conserver toujours à l’ombre de votre protection par l’intercession de vos saints apôtres, afin qu’il ne cesse d’être gouverné par les même conducteurs que vous avez établis sur lui en qualité de pasteurs, pour achever comme vos vicaires l’ouvrage que vous avez commencé. CommunionÉvangile de Luc 22:28 || Post-communionQue la participation au gage sacré de notre rédemption éternelle, Seigneur, devienne pour nous, par l’intercession de votre apôtre saint Barthélémi, le secours de la vie présente et de la vie future.

30 août. Encore le même bruit à l’oratoire, frappant et appelant, parfois ça devient insupportable. Le chevalier se voit presque tous les jours. À l’hôpital, j’ai vu soeur Edvige dans la chapelle.

2 septembre. En revenant du jardin, Georg était debout à la fenêtre de ma chambre regardant en arrière de moi. J’ai eu un peu peur d’y entrer, cela dérangeait d’une manière, mais heureusement elle était vide.

6 septembre. Enfin Georg parle.

— Dis-moi une fois pour toutes ce que vous voulez de moi ?

— Aidez-moi.

— Pourquoi devez-vous souffrir ?

— Péchés non expiés.

— Mais pourquoi venez-vous vers moi ?

— Car le chemin pour venir à vous est libre.

— Comment est-ce libre ? (Pas de réponse. Aurais-je pu peut-être obstruer ce chemin ?).

7 septembre. J’ai vu Georg devant sa maison. Le regarder maintenant ne fait plus peur, il devient plus bienveillant (je ne peux expliquer comment, je fais si peu pour lui à part prier). Je retire ce que j’ai écrit la veille, je ne veux pas obstruer son chemin, je dois être heureuse de pouvoir l’aider un peu.

8 septembre. Journée éprouvante. J’ai revu les onze après une longue période, ils ont un peu plus acquis une forme humaine. J’ai vu le chevalier et les deux femmes à l’Église, elles m’ont finalement répondu.

— Pourquoi êtes-vous toujours là ?

— Car nous avons fait scandale.

— Qui êtes-vous ?

— Nous sommes des soeurs.

Elles sont parties. Leur visage était laid, elles avaient des yeux piquants. Il y avait Adelgonde dans la cour du poulailler, de près, elle n’est pas aussi vieille que j’avais pensé, elle avait quelque chose dans la main, un couteau peut-être, je ne peux pas dire exactement. Les poules qui l’ont vu et se sont envolées effrayées. Quand je vois autant de figures en une journée, je vis plus avec elles qu’avec ceux qui m’entourent. Ces visions ne sont pas faciles à oublier, et c’est un effort qui fatigue parfois de ne pas se faire remarquer des autres.

9 septembre. J’ai vu le VIEUX YANNI HEINZ debout au stand de tir, il était très près de moi avec un air horrible ‡ (j’espère qu’il restera en bas). Georg longtemps avec moi dans la nuit, il est bien mieux. Nous avons d’abord prié, puis nous avons parlé.

— Comment puis-je vous être encore utile ?

— Aller à la sainte messe.

— Avez-vous vu le bon Dieu ?

— Oui.

— Le voyez-vous encore ?

— Non.

— Pourquoi non ?

— Impur.

— En quoi consiste votre douleur ?

— Feu. (Peut-être qu’il a dit autre chose, il gargouillait).

— Savez-vous où est Fritz le berger, il ne vient plus me voir ?

— Non.

Il a disparu.

13 septembre. Il était là un moment. Revu le chevalier à l’Église.

15 septembre. Les onze sont passés à côté de moi, ils ressemblaient à des figures de femme toujours dans la brume.

16 septembre. Le soir, étant allée à la bibliothèque chercher un livre, j’y ai trouvé TANTE MARIA Schönborn debout devant moi, qui me souriait avec courtoisie.

— Vous allez bien ?

— Merci à toi.

Elle a hoché la tête en salut et a disparu. Elle m’a rendue heureuse, comme c’est extraordinaire que de vieilles connaissances reviennent maintenant.

17-18 septembre. Durant ces jours, j’ai été très demandée (humainement parlant) et heureuse. Beaucoup de bruit dans l’oratoire, et toujours ce cri :

— Vous. Vous (mais rien de visible).

19 septembre. Georg ici longtemps, il est totalement clair maintenant.

— Dites-moi pourquoi le chemin qui mène à moi est libre ?

— Vous nous attirez.

— Et comment ?

— Avec l’âme.

— La voyez-vous ?

— Oui.

— Mais ça ne me rends pas du tout contente que vous veniez à moi : allez plutôt vers de meilleures personnes.

— Je ne viendrais plus car les autres attendent.

— Vous vous sentez mieux maintenant ?

— Oui.

Il m’a regardé avec un beau sourire et il est parti. [18 juillet—19 septembre 1923]

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Que va-t-il arriver maintenant ? J’ai peur, je l’avoue. Combien de temps faut-il avant que je n’aie plus peur d’une pauvre âme ? Mais si je vois que ce doit être ainsi. Ici Adelgonde, la femme qui a tué son bébé.

21 septembre. Adelgonde s’est montrée avec le couteau qu’elle avait dans la main. Elle a prié avec moi.

— Pourquoi tenez-vous le couteau dans votre main ?

— Mon bébé.

— Comment puis-je vous aider ?

— Donnez votre main.

— Je suis vraiment désolée…

Elle est partie aussitôt. J’ai eu si peur, j’en étais incapable (que je suis lâche). Si elle revient, je veux vaincre, même si ça va être difficile sachant comme ça brûle. Les onze et le chevalier sont apaisants pour les nerfs. Il y a parfois un épais brouillard à l’oratoire, devant la porte et sur les marches, je ne peux voir nulle part, je ne sais pas s’il y a un rapport avec le bruit toujours aussi fort que les autres n’entendent pas. J’ai revu Nikolaas dans la pièce où nous étions tous, il semblait enjoué.

23 septembre. Adelgonde ici, elle veut encore me prendre la main (je ne peux, tout se révulse en moi).

27 septembre. Encore elle qui me regarde avec ses yeux brûlants et cherche ma main

30 septembre. Elle est restée avec moi presque deux heures (combien difficile). J’ai vu le chevalier dans l’Église durant la messe solennelle, il était agenouillé près de l’autel parmi les serviteurs.

2 octobre. Adelgonde continue de me persécuter, elle court furieusement dans la pièce et me regarde avec des yeux brillants, elle cherche ma main (j’ai encore cette peur que je n’arrive pas à vaincre).

4 octobre. Je lui ai demandé ce qu’elle attend de moi, elle a répondu :

— Ta main.

Je n’ai pas pu lui donner. J’ai prié avec elle, elle est devenue indifférente. Si elle pouvait avouer son péché. Je lui ai demandé où son bébé était enterré, sans réponse. La peur que je ressens devant elle est indescriptible ‡.

5 octobre. À mon réveil elle était assise sur mon lit qu’un instant.

6-7 octobre. J’étais assez malade (je l’ai attendue et elle n’est pas venue).

8 octobre. Dieu merci, j’ai réussi à me surmonter, et lorsqu’elle est arrivée, j’ai demandé :

— Comment puis-je vous aider ?

— Donnez votre main.

J’ai placé mes deux mains. Je ne peux pas expliquer de quelle lutte il s’agissait avec la nature, j’ai seulement senti des os et ça ne brûlait pas. Elle n’a pas lâché mes mains de suite (cela m’a paru long). Puis elle a dit :

— Maintenant je ne viens plus.

Elle était partie. [28 mai—8 octobre 1923]

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Les apparitions de femme font plus peur que d’homme. Ce qui frappait chez Adelgonde, c’est que son vêtement semblait entier, mais pourtant tout pendait en lambeaux. Jamais vu de chose pareille. Maintenant je suis si fatiguée que je dormirais debout. J’aimerais un peu de paix. Le bruit dans l’oratoire s’est amélioré et qu’occasionnel.

12 octobre. Assise à mon pupitre, je fus entourée en plein jour d’une épaisse fumée inodore, un brouillard, je ne pouvais plus rien distinguer sur le mur. J’ai demandé si c’était les onze, sans réponse. J’ai aspergé de l’eau bénite et tout fut clair à nouveau. J’ai vu le chevalier à l’Église. En quittant l’oratoire, je lui ai demandé :

— Puis-je faire quelque chose pour vous ?

Il n’a pas cessé de prier. Vu de près, il a l’air bien dans sa splendide armure (une belle pièce de musée, mais je ne suis pas assez compétente pour déterminer de quel siècle il s’agit). J’ai peur que des choses graves se produisent. Et comme mes notes doivent dire la vérité, je dis que sans la sainte communion, je ne pourrais pas endurer.

13 octobre. Nuit mouvementée. J’ai vu soeur Edvige à l’hôpital, je lui ai parlé dans l’escalier :

— Pourquoi êtes-vous encore là ?

— J’étais trop attachée à la terre.

Et elle est entrée dans le garde-manger. Elle n’avait plus cet air aussi triste.

15 octobre.Les onze sont passés en vol devant moi, ils ne répondent pas. Près de moi durant la nuit, un horrible vacarme, TROIS FIGURES méconnaissables viennent maintenant.

17 octobre. Dans la journée, encore du brouillard autour de moi, il y a quelque chose ici c’est certain.

19 octobre. J’entends un cri près de moi qui me réveille, puis des bruits confus et du brouillard encore.

20 octobre. Il y a UNE FIGURE ici.

21 octobre. Les figures de brouillard montent et descendent dans la pièce, elles sautent pendant que je prie (je ne sais quoi faire avec elles). Je ne peux pas les décrire, le mot brouillard n’est pas exact car c’est plutôt une forme de vapeur, et jusqu’à présent, rien à craindre (seulement désagréable), elles ressemblent aux onze mais sont différemment plus sombres. J’ai revu le chevalier, il appartient jusqu’à présent à une autre classe non vue, il a un air bienheureux et continue de prier sans bouger.

24 octobre. La figure devient un peu plus claire et ressemble à une femme. Quant aux trois figures de brouillard, encore rien de visible.

25 octobre. Beaucoup de bruits presque insupportables.

27 octobre. Même si elle n’est pas encore claire, je peux apercevoir une femme très inquiète.

28 octobre. Elle est horriblement repoussante, sa bouche entièrement gonflée avec une expression de colère et d’amertume, elle est enveloppée dans une sorte de chiffon sombre.

29 octobre. Le soir, je l’ai trouvée dans la chambre, ses yeux sont brûlants, elle ne parle pas.

30 octobre. Elle est venue quand je venais de me lever. J’ai dit :

— Allez-vous-en, vous me dérangez.

Elle n’a pas prêté attention. J’ai récité les prières du matin avec elle et elle est partie plus tard (j’ai peur de l’avoir de nouveau devant moi tant elle me répugne). Deviendrais-je dure avec elle, où est mon amour du prochain ? Je suis oppressée car dans la journée je dois toujours faire avec les gens, je ne peux pas penser à moi. Je suis divisée : les âmes dans leur monde, c’est-à-dire être engagée envers eux, et de l’autre je dois montrer de l’intérêt pour les choses, qui en fait n’en ont pas. Cette dissociation me fatigue, je me sens peu courageuse.

31 octobre. Terrible nuit. Elle est venue deux fois et encore restée longtemps. Elle s’appuie contre le mur et me regarde avec provocation et d’un air effrayant, elle ne réagit à rien. Pendant que je prie, elle se tait pourtant. Elle a une grosse enflure rouge à la bouche et des cheveux noirs emmêlés. C’est indescriptible comment elle est étrangère.

1 novembre. J’ai lutté avec elle la moitié de la nuit pour qu’elle ne vienne pas près de moi (mais il n’y a pas d’obstacle pour elle bien-sûr). J’ai alors menacé d’arrêter de prier pour elle si elle continuait à me persécuter. Elle a disparu.

2 novembre. Pire nuit. La figure était comme une furie, je n’ai plus su me défendre et j’ai couru hors de la pièce (je dois tout supporter par moi-même, je ne voulais réveiller personne). Elle m’a poursuivie dans le couloir. Alors je suis revenue et j’ai essayé de prier (difficilement, car j’étais sous un choc de peur). Elle s’obstine à s’approcher près de moi (ça m’est impossible à endurer, il y a quelque chose de si hideux en elle, je ne peux décrire même avec la meilleure volonté). Elle est restée avec moi de 11 à 5 h ‡.

3 novembre. Elle est venue à 5 h du matin, j’ai donc pu passer une petite nuit calme. J’ai tout de suite commencé à prier avec elle, sans la regarder, et soudain sa tête fut si proche de la mienne et j’ai entendu un murmure incompréhensible. J’ai dit :

— Si vous voulez que je prie encore pour vous, éloignez-vous de moi, car je ne supporte pas votre proximité.

Elle a crié très fort et a disparu. Je suis si triste maintenant, il est clair que je l’ai blessée.

4 novembre. Je suis très contente car elle est revenue et elle m’a pardonnée. Elle a essayé de bouger ses lèvres hideuses pour parler, mais rien compris. Je lui ai dit :

— Si je peux vraiment vous aider, faite-moi signe : venez me réveiller à 5 h. Après cela je ferai beaucoup plus pour vous.

Après avoir bien dormi, j’ai entendu un cri à 5 h, elle était à mes côtés. Je suis si contente que maintenant je suis prête à tout recommencer. Les onze se tiennent encore près de la montagne, je n’ai jamais eu peur d’eux. Le chevalier peut presque toujours être vu à l’Église.

5 novembre.

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